Question d'origine :
Bonjour,
Je me demandais pourquoi sépare-t-on les gens en générations ? Et pourquoi cela créer des conflits entre elles ?
Merci d'avance,
Bonne journée.
Réponse du Guichet
La séparation de la population en termes de générations est avant tout un outil d'étude sociologique. Une génération regroupe des individus aux vies et vécus similaires. Cette définition illustre bien la manière dont certains groupes font valoir leur problématiques sociales face à d'autres ensembles sociétaux. Il en découle naturellement une potentielle situation conflictuelle.
Bonjour,
Le terme génération possède deux sens. Le Robert nous dit pour le premier :
Action d'engendrer.
Concernant le deuxième sens, la définition semble déjà plus dense. Le dictionnaire ne semble même pas avoir pu donner un titre regroupant les différents points sémantiques. On peut lire :
"Ensemble des êtres qui descendent de qqn à chacun des degrés de filiation" ; "Espace de temps d'une trentaine d'années" ; "Espace de temps d'une trentaine d'années"
Vous vous en doutez déjà, c'est cette deuxième définition plus vague qui est porteuse d'intérêt pour répondre à votre question. Cet aspect peu (ou pas immédiatement) concret est typique de la notion de génération au sens sociologique du terme.
Pour le philosophe allemand Wilhelm Dilthey :
il n’existe de génération que pour un petit nombre : « la génération forme un cercle assez étroit d’individus qui, malgré la diversité des autres facteurs entrant en ligne de compte, sont reliés en un tout homogène par le fait qu’ils dépendent des mêmes grands événements et changements survenus durant leur période de réceptivité » Wilhelm Dilthey, Le Monde de l’esprit, t. 1, Histoire des sciences humaines, Paris, Aubier-Montaigne, 1947, p. 42
Du côté d'André Masson, l'économiste français, on peut lire :
"notion d’ordre sociologique, la génération désigne un groupe latent, formés d’individus relativement contemporains qui partagent un vécu ou des expériences similaires et se retrouvent souvent autour d’un nœud fédérateur (mai 1968), révélateur de mentalités ou d’aspirations communes »
Il existe de nombreux ouvrages phares ainsi que des figures incontournables quant il s'agit de l'étude de ces items sociologiques. Karl Mannheim, "le problème des générations" est à citer en premier lieu. Wilhelm Dilthey, que nous avons mentionné plus haut fait aussi office de pointure dans le domaine. William Strauss et Neil Howe figurent eux aussi dans ces personnalités ayant articulé la notion en ayant établi un plan de classification des générations. Ce classement se nomme la théorie générationnelle Strauss-Howe.
On le comprends bien, cette notion de génération sert avant tout de voie d'étude de la société. Il ne s'agit pas d'un mot valise qui a été posé gratuitement pour séparer les gens en diverses catégories. Comprendre pourquoi certains ensembles populationnels agissent de la même manière, permet d'étudier ces populations mais aussi leurs comportements. Il s'avère aussi par conséquent qu'en agissant de façon similaire, un grand échantillon de personnes agira donc en opposition à une autre (s'il ne s'agit pas d'opposition il existe au moins un contraste, un écart).
Ici réside un point crucial de notre réponse à votre question : les conflits entre générations ont existé bien avant la conceptualisation de cette même notion de génération. Une des tension intergénérationnelle les plus primaires et courantes, d'ailleurs bien souvent celle impliquée lors de l'utilisation du terme des "générations", n'est autre que celle entre les parents et les enfants, les "vieux et les jeunes" pour illustrer plus vulgairement. Ce nid de tensions et conflits existait déjà lorsque les sociologues se sont penchés sur ce domaine d'étude. Chris Gilleard et Paul Higgs décortiquent les textes de Mannheim en soulignant que ce dernier isole trois points importants pour distinguer les générations : partager une temporalité, partager un contexte historique et partager un contexte socioculturel. Ces trois facteurs sont essentiels et nous permettent de confirmer ce que nous venons d'aborder. L'âge, la catégorie sociale ainsi que notre époque et contexte géo-politique sont de nombreux points qui expliquent les différences entre les populations, et donc les conflits potentiels. Mettre un nom sur un phénomène que l'on observe, ce n'est pas l'inventer.
Cela étant dit, il va de soi qu'une conscience accrue des différences entre générations et de leur segmentation peut engendrer une augmentation du sentiment antagoniste. Conscientiser, concrétiser et objectifier les écarts entre les générations permet de voir clairement ce qui est altéré d'un groupe à l'autre, que ça soit idéologiquement, philosophiquement, économiquement, socialement, physiquement ou même linguistiquement. Cet aspect peut indéniablement alimenter les débats et les conflits. La conscience d'appartenance à un ensemble social est vecteur de cette lutte. Robert Escapit nous dit :
"C’est ainsi que la conscience de classe a conduit des masses anonymes de travailleurs à créer des syndicats ou des partis politiques chargés d’assurer le fonctionnement communicationnel de l’ensemble." Appartenance et communication", dans "Communication et sentiment d'appartenance", 1992
Ce dernier évoque les problématiques de conscientisation d'appartenance et évoque immédiatement l'exemple des syndicats, image forte d'une idée de lutte.
Les conflits entre générations trouvent de nombreux points d'ancrage, mais sont avant tout définis par l'existence même des différentes générations. Leur étude et leur conceptualisation permettent d'aborder ces vieilles problématiques qui tendent à se répéter, et partiellement tenter de résoudre ces écarts idéologiques. En d'autres termes, bien que vectrices de sentiments belliqueux, ces classifications pourraient présenter des leviers pour résoudre des conflits sociaux. Le paradoxe est ici évident, nous vous laisserons décider de quel côté vous voulez voir la balance pencher.
Pour plus de lectures sur le sujet :
"Peut-on mesurer le renouvellement d’une population ?" dans "Mesurer et comprendre", hervé le Bras, 1993, ressource intéressante pour comprendre la genèse de la génération qui pose encore problème aujourd'hui, à savoir le renouvellement de la population.
"Le conflit des générations", M. Debesse, 1958. Bien que la parution de cet article commence à paraître trop éloignée pour être pertinente, le chercheur met ici en parallèle la psychologie et le développement de l'enfant. Le stade de révolte emblématique de l'adolescence pourrait-il faire office de base à cette révolte inter-générationnelle ?
"Un inévitable conflit des générations", Carole Bonnet, dans Informations sociales 2014/3 (n° 183), pages 136 à 144. Pour une approche plus moderne concernant les conflits de générations autour des régimes de retraites et d'assurance maladie.
Bonne journée,