Comment se traduit à Lyon le phénomène de financiarisation des villes ?
Question d'origine :
Bonjour,
Comment se traduit sur le territoire de la ville de Lyon le phénomène de financiarisation des villes ?
Réponse du Guichet
Certains projets d'aménagement urbains de la ville de Lyon et du Grand Lyon sont en effet symptomatiques de ce phénomène de financiarisation des villes. Les travaux récents des chercheurs Antoine Guironnet et Ludovic Halbert désignent les projets urbanistiques du Carré de Soie, à Vaulx-en-Velin et Villeurbanne, ou du quartier de la Part-Dieu comme représentatifs d'un accaparement progressif, (par des acteurs situés sur les marchés financiers) du patrimoine immobilier avec pour objectif premier une plus-value à la revente. Nous pouvons aussi citer le projet de rénovation de l'Hôtel-Dieu ou l'acquisition des immeubles de la rue de la République.
Bonjour,
Pour mieux comprendre ce phénomène, nous vous conseillons de regarder la présentation des chercheurs Antoine Guironnet et Ludovic Halbert de leur ouvrage « L’Empire urbain de la finance » (Editions Amsterdam, 2023) sur le plateau de Mediapart en décembre 2023 (vous pouvez y accéder grâce à votre abonnement BmL), qui ont analysé en détail l’accaparement progressif de l'immobilier urbain en France par des investisseurs privés situés sur les marchés financiers au détriment des banques traditionnelles. En effet, le foncier est un investissement jugé plus sur que d'autres, et nombreux seraient les fonds/entreprises à diversifier leurs placement dans l'immobilier par souci de sécurité financière. Ainsi, depuis de longues années, les politiques publiques (étatiques, municipales et métropolitaines) se seraient alignées sur les désirs de ces investisseurs afin de faciliter l'afflux de capitaux et rehausser l'attractivité économique des territoires. Ils prennent en exemple une loi qui encourageait les propriétaires à vendre leurs biens immobiliers en promettant un abattement fiscal conséquent sur leur plus value à la revente. Ainsi, administrations publiques et particuliers auraient liquidé une partie du parc immobilier des villes au profit d'investisseurs, représentés par des sociétés de gestion d'actifs (comme BlackRock), et autour desquelles gravitent de nombreux auxiliaires (avocats, notaires, consultants, agents immobiliers etc.), chargés de conseiller au mieux les investisseurs.
Avec pour objectif premier de créer de la valeur ajoutée (loyers, plus-values à la revente etc.) ces professionnels de la finance ont investi dans l'immobilier tertiaire (bureaux, centres commerciaux, plateformes logistiques etc.), séduits par les arguments et promesses des collectivités qui se sont arrachées leurs services à grand renfort de marketing territorial. Pour les pouvoirs publics, c'est une politique "gagnant gagnant", puisque les retours sur investissement promis s'accompagnent notamment d'une création d'emploi et d'une hausse des recettes fiscales. Guironnet et Halbert leur reprochent en revanche une stratégie court-termiste, sans qu'aucunes contreparties sociales ou écologiques ne soient imposées à ces investisseurs, et qui n'est articulée à aucun enjeu d'aménagement urbain ou de développement territorial. Elle serait même, selon eux, décorrélée des intérêts de la majorité des habitants.
Pour illustrer ce processus de financiarisation des villes, les deux chercheurs prennent l'exemple du Grand Lyon qui, sous la municipalité et la présidence métropolitaine de Gérard Collomb, aurait incarné par divers aspects ce phénomène. Les quartiers du Carré de Soie, situé entre Vaulx-en-Velin et Villeurbanne et celui de la Part-Dieu sont cités comme les fers de lance de cette politique.
Le centre commercial Part-Dieu Wesfield appartient à une société foncière placée en bourse, Unibail Rodamco Wesfield, tandis que le quartier alentour poursuit sa mue en véritable place forte financière et commerciale de la ville. En effet la construction/rachat d'immeubles de bureaux dans quelques quartiers concentrés et clairement identifiables ferait partie, selon les deux chercheurs, de cette stratégie de financiarisation des villes. Les investissements se déploient sur de larges espaces (comme l'ancienne zones industrielle du Carré de Soie), à proximité des transports en commun et éloigneraient les projets de construction d'immeubles de logement (quartier de la Part-Dieu). Cela occasionnerait également un phénomène de standardisation architectural de l'espace urbain. Enfin, grouper l'immobilier dans des quartiers d'affaires offrirait une belle carte de visite à la ville auprès des entreprises et des futurs investisseurs.
