Pourquoi les Suisses parlent-ils de physiothérapie au lieu de kinésithérapie ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je souhaiterais la question suivante : Quelle est la différence entre kiné et physio ?
En effet, je naviguais sur le site suisse suivant : https://myepia.com/comment-ouvrir-un-cabinet-de-kinesitherapeute-en-suisse/ qui utilise les 2 termes.
J'ai cru comprendre que les 2 termes ont la même signification, cependant sauriez vous m'expliquer les différences d'origine et pourquoi selon les pays , l'utilisation en est différente?
Par exemple en France nous utilisons à 99% le terme de kiné alors qu'en Suisse ils utilisent à 99% le terme physio.
Merci,
Réponse du Guichet
L'emploi du terme en suisse est le fruit d'une longue histoire et de profondes divisions entre médecins, masseurs ...
En 1945, apparaît le terme de Schweizerischer Verband staatlich geprüfter Masseure, Heilgymnasten und Physiopraktiker ou Fédération suisse des praticiens en massophysiothérapie en français.
Dès 1952, le corps médical se positionne en faveur de « technicien en physiothérapie », Les règlements édictés le 3 juin 1957 entérinent cette appellation de « technicien physiothérapie».
En 1959, les masseurs portent le terme de «physiopraticien" et le terme est officialisé en 1966.
Bonjour,
La physiothérapie et la kinésithérapie sont employés pour désigner une même discipline et ce même si cela n’a pas toujours été le cas.
santejournaldesfemmes.fr revient sur cette appellation :
Terme ancien pour désigner l'utilisation de l'électricité, du chaud, du froid, ou encore des boues en kinésithérapie, le mot "physiothérapie" refait surface pour désigner la kinésithérapie à l'international. Existe-t-il des différences dans la pratique ? Réponses avec Nicolas Pinsault, kinésithérapeute, enseignant et chercheur.
Définition : qu'est-ce que la physiothérapie ?
"La physiothérapie n'est autre que la kinésithérapie", indique d'emblée Nicolas Pinsault, kinésithérapeute. Il s'agit de deux termes désignant la même technique de rééducation. "La confusion (des deux termes) vient de l'utilisation ancienne du terme de physiologie pour désigner, dans les années 1900, la discipline médicale qu'est la kinésithérapie actuelle, avec l'utilisation d'électrodes, du chaud, du froid, des boues... Ce terme est tombé en désuétude, mais comme la kinésithérapie se traduit par "physiothérapie" en anglais – traduction faite par les Canadiens dans les années 1970/80 -, et que la France et la Belgique sont les seuls pays à utiliser le terme de kinésithérapie, la physiothérapie tend à s'imposer pour désigner la kiné", explique Nicolas Pinsault. Par ailleurs, "le mot physiothérapeute n'existe pas en France. Mais certains thérapeutes adoptent ce nom pour être "plus visibles" à l'international".
Quelle est la différence avec la kinésithérapie ?
"Il n'y a pas de différence entre la kinésithérapie et la physiothérapie" répond Nicolas Pinsault. Les techniques utilisées sont les mêmes. Toutefois, "les différences de cultures entre les pays anglo-saxons entrainent des différences dans la pratique : les physiothérapeutes anglo-saxons travaillent plus sur le " hand off " (sans toucher avec les mains), mais en France, il n'y a aucune distinction entre les techniques de la kinésithérapie et de la physiothérapie." Le masseur-kinésithérapeute est un professionnel de santé qui pratique "des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation, qui ont pour but de prévenir l'altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu'elles sont altérées, de les rétablir ou d'y suppléer. Ces actes sont adaptés à l'évolution des sciences et des techniques", selon la définition officielle du champ de compétences des masseurs-kinésithérapeutes.
Ces informations sont retrouvées sur fnek.fr :
Il existe plusieurs dénominations pour qualifier la profession de masseur-kinésithérapeute telle que nous la connaissons en France. Que ce soit “thérapeute physique”, “physiothérapeute” ou “kinésithérapeute”, toutes ces dénominations signifient la même chose et désignent le même métier. C’est toutefois la “physiotherapy” qui est choisie pour définir la profession à l’international.
Toutefois, doctissimo.fr retient qu’il s’agit d’une confusion et d’un amalgame lié au terme anglais physiotherapy qui est alors employé pour désigner kinésithérapie.
