Est-ce faux de dire que Lyon est la "Capitale des Trois Gaules" ?
Question d'origine :
Bonjour,
Est-ce faux de dire que Lyon est la "Capitale des Trois Gaules" ?
En vous remerciant.
Cdt
Réponse du Guichet
L'expression la plus usitée demeure "Lyon, capitale des Gaules" et non pas "Capitale des trois Gaules", bien que cette première se réfère effectivement aux trois Gaules, à savoir la Gaule belgique, la Gaule lyonnaise, et la Gaule aquitaine. De par sa fréquence d'utilisation, qualifier Lyon de Capitale des Gaules présente un poids linguistique indéniable. La ville ne détient cependant pas la même valeur historique en tant que capitale au sens moderne du terme. Il s'avère même que Lyon n'était en rien une capitale à proprement parler. En ce sens, il est effectivement faux de la désigner de la sorte.
Bonjour,
La Capitale des Gaules, (très) anciennement Lugdunum, synonyme bien pratique de la ville de Lyon n'a effectivement pas tenu ce rôle de capitale tel que nous l'entendons aujourd'hui. Il est fréquent de rencontrer sur les anciens ouvrages, une assurance assez marquée concernant cette désignation. Cette mention ne dépend pourtant qu'un, deux au plus, anciens documents retrouvés de l'ère romaine, dont la lecture erronée a désormais été très contestée. Le très complet podcast France Culture avec Patrice Faure revient sur toutes ces distinctions.
C'est dans la Nouvelle Histoire de Lyon et de la Métropole, sous la direction de Paul Chopelin & Pierre-Jean Souriac (Privot, 2019) qu'on trouve la réponse la plus complète concernant ce débat, synthétisant toutes les croyances non-fondées sur cette fameuse distinction :
Lugdunum, "capitale des Gaules" ?
Enjeux et limites d'une appellation moderne.
L'image de Lyon "capitale des Gaules" (Caput Galliarum) est solidement ancrée dans les esprits. Il semble pourtant qu'aucun document antique ne la qualifie ainsi. Sur la Table de Peutinger (un itinéraire routier figurant les principaux axes de l'Empire Ainsi que les étapes qui les jalonnaient et les indications de distance), la mention Lugduno caput Galliarum, usque hic leugas ne doit pas être comprise "Lyon, capitale des Gaules, jusque-là (on mesure) en lieues", comme on le fait parfois, mais "Lyon tête (de voies) des Gaules, jusque-là (on mesure) en lieues", en vertu d'une autre acception du terme caput. Cette interprétation est cohérente avec la position de Lugdunum dans le "réseau d'Agrippa", et, avec la précision des distances en lieues gauloises, sur un document servant d'itinéraire routier. Au IVe siècle, l'auteur Ammien Marcellin désigna Lyon selon la même logique, en la qualifiant d'exordium Galliarum ("début des Gaules") et en précisant là encore le passage du mille romain à la lieue gauloise. La Table de Peutinger n'est donc pas une preuve de l'existence de l'appelation " capitale des Gaules ". Et ce d'autant plus qu'aucun texte littéraire ni aucune inscription antique ne confèrent ce titre à Lugdunum" Si la titulature de la colonie - Colonia Copia Claudia Augusta Lugdunum à partir de Claude - fut largement employée par les Lyonnais, ils n'ont jamais fait étalage d'un quelconque statut de "capitale des Gaules".
En somme, l'appellation est une construction moderne. Dès lors, est-elle justifiée et comment faut-il la comprendre ? même à ce sujet, il règne un certain flou atour d'elle et tous les chercheurs ne l'emploient pas. Le principal écueil à éviter est de considérer Lugdunum comme une capitale politique, siège d'un pouvoir souverain, à l'instar des capitales modernes des Etats-nations. L'Empire romain et ses provinces ne relevaient pas de ce modèle, qui nous est familier et qui fausse en partie nos analyses. Un gouverneur ne disposait pas de la souveraineté (il était le représentant du pouvoir romain), et les institutions municipales de Lyon encore moins : Elles jouissaient seulement d'une parcelle d'autonomie locale. Lorsque l'empereur y résida, ce fut de manière temporaire et son gouvernement s'appliqua alors à tout l'Empire, et non pas seulement aux Gaules. En d'autres termes, Lugdunum ne fut aucunement aux Gaules ce que Paris fut et demeure à la France. Il convient également de rappeler que les trois Gaules ne correspondaient pas strictement à la France actuelle : elles s'étendaient aussi sur le Luxembourg, une partie de la Belgique, de l'Allemagne et de la Suisse, sans que le Langedoc ni la Provence n'en fassent partie. A trop l'associer aux trois gaules, les spécialistes eux-mêmes risques de perdre parfois de vue tout ce qui rapprochait Lugdunum de la Narbonnaise, de ses colonies romaines et de la vallée du Rhône.
