J'ai besoin d'informations sur le divorce et le droit du sol dans l'histoire de France
Question d'origine :
Bonjour,
Cas d’histoire-droit : un couple se marie avant la 2eme guerre mondiale. L’époux est fait prisonnier par les allemands. Son épouse le dénonce aux autorités allemandes car elle a une relation adultère avec l’occupant. Son époux revient à la Libération. Il la libère en lèvant sa plainte. Que doit il avoir fait pour divorcer civilement et religieusement après guerre (1945-1946)? A-t-il agi?
Cas de droit : Loi de 26/6/1889 : les enfants nés en France de parents étrangers eux-mêmes nés en France deviennent automatiquement Français à la naissance (double droit du sol). Les enfants nés en France de parents nés à l’étranger deviennent Français à leur majorité de façon quasi-automatique en vertu du droit du sol simple différé 1998. Je ne connais pas ce cas de droit civil. Quelle en est sa limite à la majorité? Y a t il rétroactivité?
Réponse du Guichet
Pour ce qui est du divorce, la législation après guerre, suivait peu ou prou celle instaurée par le régime de Vichy.
Bonjour,
Nous espérons ne pas apporter une réponse trop tardive pour vous apporter des éléments. Concernant votre première étude, nous nous sommes appuyées sur l’étude de Julie Le Gac.
LE GAC Julie, « L'« étrange défaite » du divorce ? (1940-1946) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2005/4 (no 88), p. 49-62 qui montre que jusqu’à 1975, le code civil ne change guère et que les procédures de divorce reposent en partie sur ce qui a été mis en place sous le régime de Vichy. Pour ce qui est de la procédure dans le cas d’adultère, la chercheuse relate :
Comme en temps de paix, par ailleurs, l’infidélité demeure la principale cause de divorce. Juridiquement, toute relation extraconjugale n’est pas assimilable à l’adultère, qui est considéré comme un délit pénal jusqu’en 1975. Dès lors, les motifs fondant la décision juridique ne recouvrent pas totalement les événements conjugaux invoqués qui ont amené à la désunion. Force est alors de distinguer l’adultère au sens strict de la cohabitation extraconjugale. Cette dernière constitue une injure grave ou renouvelée des droits et obligations du mariage et rend intolérable le maintien de la vie commune
(…)
En vertu du principe de nullité des actes constitutionnels, législatifs et réglementaires de l’État français, la commission de révision des textes de Vichy, instituée le 20 octobre 1944 est chargée par le nouveau garde des Sceaux, François de Menthon , d’examiner la loi du 2 avril 1941. « Portant la marque du régime qui l’avait fait naître, son annulation partielle s’impose, au moins politiquement. Toutefois, d’un point de vue idéologique, la commission reconnaît les mérites de la réforme de 1941. L’interdiction de divorcer pendant les trois premières années du mariage est qualifiée de « mesure sage », prise afin « d’arrêter cette évolution jurisprudentielle contraire à la loi ».
(…)
En ce sens, le 27 mars 1946 est adoptée une loi « tendant à donner une conclusion rapide aux instances en divorce lorsque le demandeur s’est trouvé éloigné de son foyer par certains faits de guerre » applicable aux « prisonniers de guerre 1939-1945, […] déportés politiques, internés politiques, requis du STO et réfractaires, […] FFI et FFL, qui se sont trouvés, en raison de cette qualité, éloignés de leur famille pendant plus de six mois ». Elle offre principalement « un droit de priorité au jour d’audience fixé , la limitation du délai d’enquête à trois mois, ainsi que l’exécution immédiate des jugements, même en cas d’appel. Ainsi, la loi du 27 mars 1946 confère des privilèges à ceux qui ont contribué à libérer la France ou ont subi le joug de l’oppresseur. Néanmoins, ces mesures dérogatoires ne doivent pas occulter la volonté profonde de la République de favoriser le retour à l’ordre conjugal.
