Question d'origine :
Comment les créateurs de nos lois ont-ils fondé la loi? Quelles sont les difficultés pour fonder la loi?
Réponse du Guichet

Il faut remonter à la Mésopotamie pour voir apparaître de premières lois. Le droit actuel découle d'un long cheminement historique, reposant sur des évolutions sociales, culturelles, politiques ...
Bonjour,
Répondre à votre question équivaut à faire une plongée dans l’histoire du droit. Jean Marie Cabasse l'a extrêmement bien fait dans son ouvrage Les 100 dates du droit ; il retrace les premières lois du moins celles retrouvées et qui concernent avant tout le droit pénal ou le droit de la famille et commence donc son ouvrage avec l'espace mésopotamien :
Même si d’autres « codes » de lois ont pu exister avant celui-ci dans l’espace mésopotamien, c’est le premier qui nous soit parvenu intégralement. Le préambule l’attribue au roi Ur-Nammu, roi de la cité sumérienne d’Ur, mais le corps du texte a peut-être été rédigé par son fils dans la première moitié du XXie siècle avant notre ère. On a pu reconstituer une quarantaine des cinquante-sept « lois » que comporte le code. La plupart de ces dispositions concernent le droit pénal ou le droit de la famille. Le meurtre et le vol sont punis de mort, mais d’autres infractions donnent lieu à de simples peines pécuniaires exprimées en poids d’argent.
C’est le plus célèbre monument juridique de l’ancienne Mésopotamie. Il se présente sous la forme d’une stèle de basalte noir découverte en décembre 1901 par des archéologues français et conservée depuis au Louvre. La stèle comporte deux parties : en haut, un bas-relief qui représente le roi se tenant respectueusement debout devant le dieu solaire Shamash qui lui dicte les lois ; au-dessous, le texte du « code », rédigé en caractères cunéiformes akkadiens. Les lois sont donc d’origine divine, le roi n’étant qu’un intermédiaire entre le dieu et ses sujets. Par une chance extraordinaire, la stèle a été retrouvée intacte, de sorte qu’elle nous donne le plus ancien texte juridique conservé dans son intégralité. Le code commence par un préambule qui fait l’éloge du roi, selon l’usage babylonien, et vante son amour de la justice. Celle-ci est définie comme un programme de gouvernement : « Faire en sorte que le fort n’opprime pas le faible…» Suivent une série de dispositions que le premier éditeur, le professeur Scheil, a réparties un peu arbitrairement en 282 « articles ». Ils concernent la vie religieuse, l’organisation sociale, familiale et économique, la justice et le droit pénal… L’échelle des peines est soigneusement précisée, sur le principe du talion ; l’ordalie est possible, dans certains cas, à défaut de témoignages. Le « code » de Hammourabi a influencé l’ensemble des législations ultérieures du Moyen-Orient, à commencer par les codes bibliques, beaucoup plus tardifs.
