Comment se dénommait la Place de La Croix-Rousse avant 1817 ?
Question d'origine :
Bonjour
Ma question porte sur le nom de la place de la Croix-Rousse. Ce nom est attesté depuis 1817.
Mais, je n’arrive pas à trouver comment elle s’appelait avant. Sur les plans d’avant 1817, je n’ai pas trouvé de nom.
Merci d'avance
Réponse du Guichet
Ce n'est que le 21 septembre 1817 que le conseil municipal de la Croix-Rousse - alors commune indépendante - décide de donner un nom à la "Grande place de la Croix-Rousse" ainsi qu'aux rues voisines, nouvellement créées. Auparavant, la place n'en avait tout simplement pas.
Bonjour,
L'ouvrage Places de Lyon de Charles Delfante et Jean Pelletier propose une intéressante synthèse sur l'histoire de la place de la Croix-Rousse :
[La Place de la Croix-Rousse] est, en fait, constituée de deux parties de formes et de fonctions distinctes : au nord, un espace ayant la forme d'un triangle dont le grand côté serait la Grande Rue de la Croix-Rousse et l'hypoténuse serait la rue du Mail, où domine le commerce et son marché alimentaire. [...]
Cette place est sise sur un des axes de circulation parmi les plus anciens de la ville, qui suite le tracé méridien de la Grande Côte, prolongé par la montée des Pierres Plantées et les trois rues essentielles du plateau : les rues de Cuire, de la Croix-Rousse et du Mail. Les fortifications se trouvaient à la limite de Lyon et du faubourg, remaniées à plusieurs reprises entre le XVIè siècle et 1865. Comme toujours dans une situation du même genre, la porte était précédée d'un large espace qui permettait aux hommes et aux véhicules d'attendre que l'entrée en ville leur soit autorisée. C'est l'origine des deux places. La plus petite au nord est la première à apparaître sur les plans du XVIIè siècle tandis que la plus grande ne figure vraiment constituée qu'à partir de 1830, avec les beaux immeubles de "canuts" de la façade occidentale.
Ce rapide tour d'horizon demande quelques explications : tout d'abord, si le texte cité oppose "ville" à "faubourg", c'est qu'avant le décret du 24 mars 1852, comme nous l'apprennent les Archives de Lyon, la Croix-Rousse était une commune indépendante. Sont histoire politique et économique est amplement développée dans les deux volumes de La colline de la Croix-Rousse de Josette Barre.
Sans entrer dans les détails, nous nous contenterons d'en tirer les informations suivantes : jusqu'à la fin du XVIIIè siècle, la Croix-Rousse était une zone essentiellement agricole, composée des domaines de quelques propriétaires terriens, particuliers ou congrégations religieuses. Ce faubourg, séparé de la ville de Lyon par des remparts et une barrière d'octroi - où était perçu un impôt sur la circulation des biens - et bien entendu dotée de son maire et de son conseil municipal, a connu un rapide développement économique et urbain avec l'essor de l'industrie de la soie au début du XIXè siècle, notamment dans la partie est du plateau, celle qui nous intéresse.
Voici ce qu'en dit Nadine Halitim-Dubois dans son article L’urbanisation du plateau de la Croix-Rousse 1815 – 1895 : les immeubles-ateliers. Les Carnets de l'Inventaire. Etudes sur le patrimoine culturel en Auvergne-Rhône-Alpes, 2022 :
Dès le début du XIXe siècle, le plateau connaît une urbanisation spontanée qui s’exprime par le passage d’une activité essentiellement agricole à une activité industrielle. L’urbanisation qui se profile va être cependant très inégale. Les terrains les plus à l’est sont les premiers à être lotis puis bâtis [...].
Dès 1808, l’est de la Grande-Rue devient le centre d’intérêt des particuliers et des lotissements sont créés pour répondre aux besoins qu’exprime le renouveau de l’industrie de la soie à Lyon. Ce secteur connaît une métamorphose rapide grâce à un nombre restreint de particuliers qui savent tirer profit des avantages de la Croix-Rousse et de l’activité économique de Lyon. Le renouveau de la soierie engendre une forte demande locative et en quelques décennies, l’ancien territoire de Pierrebrune est complètement urbanisé. Le cadastre napoléonien de 1827-1828 met en évidence cette première phase, puisque les deux ilots compris entre la rue Dumenge, la rue de Belfort, la rue d’Austerlitz et la rue du Mail sont presque entièrement bâtis.