L’étymologie ne nous permettent pas de distinguer, en suisse le choix d’un terme plutôt qu’un autre. Ainsi, selon le CNRTL:
Kinésithérapie : Composé des élém. form. kinés(i)-, du gr. κ ι ́ ν η σ ι ς « mouvement », et -thérapie* de θ ε ρ α π ε ι ́ α « soins médicaux, traitement »
Quant à l'étymologie de "physiothérapeute" nous pouvons lire sur le dictionnaire en ligne La Langue Française :
Du grec ancien phýsis (« nature ») et therapeía (« thérapie »).
Nous nous sommes donc tournées du côté de la langue pour comprendre les différences entre le suisse romand et le français. Le blog assimil apporte de nombreuses explications sur les particularités du suisse romand
Mais, force est de constater que du côté linguistique et après consultation de dictionnaires suisse romand, nous n’en savons pas plus et il faut se tourner du côté de l’histoire de la physiothérapie en Suisse pour déterminer à quelle période l’usage de ce terme a été actée.Véronique Hasler consacre une étude à la physiothérapie en Suisse au cours du XXe siècle (que nous vous mettons en pièce jointe) qui revient sur toutes étapes nécessaires à l’émergence de la physiothérapie.Ces extraits vous permettront de comprendre comment s’est instaurée cette discipline :
Jusqu’à nos jours, l’histoire sociale de la physiothérapie n’a été que peu investiguée et reste en grande partie encore à écrire, à plus forte raison pour ce qui concerne la Suisse.
(…)
La physiothérapie prend sa source dans la réunion de plusieurs thérapeutiques qui recourent aux agents physiques tels l’air, l’eau, l’électricité, la chaleur, le froid et le mouvement. Jacques Monet (2003) (7) parle pour la fin du XIXe siècle de renouveau et d’actualisation des thérapies physiques d’autrefois. Dans les faits, de nombreux intervenants, officiels ou non, du culturiste à l’esthéticienne, mais aussi du rebouteux au médecin les pratiquent, et cela dans toute l’Europe. Selon les points de vues, ces thérapeutiques sont considérées tantôt comme des disciplines à part entière ou des sous-disciplines, parfois en interrelation. Elles sont donc fréquemment utilisées en complément l’une de l’autre, quel que soit l’intervenant. S’agissant du développement de la physiothérapie comme activité professionnelle en Suisse romande, les médecins et chirurgiens actifs en
orthopédie ou dans les prémices de la médecine physique et de réadaptation (dite alors physiothérapie ou physiatrie), les masseurs, les gymnastes médicales et les infirmières peuvent être identifiés comme les acteurs principaux.
(…)
Ainsi à Genève, deux médecins – Pierre-Marie Besse associé à Alexis Brissard – créent en 1910 (Rieder 2009) (11) un Service de physiothérapie privé au sein de la Policlinique médicale de
l’avenue du Mail.
(…)
A la lecture des annuaires du début du XXe siècle, un nombre assez important de personnes s’annoncent masseurs ou professeurs de gymnastique, et parmi elles aussi bien les gymnastes médicales issues de l'Institut royal de gymnastique de Stockholm que des profanes. Nous retrouvons également un certain nombre d’établissements orientés vers l’hydrothérapie ou l’électrothérapie pas obligatoirement supervisés par un médecin. Comme déjà indiqué, les pratiques et les intervenants sont multiples et les documents qui permettent de décrire cette réalité sont moins nombreux et plus difficiles à trouver. Néanmoins, nous savons que les masseurs genevois
se regroupent en association en 1918 déjà, soit légèrementavant la création de l’organe faîtier: la Fédération professionnelle suisse des masseurs et masseuses diplômées officiellement. Cette dernière ne reconnaît la section genevoise qu’en 1926, parce qu’elle soumet l’adhésion à l’existence d’un diplôme cantonal et d’une autorisation de pratique officielle (Welti 1997)
(...).
La Première Guerre mondiale à l’origine de profonds changements de société et d’innovations techniques, les épidémies de polymyélite, ainsi que la proche institutionnalisation de l’orthopédie et de la physiothérapie (future
médecine physique), vont concourir à des degrés divers à la réglementation des professions de santé, parmi lesquelles le massage.
(...)