A ces lois s’ajouteront plus tardivement les lois divines. Les Tables de la Loi en sont une illustration :
Les Hébreux tiennent leur droit de la divinité. Il s’agit ici du Dieu unique dont les chrétiens comme les musulmans recueilleront l’héritage. L’Exode (sortie d’Égypte) du peuple hébreu a vraisemblablement eu lieu à la fin du xiiie siècle, à l’époque du pharaon Ramsès II (?), mais cette datation est très discutée. De plus, si Moïse est supposé avoir reçu de Dieu les Tables de la Loi sur le Sinaï juste après la sortie d’Égypte, au début de la longue pérégrination qui a conduit le peuple d’Israël jusqu’à la Terre de Canaan, après le passage de la mer Rouge, la rédaction de la Bible a été bien postérieure. Les cinq premiers livres (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) sont appelés « la Loi » (Torah) par les juifs et Pentateuque par les chrétiens (penta : cinq). On attribue la publication de la Loi au roi Josias, à la fin du viie siècle, ou même au scribe Esdras, au milieu du ve siècle. Que la date de formation ou de composition du Pentateuque soit ainsi très incertaine ne doit pas nous dispenser de la faire figurer au nombre des 100 dates du droit, car l’influence de cette législation a été extrêmement importante tout au long des siècles suivants et jusqu’à nos jours. En effet, la Torah ne comporte pas seulement les célèbres « Dix Commandements » ou Décalogue (que l’on trouve deux fois dans le Pentateuque : au livre de l’Exode [20, 2-17] et dans le Deutéronome [5, 6-21]), il comporte aussi le « Code de l’Alliance » (Exode, 20 à 23), codification des us et coutumes des 12 tribus d’Israël après leur sédentarisation en Canaan. C’est donc un droit commun à l’ensemble du peuple qui regroupe des prescriptions religieuses (rejet des dieux étrangers, statut des prêtres, célébrations…), mais aussi des règles relatives aux rapports sociaux (comme le traitement des esclaves) et du droit pénal (loi du talion, etc.). Alors que le premier des Dix Commandements avait posé l’interdit « Tu ne tueras pas » sans exception ni réserve, le Code de l’Alliance admet la peine de mort pour l’homicide (« Vie pour vie ») ou pour certains comportements assimilés à des crimes religieux, comme la bestialité (Exode, 22, 18). Outre le Décalogue et le Code de l’Alliance, le Lévitique, troisième livre du Pentateuque, énonce aussi un grand nombre de « lois ». Son nom le désigne comme « Code sacerdotal » (code des Lévites), mais en réalité il réglemente la vie quotidienne de l’ensemble du peuple, et pas seulement des Lévites, par exemple en faisant le départ entre le « pur » et l’« impur » (d’où les interdits alimentaires, entre autres) …
Les lois s’accompagnent de jugements qui ne sont pas toujours évidents. Il en est ainsi du Jugement de Salomon qui alors que deux femmes se disputaient le même nouveau-né ordonna que l’enfant soit coupé en deux et que chacune des mères prétendues en reçoive une moitié.
Plus tard, en 451-450 la loi des douze tables
constitue le fondement du droit civil – celui qui, par définition, est réservé aux citoyens romains (cives) – et sera entouré jusqu’à la fin de l’Empire d’une constante vénération. D’après la tradition, sa rédaction fut le résultat d’une campagne politique menée à partir de 462 par un tribun de la plèbe pour obtenir des patriciens que les limites du pouvoir politique (imperium) des consuls soient fixées par la loi et qu’ainsi les droits de tous les citoyens, plébéiens compris, soient connus et garantis. Après avoir résisté quelques années, les patriciens cèdent en 454 et acceptent la création d’un collège de magistrats spéciaux, les décemvirs (les « dix hommes ») « chargés de rédiger les lois au sujet de l’imperium des consuls
L’auteur mentionne également le code théodosien en 438 qui est
le premier « code » officiel promulgué à Rome depuis les XII Tables. À partir du iiie siècle, et plus encore aux ive et ve, les lois (désormais faites par les empereurs) se sont multipliées. Dans un contexte social profondément troublé par les menaces extérieures, la crise des anciennes valeurs, le recul économique, l’État a réagi par une législation foisonnante portant sur toute sorte d’objets : organisation familiale, vie des métiers, condition des paysans, administration locale, régime des prix, ravitaillement et transport des marchandises, vie religieuse, protocole de la cour impériale, etc.
Nous vous laissons poursuivre cette lecture qui vous permettra de comprendre comment ont été établies les lois et quelles sont celles-qui régissent encore notre société.
Vous pourriez compléter cette approche en parcourant un ouvrage du même auteur, Histoire du droit puis lire des ouvrages plus spécifiques comme Crimes, genre et châtiments au Moyen-âge : hommes et femmes face à la justice, XIIe-XVe siècle, Une histoire des droits dans le monde, La Constitution de 1958 à nos jours, Une brève histoire du droit en Europe : les 2.500 dernières années, Histoire de l’histoire du droit.
Vous pourriez aussi jeter un coup d’œil aux divers numéros de la revue Histoire de la justice publiée par l'Association Française pour l'Histoire de la Justice.
Enfin, pour ouvrir votre réflexion sur des sujets similaires, nous vous renvoyons sur deux réponses précédentes :
Bonne journée,
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