(…)Si la réforme du divorce constitue une réaction politique face au régime de Vichy, elle ne marque pas une rupture dans la politique familiale de la France. La loi du 2 avril 1941 n’est pas abolie, mais seulement amendée. Afin de limiter les passions traditionnellement soulevées par les débats relatifs au divorce, la réforme est le fruit, d’une part, de l’ordonnance du 12 avril 1945 et, d’autre part, de la loi du 27 mars 1946 adoptée sans débat, comme le permet l’article 34 du règlement de l’Assemblée nationale constituante. En outre, de même que la loi du 2 avril 1941 offrait une via media entre l’abolition du divorce et le statu quo, l’ordonnance du 12 avril 1945 se présente comme une via media entre la loi de 1941 et le régime antérieur. La réforme de 1945 s’attache essentiellement à assouplir la procédure de divorce, en supprimant l’interdiction de divorcer pendant les trois premières années du mariage et en réduisant les délais alloués au juge en matière de sursis ou d’ajournement de l’audience, à respectivement un an et six mois. Ces assouplissements poursuivent toutefois un objectif similaire à celui de la loi du 2 avril 1941 : la stabilité familiale. L’interdiction de divorcer pendant les trois premières années du mariage n’est pas jugée attentatoire aux libertés individuelles mais seulement contreproductive. François de Menthon souligne au demeurant que « cette mesure qui artificiellement et automatiquement oblige à rester dans les liens du mariage des gens qui sont décidés à rompre et qui n’attendent que l’expiration d’un délai pour le faire, est socialement dangereuse. L’ensemble des mesures instaurées par la loi du 2 avril 1941 et destinées à moraliser la procédure de divorce, comme la tenue des débats en chambre du conseil ou la répression pénale de la publicité en faveur du divorce, sont maintenues. L’ordonnance du 12 avril 1945 institue en outre l’obligation pour le juge d’ordonner une enquête sociale destinée à « recueillir des renseignements sur la situation de famille, les conditions dans lesquelles vivent les enfants et les mesures à prendre éventuellement quant à leur garde définitive ». Dès lors, la procédure devient plus inquisitoriale, ce qui reflète la volonté de renforcer le contrôle de la moralité des familles. Au total, si les moyens diffèrent, une réelle continuité d’objectifs prévaut en matière de politique familiale, entre Vichy et la Quatrième République. La pratique des divorces dans l’immédiat après-guerre révèle quant à elle la volonté de rompre avec la guerre et d’entamer une ère nouvelle.
(…)
Les années d’après guerre sont marquées par une véritable explosion du nombre de divorces, qui retrouve son niveau de 1938 en 1945 et double en 1946, 23 200 et 57 400 divorces étant respectivement prononcés en France.
(…)
Les divorces de l’immédiat après-guerre présentent un caractère à la fois massif et radical. Cette radicalité est renforcée par la croissance du poids de l’adultère comme motif juridique des divorces. Selon les comptes généraux de la justice, l’adultère féminin fonde 29,7 % des jugements en divorce et l’adultère masculin 17,4 %. Or, il s’agit, rappelons-le, et d’une cause péremptoire de divorce, et d’un délit. Cette croissance renforce dès lors la volonté de rupture affichée.
