Quelles sont les caractéristiques propres à l'être humain ?
Question d'origine :
Quelles sont les caractéristiques de l'être humain- on a vu que c'est un être moral, que c'est un être qui recherche le plaisir, que c'est un être aussi qui désire aussi un peu la puissance...est-ce un être aussi qui désire l'amour, aimer et être aimé? Bref, pouvez-vous me dire quelles sont ces caractéristiques particulierement humaines qui sont propres à l'être humain, s'il vous plaît? Cela m'intéresse beaucoup
Réponse du Guichet

Dans La Cité de Dieu, Saint-Augustin écrivait : « Ni les lions, ni les dragons n’ont jamais déchaîné entre eux des guerres semblables à celles des hommes. »
Bonjour,
Pour décrire la vulnérabilité, qualité propre de l’homme, Blaise Pascal a écrit :
« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l'écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. »
Mais qu’est-ce que l’homme ?
Définir ce concept philosophique est complexe. Il s’agit là de LA question métaphysique par excellence. Selon le philosophe allemand Emmanuel Kant, « la métaphysique est la philosophie par excellence, la vraie ! ». C’est donc une question riche qui a traversé le temps et intéressé de nombreux penseurs, distinguant alors plusieurs tendances pour définir l’homme et sa spécificité.
Force est tout de même de constater que depuis l’origine de la philosophie, l’homme se distingue des animaux et des objets et ce notamment, par sa capacité à raisonner.
C’est ainsi que durant l’Antiquité Aristote définit l’homme comme un « animal rationnel » (zoon logikon) doté d’une conscience lui permettant de penser de manière abstraite.
Pour Kant au XVIIIème siècle, l’homme se distingue des autres espèces par sa morale. Parce qu’il est digne, il est capable d’agir en fonction de principes moraux.
Au même siècle, Hegel définit l’homme comme un être en devenir. C’est à travers une dialectique, en prenant conscience de lui-même et en étant reconnu comme tel par autrui, qu’il acquiert son humanité.
Marx au XIXème siècle définit l’homme par sa capacité à travailler et à transformer la nature.
Bergson lui emboîte le pas en définissant l’homme comme un « homo faber ». L’homme se distingue donc des autres êtres vivants par sa capacité créatrice notamment en transformant son environnement par des outils et des technologies.
Sartre, en homme du XXème siècle, définit quant à lui l’homme par sa capacité d’exister et d’être libre : « l'existence précède l'essence » ce qui signifie que l’homme choisit d’être à travers ses choix et ses actes. Il n’est pas prédestiné.
Enfin, les philosophes postmodernes tels que Derrida ou Foucault ont remis en cause toutes ces définitions pour souligner le caractère divers de l’identité humaine. Ils ont alors mit l’accent sur la construction sociale de la spécificité humaine. Derrida remets d’ailleurs en cause l’humanisme qui souhaite donner une définition universelle de l’homme. Pour lui, il existe une diversité de l’identité humaine qui est en constante évolution, il s’agit d’un concept fluide. De même, Foucault estime que cette dite « nature humaine » est une construction historique et culturelle.
Si le sujet reste complexe, toutes ces tendances permettent de mettre en avant des caractéristiques bien propres à l’homme ou comme vous le dites « particulièrement humaines » à savoir :
- Des capacités cognitives avancées. Si l’homme est défini depuis les débuts de la philosophie par sa capacité à raisonner c’est car il est capable de penser, résoudre des problèmes mais également de former des pensées abstraites qui ne concernent pas l’expérience immédiate. L’homme sait donc planifier, réfléchir au futur, à l’éthique, à l’identité, la politique.
- Le langage et surtout un langage complexe : l’homme est capable de verbaliser et de symboliser des idées,des émotions et des notions abstraites. Aristote considérait que l’homme se distinguait de l’animal par sa capacité à raisonner et donc sa capacité à communiquer : le langage en tant qu’expression de la raison. Par ce langage complexe, l’homme peut par exemple organiser une communauté par des valeurs communes, fonder des lois car il verbalise des idées politiques et éthiques qui sont des idées complexes que seul l’homme sait mobiliser par le langage.
- La morale. Comme souligné par Kant et vous-même, l’homme possède un sens du bien et du mal qui lui permets de faire des choix éthiques guidant alors ses comportements individuels et sociaux. Pour Kant, la morale est universelle indépendamment des cultures et des différences. Ainsi, chaque individu doit être traité comme une fin en soi et non comme un moyen d'atteindre un objectif. En se faisant, l’homme possède alors une dignité, caractéristique propre de l’humanité selon le philosophe.
