Question d'origine :
Avons-nous tous des consciences différentes? En effet, on dit souvent d'un malfaiteur 'il n'a pas de conscience' mais la réalité n'est elle pas que nous avons des remords, des émotions, des état d'âme différents par rapport à différentes choses selon qui on est, chacun selon son individualité qui lui est propre? On peut être très conscencieux dans un domaine et pas du tout dans l'autre. Il y a des idéalistes politiques qui sont très désagréable avec les gens par exemple. Qu'est ce qui a créé la conscience qui est unique pour chacun d'entre nous?
Réponse du Guichet
La question de la conscience se pose depuis le début de l'ère moderne. Aujourd'hui, malgré les progrès de la science, la question de ce qu’est la conscience humaine n’est pas tout à fait résolue.
Pour comprendre la notion de conscience, il faut, tout d’abord, distinguer la conscience morale – le fait d’évaluer et de juger nos actions -de la conscience psychologique, qui pose plus de problèmes. La conscience correspond à la faculté de vivre des expériences et de s’en rendre compte. Il s’agit aussi bien des expériences extérieures – marcher en contemplant un paysage ou écouter un concert de musique – que d’expériences intérieures, qui résultent de la conscience réfléchie, comme par exemple le fait d’avoir conscience de ses propres pensées.
Le terme ‘conscience‘ vient du latin ‘conscientia’ et se décompose en deux parties: 'cum'- ‘avec’ et ‘scientia’ – la science. Il s’agit de la ‘connaissance partagée avec un autre’ car, dans l’Antiquité, seul le ‘noûs’, l’esprit connaissant, avait de la valeur. C’est la modernité philosophique qui a donné à l’être une conscience. Pour Pascal, la conscience révèle à l’homme les limites de son existence.
Selon Descartes, la conscience de soi est une certitude première et c’est à travers elle essentiellement que l’homme se définit. L’être humain en fait l’expérience avec le cogito – "je pense, donc je suis". Il peut douter de tout, mais pas de sa propre pensée, mais même lorsqu’il doute, il sait qu’il doute. C’est un être pensant et c’est à partir de cette constatation que s’érige le socle solide de son identité.
Contrairement à Descartes qui définit la conscience comme une chose, Kant la présente comme une activité. Si elle est une fonction nécessaire de la pensée humaine, elle ne donne pas à l’humain la connaissance de ce qu’il est. Le philosophe anglais John Locke élargit le champ de réflexion sur la conscience qui n’est pas seulement celle de l’expérience immédiate, mais relève également du passé, porté par la mémoire. Celle-ci ne conserve pas uniquement les souvenirs conscients, mais il y a une part fondamentale de notre personnalité qui relève de l’inconscient. Si Leibniz et Nietzsche enrichissent les idées déjà existantes sur l’inconscient, Sigmund Freud lui confère une forme d’autonomie et l’étudie à partir de cas cliniques. Dans sa théorie psychanalytique, il distingue les trois niveaux de la personnalité humaine: le ça, le moi et le surmoi. Le ça en est la partie obscure et contient les pensées inavouables, le surmoi correspond aux interdits sociaux. C’est le moi qui endosse le rôle de l’arbitre et concilie le ça avec le surmoi et la réalité qui nous entoure. Dans cette optique, la conscience qui était perçue comme la maîtresse de la personnalité humaine, apparaît, selon les dires de Freud, comme «une pauvre créature devant servir trois maîtres».
Dans "L’énergie spirituelle" de 1919, Henri Bergson
ancre le doute sur une conscience qui serait partagée par les êtres humains:
N’exigeons pas l’évidence complète, rigoureuse, mathématique: nous n’obtiendrons rien. Pour savoir de science certaine qu’un être est conscient, il faudrait pénétrer en lui, coïncider avec lui, être lui. Je vous défie de prouver, par expérience ou par raisonnement, que moi, qui vous parle en ce moment, je suis un être conscient.
Aujourd’hui, les scientifiques croisent les disciplines afin d’explorer la conscience, sa genèse, ses liens avec la pensée et le corps humains, tant la question reste complexe. C’est surtout en associant les neurosciences, la psychologie cognitive et la philosophie que les chercheurs découvrent de nouveaux champs d’investigation et de compréhension de ce qu’est la conscience humaine. Un regard qui a tendance à s’appuyer de plus en plus sur les considérations issues de la recherche biologique et médicale.
Vous trouverez ci-dessous une sélection bibliographique à travers laquelle se profile à la fois une méthodologie de recherche qu’une série de questionnements, dont certains rejoignent clairement la problématique que vous posez :
La conscience, l'inconscient, le sujet / Jean-Paul Ferrand, Ellipses, 2018 ;
La conscience et l’ordre des valeurs humaines, article écrit par Henri EY, neurologue et médecin psychiatre.
Nous vous souhaitons une agréable lecture !
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