(…)
Ainsi, le divorce sanctionne les relations sexuelles, réelles ou présumées, avec les membres de l’armée d’occupation. En témoignent le divorce prononcé aux torts exclusifs de la dame D. qui a eu des « relations avec des soldats de l’armée d’occupation , ou le jugement rendu entre les époux T. au motif que l’épouse « a été vue plusieurs fois dans le métro en compagnie de soldats allemands qu’elle accompagnait sans doute. Les accusations pesant sur la dame T. sont relativement minces, mais la présence aux côtés des Allemands, en une période propice aux règlements de comptes, constitue une injure grave et renouvelée rendant impossible le maintien de la vie conjugale. Le divorce participe lui aussi à la condamnation collective de ces femmes qui ont trahi et sali la France, que ces relations aient existé ou aient été imaginées. Comme le rappelle Fabrice Virgili, « le contact avec les Allemands suffit à occulter le caractère privé. Le conflit conjugal devient alors l’affaire de la communauté . L’interférence entre sphères publique et privée est par ailleurs patente lorsque le divorce sanctionne des velléités de délation. À cet égard, le jugement déboutant le sieur P. de sa demande en divorce dispose que « le dernier articulât du demandeur pourrait être pertinent si P. offrait de prouver que sa femme l’avait dénoncé à la Kommandantur allemande. Une telle preuve n’est cependant pas aisée à apporter. Enfin, le divorce peut constituer une sanction privée complémentaire des sanctions politiques comme en témoigne le divorce prononcé pour condamnation à une peine afflictive et infamante aux torts du sieur D. « arrêté comme ancien milicien » et « condamné à cinq ans de prison et à l’indignité nationale . À l’opposé, le statut de résistant de l’époux invite à une sévérité implacable de la part des juges. Une décision rendue le 30 mai 1945 dénonce par exemple l’attitude de la dame K. : « Pendant l’absence de son mari, qui dès le 25 juin 1940 avait rejoint les Forces françaises libres, [… cette dernière] avait contracté des habitudes d’indépendance absolument incompatibles avec la dignité de la vie conjugale » L’idée que le divorce puisse être une sanction reçoit, en l’occurrence, une éclatante consécration. « Adultère, violences conjugales, divorce, alcoolisme, abandons du domicile familial ; la lecture des dossiers des commissions d’épuration, des chambres civiques et des cours de justice montre l’importance des conflits d’ordre privé. Les tontes sanctionnent l’immoralité en général et les conflits conjugaux dont les femmes sont tenues pour responsables. Il s’agit d’expier les fautes commises et de conjurer la faillite des hommes qui s’est traduite par la défaite et l’occupation du territoire. L’assainissement des familles par la stigmatisation des « mauvaises Françaises » doit fonder un nouvel épanouissement de la patrie française sur le socle de familles stables et saines. Cette philosophie de l’épuration est révélatrice de la volonté de « retour à l’ordre » caractéristique de la France de l’immédiat après-guerre. …
Par ailleurs, nous avons confronté cette source contemporaine à des texte datant des années 1945-1946.
Ainsi L’Union nationale des femmes stipule le 1er juin 1945 :
Les conditions du divorce sont toujours subordonnées aux torts imputables à l’autre époux, et ces torts sont énumérés dans le code ; l’adultère, une condamnation à une peine afflictive et infamante, et enfin les excès, sévices et injures graves.
Le Journal officiel du Commandement en chef français en Allemagne, en date du 8 mai 1946, se réfère, pour divorce pour inconduite à l’article 42, Adultère :
Un époux peut demander le divorce si son conjoint s’est rendu coupable d’adultère.
Vous pourriez compléter ces informations en poursuivant vos recherches dans gallica et en consultant les études suivantes :
Brée Sandra, « Deux siècles de séparations et divorces en France (1792-1975) », Annales de démographie historique, 2022/1 (n° 143), p. 73-114.
Boninchi Marc, « La répression de l’adultère », dans Vichy et l'ordre moral, 2005, p. 71-111.
Vous évoquez dans la seconde partie de votre question les politiques de restriction du droit du sol qui ont été mises en place en France dans les années 1990, et plus particulièrement la loi Pasqua, promulguée pendant la cohabitation du gouvernement de droite d’Édouard Balladur avec le président François Mitterrand.
En effet cette loi mit fin à l'automaticité de l'obtention de la nationalité française d'enfants nés en France de parents étrangers. Plus largement, la loi abroge le Code de la Nationalité française et en réintègre les dispositions au sein du Code Civil.
Les enfants nés de parents étrangers sur le sol français bénéficiaient jusqu'alors automatiquement de la nationalité française à leur majorité si ils étaient en mesure de justifier une présence sur le territoire français pendant les 5 années qui précédaient leurs 18 ans (Loi du 26 juin 1889). La loi Pasqua (nom du ministre de l'intérieur du gouvernement Balladur), exige dorénavant une "manifestation de volonté" du jeune, entre ses 16 et 21 ans (si le délai est manqué, il est un étranger comme un autre), pour obtenir cette nationalité. Cette loi fut aussi un grand chamboulement pour les enfants nés en France de parents issus des anciennes colonies françaises qui bénéficiaient jusqu'alors du droit à la nationalité française une fois arrivés à majorité (exception faite aux enfants nés en France de parents nés en Algérie). La nouvelle mesure leur supprime l'accès à ce double droit du sol.