Il reste que Strabon exprima l'idée d'une certaine centralité lyonnaise, en qualifiant la ville d' "acropole" et en lui reconnaissant certaines spécificités, déjà évoquées. De fait, Lugdunum se distingua indéniablement sur plusieurs plans : colonie romaine, noeud de communications, résidence occasionnelle de l'empereur et de membres de la famille impériale, site de frappe monétaire, chef-lieu de la Gaule lyonnaise, siège de services interprovinciaux, ville de garnison, et bien entendu lieu de réunion du conseil des trois Gaules. C'est généralement par le cumul de toutes ces formes de distinctions qu'est justifiée l'appellation "capitale des Gaules". Il faut néanmoins remettre ces données en perspective dans le temps et dans l'espace. C'est sous Auguste que la conjonction de ces différents traits fut la plus forte, avant que certains (résidence impériale, atelier monétaire) ne se dissipent avec le temps. D'autres (procuratèles de plusieurs province, cohorte urbaine) ne furent pas tout à fait exceptionnels.
Reste la présence du sanctuaire fédéral, aussi originale que durable. Elle demeure sans doute l'argument le plus fort pour justifier un statut particulier de Lugdunum, impliquant une forme de centralité à l'échelle des Gaules. La réunion annuelle des délégués des cités était un événement de grandes portée, et sa contribution au rayonnement de Lugdunum n'est pas contestable. De plus, le conseil des Gaules disposait de prérogatives non négligeables. Interlocuteur des autorités romaines, il pouvait intenter un procès à un gouverneur dont l'action aurait été jugée mauvaise. Mais cela demeurait rare, car les notables étaient proches du pouvoir, dont ils partageaient les intérêt. Dès sa création, la raison d'être du conseil des Gaules fut de générer un consensus autour de l'autorité impériale, pour exprimer le loyalisme - et ce faisant la soumission - des cités des Gaules à l'égard de Rome et de l'empereur, dans le cadre de pratiques ritualisées. S'il était l'interlocuteur du pouvoir central, le conseil des Gaules n'avait ni les moyens ni l'intention de le contester véritablement. Réuni une fois l'an, et non pas de manière régulière au cours de l'année, il ne disposait d'aucune prérogative associée à l'exercice d'une véritable souveraineté. Il ne décidait ni de la guerre ni de la paix, pas plus qu'il ne votait de lois.
Il est donc erroné de le présenter comme "le premier parlement national" à l'instar de l'inscription moderne gravée en français sur une stèle aujourd'hui visible à l'amphithéâtre de la Croix-Rousse. Son inauguration en 1989, date autoproclamée de la célébration du "bimillénaire de la nation" (calculée à partir de la première réunion du conseil des Gaules, en 12 av J.-C.) relève d'enjeux contemporains. A l'heure du bicentenaire de la Révolution française, qui faisait la part belle à Paris, Lyon semble avoir voulu affirmer son rôle dans la genèse de la nation, et suggérer son statut de "première capitale" nationale. Cette interprétation témoigne des enjeux que continue de représenter l'histoire ancienne de Lyon, pour une ville flattée par le qualificatif de "capitale des Gaules". Est-ce un hasard si Marseille et Lyon se déclarent volontiers "citée phocéenne" et "capitale des Gaules", afin d'affirmer une forme de primauté historique dont Paris ne pourrait se targuer ?Il va également sans dire que la souveraineté future de la nation française n'évoquait rien pour les délégués venus affirmer leur loyalisme envers Rome le 1er août (une date à laquelle certains chercheurs ont cru pouvoir attribuer une signification culturelle et religieuse tantôt "gauloise", tantôt "romaine"). Si leur réunion annuelle au Confluent a pu entretenir un sentiment de proximité auquel le pouvoir romain a largement contribué, elle n'a pas donné lieu à une communauté de vues et de destins ni à un quelconque "nationalisme".
Libre à vous suite à ça de choisir si vous souhaitez suivre le consensus d'un point de vue purement linguistique, ou si vous préférez rester exact sur les termes et modalités historiques qui ont conduit la population à qualifier Lyon de "capitale des Gaules".
En espérant vous avoir aidé.e,
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