Question d'origine :
Chatbot en santé mentale : Comment toutes ces solutions arrivent-elles à trouver leur place dans le paysage actuel ?
Réponse du Guichet
Les lacunes du système de santé et la mauvaise réputation des thérapies, associées à une hausse généralisée des maladies de santé mentale ont profité à de nombreuses entreprises privées qui ont créé des I.A conversationnelles spécialisées sur le sujet. Même si des études prouvent les bienfaits de ces chatbots sur le court terme, les spécialistes tirent la sonnette d'alarme et estiment que ces initiatives ne peuvent en aucun cas se substituer au jugement et à l'écoute d'un thérapeute agréé. En revanche l'usage de ces intelligences artificielles, si adossée à l'expertise d'organismes et de professionnels de santé, pourrait apporter des résultats vertueux. Elles doivent pour cela s'insérer dans un schéma plus large de politique de santé publique.
Bonjour,
A première vue, ces nouvelles intelligences artificielles en forme de Chatbot spécialisées peuvent présenter des avantages sérieux dans un marché de la santé mentale en tension. Les coûts sont beaucoup plus bas, voir inexistants pour les usagers, les plateformes sont disponibles 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, sans limite de temps. Et pour certains utilisateurs, dialoguer avec un smartphone ou un écran d'ordinateur peut sembler plus sécurisant, exit la peur de se sentir jugé ou de voir leur confiance trahie par un thérapeute. Une sensation de neutralité peut se faire ressentir et incite parfois les personnes à s'exprimer plus ouvertement sur leurs émotions et les problèmes qu'ils traversent. Plus de confidentialité donc même si, évidemment, il faut être vigilant sur la conservation et la réutilisation des données rentrées dans l'IA.
De nombreux témoignages allant dans ce sens ont été recueillis par le journal le Monde dans son article : Comment l'IA bouscule le milieu de la santé mentale :« Plutôt que de payer une nouvelle séance chez le psy, j’allais sur ChatGPT ». Le succès de ces psychologues virtuels peut aussi s'expliquer par la difficulté des patients à trouver un médecin. En effet, l'OMS estime actuellement qu'il y aurait en moyenne 13 professionnels de santé mentale pour 100 000 personnes dans le monde (OMS - WHO report highlights global shortfall in investment in mental health), tandis que la santé mentale des français se dégradait en 2023 (La santé mentale des Français se dégrade en 2023 - Vie Publique). D'autres témoignent avoir des pratiques d’appoint avec les bots, sans pour autant abandonner leur rendez-vous hebdomadaire ou mensuel chez leur thérapeute, ils l'utilisent à la carte en cas de besoin ou pour prolonger une séance de psy trop vite écourtée. Selon cet article du National Geographic, Les IA thérapeutiques sont-elles bonnes pour notre santé mentale ?, des études d'ampleur auraient conclu aux bienfaits des chatbots en santé mentale pour réduire, du moins à court terme, les effets de la dépression ou de l'anxiété : Systematic review and meta-analysis of AI-based conversational agents for promoting mental health and well-being ( Han Li, Renwen Zhang, Yi-Chieh Lee, Robert E. Kraut & David C. Mohr, Nature, 2023).
C'est ce qu'estime également la linguiste et psychologue Justine Cassell, dans l'article cité précédemment du Monde. Selon elle, un usage raisonné de cette technologie peut aider certaines personnes à se sentir mieux. A condition seulement que l'outil soit transparent sur ses facultés réelles et que celui-ci ne se substitue en rien à la consultation d'un médecin. Un travail en coopération entre organismes de santé, thérapeutes et IA pourrait être envisageable :
« Certaines applications peuvent encourager les gens, à travers l'écrit notamment, à faire sortir leurs émotions et à approfondir leurs réflexions grâce à un système de questions ouvertes, ce qui peut être particulièrement efficace, explique Mme Cassell. Mais il faut que le message qu’elles transmettent aux utilisateurs en amont soit clair : “Je peux vous écouter, mais je ne peux pas vous aider véritablement.” Dès que l'application propose des solutions et prend la place d’un médecin, c’est là que les dérives commencent. »
D’où l'importance, selon elle, que ces outils ne soient pas prohibés mais plutôt confectionnés avec l'aide de thérapeutes agréés, et répondent à une charte législative.
Le psychiatre Stéphane Mouchabac, dans une interview accordée au Figaro début octobre rappelle néanmoins qu'en France ces I.A n'ont pas été validées pour usage médical, comme il doit être le cas pour qu'un médicament soit autorisé à circuler sur le marché. Ce qui présente selon lui un véritable problème. Elles sont aussi incapables pour l'instant d'aller plus loin que dans l'analyse textuelle donnée par des mots, ce qui est loin d'être le seul vecteur d'émotion ou de communication perceptible par un professionnel :
Certes, elles sont tout à fait capables d'analyser les émotions et des situations de détresse à partir de la seule analyse du discours écrit. Cependant, la force du thérapeute est qu'il s'appuie sur une approche plus globale, en se fondant sur le discours mais également sur des microsignaux, tels que des attitudes, des expressions, auxquels les chabots actuels n'ont pas accès. L’humain replace les éléments du discours dans les contextes personnels et culturels des patients, ce dont sont pour l'instant incapables les IA. Enfin, rappelons que ces algorithmes ne peuvent pas couvrir les besoins dans certaines plus pathologies sévères, qui nécessitent par exemple des traitements pharmacologiques.
Source : INTERVIEW - L’intelligence artificielle peut-elle remplacer le psy ? (Le Figaro, 3 octobre 2024).
Dans le National Geographic sur l'incapacité des I.A à gérer l'expression d'émotions négatives de la part des usagers, pourtant essentielle. S'envoyer des ondes positives à soi-même est très bien, mais cela n'aurait rien à voir avec une thérapie. C'est aussi les conclusions de cet article de Science et vie : Mon Psy est une I.A, c'est grave docteur ? qui présente des résultats d'études contrastés.
Les limites et dérives, parfois très dangereuses, pour la santé des utilisateurs sont bien expliquées dans ce petit podcast France Inter : Les chatbots psychologues envahissent les plateformes (mars, 2024).
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