L'histoire du droit du sol français, ainsi que les détails de la loi (avec des mesures sur le mariage, les enfants mineurs etc.) sont à retrouver dans ce document très complet édité sur le site du ministère de l'Intérieur. Des documents d'archive sont à retrouver sur l'INA - 1993, une brèche dans le droit du sol, dont l'article et les vidéos ont le mérite d'indiquer l’influence des succès électoraux du Front national à la fin des années 1980, pour justifier la droitisation des mesures du RPR qui voulait séduire l'électorat FN en vue des présidentielles de 1995.
Tous les enjeux et discriminations inhérentes à la loi sont retranscrits dans ce vieil article du Plein droit, publié en 1993.
Il faudra attendre 1998 et une nouvelle cohabitation, de gauche cette fois-ci, (suite à la nomination du socialiste Lionel Jospin après la dissolution "ratée" de l'Assemblée nationale en 1997 par le président Chirac), pour que le législateur réinstaure l'acquisition de la nationalité française de plein droit (toujours en justifiant une présence sur le territoire d'au moins 5 ans depuis les 11 ans de la personne concernée). C'est la loi du 16 mars 1998.
Le rapport de 1997 de Patrick Weil joua un rôle important dans cette réforme, expliquant en quoi la manifestation de cette volonté se heurtait dans la pratique à de nombreux écueils, toujours plus discriminants pour les personnes issus de milieux défavorisés, les femmes etc. qui demandaient moins leur nationalité. Vous en trouverez mention dans cet article du Monde sur la Loi Immigration (2023) (Consultable via Europresse).
D'autres dispositions élargissent les conditions d'accès à la nationalité, comme par exemple :
Le jeune né en France, âgé de 16 à 18 ans peut souscrire lui-même une déclaration acquisitive de la nationalité française s'il justifie d'une résidence habituelle en France depuis l'âge de 11 ans. De même avec le consentement de son représentant légal, le jeune âgé de 13 à 16 ans pourra acquérir la nationalité française par déclaration s'il justifie d'une résidence habituelle en France de façon continue ou discontinue de cinq années depuis l'âge de 8 ans.
Source : Ministère de l'intérieur.
Concernant les personnes nés de deux parents étrangers sur le sol français qui ont atteint leur majorité entre 1993 et 1998, et ayant, par exemple, manqué de manifester l'expression de leur volonté d'acquisition de la nationalité française, ils étaient encore soumis par diverses aspects au fonctionnement de l'ancienne loi, ou bénéficiaient de légers avantages :
Article 32 de la loi du 16 mars 1998 : Les manifestations de volonté souscrites en application de l'article 21-7 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi no 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi, demeurent régies par les dispositions du code civil applicables à la date de leur souscription.
Article 34 de la loi du 16 mars 1998 : Les personnes nées en France de parents étrangers qui, à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, sont âgées de plus de vingt et un ans et qui n'ont pas souscrit la manifestation de volonté prévue à l'article 21-7 du code civil dans sa rédaction issue de la loi no 93-933 du 22 juillet 1993 précitée conservent le bénéfice de la dispense de stage prévue au 7o de l'article 21-19 du code civil dans sa rédaction issue de la même loi.
En résumé, l'annulation de la réforme Pasqua en 1998 n'a pas entraîné une attribution rétroactive et automatique de la nationalité française pour les personnes qui ne l'avaient pas obtenue sous le régime précédent. Ces personnes devaient généralement entreprendre des démarches spécifiques pour acquérir la nationalité française si elles le souhaitaient et remplissaient les conditions requises.
Bonne journée,
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Que se passe-t-il quand on quitte les soins psychiatriques...