Rappelons d’abord la position dominante de la médecine sur le marché des soins entre 1900 et 1930 par son prestige, mais surtout par la reconnaissance dont elle jouit auprès de l’Etat. L’exercice de la médecine est effectivement réglementé au plan fédéral dès 1877, alors que les professions auxiliaires sont organisées et réglementées dans l’Entre-deux-guerres au plan cantonal. Il s’ensuit des spécificités locales propres à segmenter un groupe professionnel et à empêcher toute prise de pouvoir de celui-ci. Sur le territoire romand, Genève légifère en premier. Son Règlement d'application de la loi du 11 décembre 1926 sur l'exercice des professions auxiliaires distingue trois activités professionnelles différentes dans le domaine des thérapies physiques: le masseur, qui «effectue les manipulations usuelles de la massothérapie externe et de la kinésithérapie comme agents thérapeutiques», le praticien en physiothérapie A qui pratique « la mécanothérapie, l’électrologie, l’actinothérapie et la thermothérapie». Enfin,le praticien en physiothérapie B a qui revient le «massage
sportif, la culture physique, le bain d’air et de soleil, les sources naturelles de chaleur et de froid». Tous ne peuvent évidemment traiter leurs clients que sous prescription d’un médecin. A ce niveau aussi, le fractionnement qui conduit à de petits groupes professionnels distincts est le garant du contrôle de l’autorité médicale sur le personnel auxiliaire. Cette loi vise pour une autre part à délivrer des autorisations de pratique aux personnes dont la formation et les bonnes mœurs ont été contrôlées.
(…)
Le canton de Vaud suit une voie différente. Tout d’abord, le Conseil d’Etat adopte le règlement concernant la profession de masseur le 24 décembre 1928.
(..)
La question de la formation ressurgit pourtant au cours des années 1930. Placide Nicod est nommé professeur ordinaire d’orthopédie à l’Université de Lausanne en 1931, et Pierre-Marie Besse accède en 1934 au titre de professeur ordinaire de la chaire de diététique, de physiothérapie, d’hydrologie et de climatologie médicale à la Faculté de médecine de Genève. Ces nominations marquent l’entrée de leur spécialité respective au sein de la médecine institutionnelle et interviennent après un long parcours.
(…)
En 1944, une révision de la réglementation est déjà sous toit, et les praticiens en physiothérapie B sont assimilés aux maîtres d’éducation physique formés à l'Université de Genève (et Lausanne) dès 1942.
(…)
L’Après-guerre amène un nouvel élan dans la construction professionnelle des masseurs et praticiens en physiothérapie. Tout d’abord, l’association vaudoise désavoue son comité fondateur et décide sous l’impulsion de nouveaux dirigeants de gagner de l’influence en adhérant le 16 octobre 1945 à la Fédération professionnelle suisse des masseurs et masseuses diplômés officiellement.
(…)
dans la foulée, l’organe faîtier change de dénomination. Il est alors connu sous l’appellation Schweizerischer Verband staatlich geprüfter Masseure, Heilgymnasten und Physiopraktiker ou Fédération suisse des praticiens en massophysiothérapie en français. Comme souvent en Suisse, le multilinguisme induit des différences importantes ou reflète des réalités diverses.
(...)
masseurs, gymnastes médicales et «physiopraticiens» et incorpore toutes les pratiques qui s’y rattachent
(…)
La section vaudoise de la Fédération suisse des praticiens en masso-physiothérapie – stimulée par cette période de transformations – cherche dès 1948 à améliorer le statut professionnel de ses adhérents aux travers de plusieurs revendications, allant du relèvement du niveau de formation à une meilleure reconnaissance de leur activité.
(…)
Dès lors que le remaniement du programme de formation prend forme, l’association professionnelle lutte pour l’actualisation de la dénomination qu’elle juge indispensable. Dès 1952, le corps médical se positionne en
faveur de « technicien en physiothérapie », alors que les masseurs souhaitent imposer dans un premier temps « praticien en masso-physiothérapie», puis « physiopraticien », traduction exacte du « Physiopraktiker » suisse alémanique. A travers la dénomination apparaît l’objectif de définir clairement les frontières interprofessionnelles entre physiothérapie et médecine. Le corps médical en utilisant «technicien en physiothérapie» ramène la physiothérapie à une technique qui se limite à appliquer les directives liées au diagnostic établi par un médecin. Les règlements édictés le 3 juin 1957 entérinent cette appellation de « technicien dn physiothérapie ».
(…)
Les masseurs s’opposent à cette catégorisation qui ramène leur savoir spécialisé à un savoir-faire technique et qui les confine à un rôle d’exécution. Ils finissent par obtenir gain de cause et portent dès 1959 le titre de «physiopraticien». La dénomination «physiothérapeute» apparaît pour la première fois dans le compte-rendu du Conseil d’Etat vaudois en 1963 sans que cela ait soulevé les mêmes discussions passionnées et ce terme est officialisé dans les règlements du 26 juillet 1966...