- Les émotions. Comme vous l’avez relevé, l’homme est capable de ressentir une large gamme d’émotions. D’ailleurs, une des caractéristiques de l’homme «particulièrement humaine» est de pouvoir ressentir également les émotions de l’autre, ressentir de l’empathie et agir pour le bien-être d’autrui parfois au détriment de lui-même (altruisme). Néanmoins, les recherches scientifiques actuelles tendent à montrer que les animaux seraient également capables de ressentir de l’empathie. Il faut donc nuancer la caractéristique « particulièrement humaine » de l’empathie.
- La sociabilité. Caractéristique importante car elle participe au fait que l’homme soit un être social : ses émotions ont un grand impact sur ses interactions sociales qui lui sont nécessaires pour se développer et construire son identité. L’homme a tendance à vivre en groupe et entretenir ces liens sociaux et affectifs qui sont parfois complexe: coopération/compétition. La vie en société permet également d’établir un système de valeurs et de normes communes essentielles pour développer une culture commune.
- La créativité. Bien qu’elle ne soit pas le propre de l’homme, il a la capacité d’imaginer des idées complexes que cela soit fonctionnel comme pour résoudre des problèmes ou que cela soit de manière esthétique, à des fins artistiques. Il doit cela au fait qu’il est capable de formuler des idées abstraites. Attention cependant, les animaux peuvent également démontrer de la créativité. Sa différence réside dans son degré mais aussi par le fait que la créativité humaine est fortement influencée par des facteurs culturels, sociaux, et historiques ce qui ne semble pas être le cas pour les animaux.
- La culture. Elle reprend tous les éléments cités en haut. L’homme possède l’habilité de créer et transmettre des cultures que ce soit à travers la transmission de connaissances, de traditions ou de valeurs d'une génération à l'autre. Cet aspect permet le développement de pratiques variées et de rituels, cérémonies et croyances qui sont bien propres à l’homme. Bien que les animaux puissent également montrer des systèmes culturels comme certains oiseaux qui arrivent à se transmettre des chants, la richesse et la complexité des cultures humaines en font une caractéristique « particulièrement humaine ».
Enfin, il est intéressant de mettre en lien votre question avec les travaux de l’anthropologue Philippe Descola qui remet en cause l’opposition dualiste classique et simpliste entre nature et culture. A la différence de nombreux philosophes, Descola affirme que l’humanité n’est pas universelle mais bien dépendante de la culture. Il reconnait la complexité des relations humaines et non-humaines. Cette idée rejoint les philosophies de Foucault et Derrida citées précédemment.
En tant qu’anthropologue, Descola explore la manière dont diverses sociétés ont défini l’humain. Il distingue quatre grandes ontologies qui structurent les relations entre humains et non-humains : l'animisme, le totémisme, le naturalisme et le symbolisme. Chacune de ces ontologies a sa propre conception de ce que signifie être humain et de comment l’homme interagit avec la nature.
Pour n’en citer qu’une, l’animisme remet en question la séparation traditionnellement admise entre l’homme et la nature en attribuant une existence propre dotée d’intentions aux éléments de la nature. Ainsi, ceux-ci possèdent souvent des qualités spirituelles, une force vitale avec lesquelles les hommes relationnent. Ils y participent en développant croyances, rituels, cérémonies de manière à honorer ces relations humain/nature. Pour assurer leur propre bien-être, les humains doivent maintenir ces bonnes relations avec leur environnement, la nature.
Pour conclure, l’être humain est un être multidimensionnel et complexe qui a à la fois des caractéristiques biologiques, psychologiques, sociales et culturelles considérées comme propres à l’expérience humaine. Ces caractéristiques que vous appelez « particulièrement humaines » restent encore à débat, car qu’est-ce qui nous rends véritablement humain ?
C’est à vous d’y répondre !
Nous vous recommandons toutefois quelques ouvrages sur la remise en cause du lien entre nature et culture :
- Par-delà nature et culture de Philippe Descola, éditions Gallimard, 2015.
- Diversité des cultures, diversité des natures de Philippe Descola, éditions Bayard, 2010.
- Marcher avec les dragons de Tim Ingold, éditions Points Seuil, 2018.
- L'animal que donc je suis de Jacques Derrida, éditions Galilée, 2011.
- Michel Foucault dirigé par Philippe Artières, Jean-François Bert, Frédéric Gros, Judith Revel, Les Cahiers de l'Herne, 2010.
En vous souhaitant d'agréables lectures ! :)