Quelques propriétaires privés se partagent les clos : ils engagent tour à tour des créations de rues et vendent leurs terrains afin qu’ils soient bâtis. Entre la Grande-Rue de la Croix-Rousse et la rue de Belfort se met en place un quadrillage plus ou moins régulier de rues perpendiculaires aux deux voies ouest et est. Du sud au nord, trois propriétaires principaux se partagent le territoire en clos : Dumenge, Perrin et Pailleron. Entre 1812 et 1842, ils donnent au quartier une physionomie qui reste encore visible aujourd’hui.
Nous attirons votre attention sur le nom de Pierre-Gabriel Dumenge, propriétaire terrien et dédicataire de la rue du même nom (voir par exemple Wikipédia ou Rues de Lyon), car il a une importance indirecte mais déterminante dans le baptême de la place qui vous intéresse.
Premier propriétaire à avoir proposé la cession de parcelles de terrain à bâtir, il fut également le premier à céder à la municipalité les voies d'accès qui y furent percées... et à tenter de donner son propre nom à la "plus belle de ces rues"... jusque là anonymes, l'urbanisation ayant été si spontanée et subite que le cadastre n'avait pas suivi.
C'est grâce à un tableau téléchargeable sur le site des Archives de Lyon que nous avons pu établir que le cas fut traité au cours de la séance du 21 septembre 1817. Et c'est également dans le fonds numérique des Archives de Lyon qu'on peut trouver les délibérations du Conseil municipal de la Croix-Rousse, où on peut lire - avec de bons yeux, s'agissant de manuscrit numérisé :
Mr le Maire afin de fixer l'opinion du conseil sur la pétition qui lui est soumise a cru devoir lui donner connaissance des motifs qui y ont donné lieu ; il a en conséquence expliqué qu'ayant, suivant l'usage, convoqué, dans le courant de juin dernier, Mrs les commissaires répartiteurs, pour établir les changements survenus, dans les différents rôles, des contributions, de la commune, ces messieurs se trouvèrent embarrassés pour établir les rôles, les nouvelles côtes à ouvrir dans le quartier Dumenge, parce que les rues, qu'on y a pratiquées, n'étaient pas encore dénommées ; ce fut pour parer à ces inconvénients, qu'il proposa de leur donner de suite un nom. Le Sr Dumenge, instruit de cette résolution, prétendit avoir seul le droit de nommer les rues ouvertes sur son terrain, et malgré les représentations qui lui furent adressées, il fit placer à l'un des angles, de la dernière rue ouverte, une plaque indicative, portant ces mots, rue Dumenge. Pour conserver les droits de la commune, Mr le Maire fut alors obligé de prendre un arrêté, par lequel il ordonnait au Sr Dumenge de faire enlever dans les vingt-quatre heures, la plaque qu'il avait fait poser, en expliquant que toutes les rues ouvertes dans une commune, appartenant, pour ce seul fait à la voirie, l'administration seule avait le droit de les nommer, cet arrêté soumis à l'approbation de Mr le Préfet, a reçu son exécution.
C'est dans cet état de choses que le Sr Dumenge, s'est ensuite adressé à Mr le préfet du département ; vous verrez par sa pétition que ce magistrat vous a renvoyée, que le Sr Dumenge reconnait enfin le principe, qu'il m'importait de faire établir et comme pour prix de tout le terrain qu'il cède à la commune, il ne demande que la satisfaction de voir donner son nom à la plus belle des rues ouvertes sur son terrain. J'espère que vous lui accorderez cette faveur ; et je vous inviterai à vouloir bien en même temps indiquer les noms, que devront avoir les autres rues ouvertes dans ce quartier ; afin que l'on puisse s'y reconnaître [...] ; je vous proposerai aussi à cette occasion de dénommer la grande place qui vous sépare d'avec la ville [...].
(Nous avons légèrement modernisé la graphie)
Par la délibération qui s'en suit, sont dénommées :
la rue Dumenge ;
la rue des Fossés ;
la rue du Pavillon ;
la rue du Mail ;
la rue Barrée ;
la Grande place de la Croix-Rousse ;
l'impasse du Boulevard Sait-Clair.
L'article 8 du délibéré stipule également "que toutes les maisons construites dans ces diverses rues, seront numérotées et que les frais seront à la charge des propriétaires."
En conséquence : si vous ne trouvez pas le nom de la place de la Croix-Rousse sur les cartes antérieures à 1817, c'est pour la bonne raison qu'avant cette date, celle-ci n'en avait pas !
Bonne journée.