Pour une étude approfondie du cas du Carré de Soie, vous pouvez lire cet article très détaillé d'Antoine Guirronet publié en 2016 et lisible en intégralité sur OpenEdition : Une financiarisation si discrète ? La circulation des standards de la filière d’investissement en immobilier tertiaire dans les politiques de développement urbain du Grand Lyon. Les logiques de quête de profit sont bien expliquées, en effet il est déjà question de revendre avant d'avoir construit :
La contribution de l’immobilier de bureau à la dynamique du projet du Carré de Soie est importante. C’est l’un des outils clefs du Projet Urbain qui se donne pour objectif l’accompagnement de la « mutation économique » du territoire, c’est-à-dire l’accueil d’activités tertiaires et la gestion du redéploiement des activités industrielles présentes sur le site, selon un principe de mixité fonctionnelle. L’immobilier de bureau représente ainsi 46 % des surfaces constructibles sur le PAE TASE et 37 % sur la ZAC La Soie. Le segment connaît une dynamique importante puisque plus de 178 000 m2 seront livrés à l’horizon 2017. Or une grande majorité de ces opérations (plus de 75 % en surface) relèvent du modèle d’investissement immobilier locatif : dans le cadre de stratégies de gestion d’actifs, les investisseurs acquièrent les bâtiments auprès des promoteurs, bien souvent sur la base d’une pré-commercialisation locative auprès de grandes entreprises (Veolia Environnement, Technip, Alstom Transports, Adecco).
Les différents promoteurs qui interviennent sur l’immobilier d’entreprise au Carré de Soie convergent dans l’intégration des « standards » de l’industrie de l’investissement dans leurs stratégies et leurs opérations. Ceci s’explique principalement par le modèle économique de la promotion immobilière française où « il faut que nous construisions pour vendre, mais qu’avant de construire, il faut avoir vendu » (Entretien 06, Promoteur immobilier, Directeur régional).
Une autre illustration frappante de ce phénomène a été la reconversion de l'hôtel Dieu de Lyon, monument historique et ancien hôpital, transformé en véritable pôle commercial et culturel (commerce, restauration, hôtel, logements, Cité de la gastronomie) après de nombreuses années de travaux dans les années 2010. Le magazine de la métropole de Lyon, le MET', consacrait en 2017 un petit article aux différents investisseurs qui ont rejoint l'aventure de la Cité de la gastronomie. Le journal Les Echos, en date de 2010, résume les étapes et liste les partenaires de financement du projet : L'Hôtel-Dieu de Lyon va être reconverti pour 150 millions.
Vous trouverez aussi des exemples extrêmement pertinents dans cet ouvrage de François Robert et Loïc Bonneval : De la rente immobilière à la finance : la Société de la rue Impériale (Lyon 1854-2004) qui s'est intéressé au fonds d'investissement émirati qui a possédé l'immense majorité des immeubles de la rue de la République. Un entretien avec les deux sociologues publié sur le site du Rue89 vous aidera à mieux comprendre ce processus : Hôtel-Dieu, Grôlée, Carlino… Une histoire passionnante de la rue de la République à Lyon.
Mais sur ces questions nous pouvons surtout vous recommander la lecture de ces ouvrages, disponibles à la BmL :
Fantasmagories du capital : l'invention de la ville-machine / Marc Berdet (Zones, 2013)
Le capitalisme contre le droit à la ville : néolibéralisme, urbanisation, résistances / David Harvey (Editions Amsterdam, 2011)
Le promoteur, la banque et le rentier : Fondements et évolution du logement capitaliste / Louis Gaudreau ; préf. de Christian Topalov (Lux, 2020)
L'empire urbain de la finance : pouvoir et inégalités dans le capitalisme de la gestion d'actif / Antoine Guironnet, Ludovic Halbert (Editions Amsterdam, 2023)
Bonne journée,