J'aimerais étudier le lien entre la littérature et le cinéma dans la culture américaine
Question d'origine :
Bonjour,
Je travaille actuellement sur un projet scolaire. Pour cela, j'aimerai étudier le lien entre la littérature et le cinéma dans la culture américaine (États-Unis). Ainsi, j'aimerai comprendre l'influence que la littérature a pu avoir sur l'industrie du cinéma aux États-Unis, ainsi que les possibles événements, changements qui ont occuré lors de cette rencontre de ces sujets au fil du temps.
Si vous auriez des sources auxquelles je pourrai me référer, cela me serait de grande aide. Les références en anglais ou en français me vont.
Merci.
Réponse du Guichet

Au fil du temps, l'adaptation filmique a toujours été essentielle au septième art : qu'il s'agisse du recours aux corpus théâtraux classiques pour donner au nouveau média une aura de respectabilité, de l'utilisation des romans noirs et de la littérature de genre pour populariser la cinématographie, ou de la pratique actuelle d'adaptations visant à capter un public déjà acquis (par exemple les adeptes des romans de Jane Austen, de best-sellers comme Twilight ou des jeux vidéo comme Doom). Ce sont des sources infinies d'inspiration de personnages et de sujets.
Même si l'adaptation est parfois dénigrée par un public amateur des textes sources ou rétif à des films littéraires, les deux disciplines s'enrichissent mutuellement et la fascination est réciproque.
Au delà de la réception du public, des problématiques esthétiques apparaissent sur la nature de la transposition de l’œuvre originale et les nouvelles expériences du romanesque et de la mémoire induites par l'adaptation cinématographique. Au delà de ces réflexions théoriques sur les similitudes et différences entre le film et le texte, les enjeux du phénomène sont aussi d'ordre sociétales et économiques : les tabous et conservatismes sociétaux influencent les adaptations qui sont également soumises à des impératifs de rentabilités.
Bonjour,
Vous recherchez des sources documentaires pour comprendre l’influence et les répercussions que la littérature a pu avoir sur l’industrie du cinéma des États-Unis au fil du temps.
L’article Universalis Roman et cinéma de Jean-Louis Leutrat ainsi que plusieurs ouvrages présents dans nos collections sur littérature au cinéma, l'adaptation dans le cinéma américain et le cinéma américain vous donneront des premiers éléments de réponse sur l’influence mais aussi les problématiques soulevées par les adaptations littéraires dans le cinéma mondial et notamment américain.
Concernant l’influence au fil du temps de la littérature sur l’industrie du cinéma américain, l’article Universalis Roman et cinéma montre que très tôt les œuvres romanesques du XIXe siècle ont été prises en considération par les cinéastes américains au même titre que le corpus théâtral. La renommée attachée à certains noms (Shakespeare) ou à certains titres était un bon argument commercial et offrait à la demande des sujets, des personnages, des situations, etc.. C'est ainsi qu'à l'origine des westerns on trouve souvent des œuvres appartenant au registre de la littérature populaire (dime novel).
Dans les années 1920, le cinéma hollywoodien réalisait chaque année plus de huit cent long métrages dont les scénarios puisaient majoritairement leurs sources dans l’adaptation des textes littéraires. Deux succès cinématographiques mondiaux réalisés aux États-Unis sont des adaptations de Margaret Mitchell et de Frank L. Baum, soit un roman historique et mélodramatique Autant en emporte le vent, et un conte destiné aux enfants Le Magicien d'Oz réalisés par Victor Fleming. Actuellement, la littérature de genre, fertile en intrigues, nourrit l’adaptation de l’œuvre romanesque au grand écran.
Entre roman et cinéma s'est instaurée une influence réciproque aux États-Unis comme en Europe. Un ouvrage intitulé Anthologie du cinéma invisible (1995) rassemble cent scénarios ayant pour auteurs principalement des écrivains fascinés par ce jeune art. Parmi les noms de ces écrivains figure celui d’Henry Miller.
Inversement, des cinéastes sont passés à l'écriture de romans comme Orson Welles (Une grosse légume...). Il y a aussi le cas des cinéastes qui ont débuté par le roman mais ont abandonné cette voie sans s'y être suffisamment affirmés : Chris Marker avec Le Cœur net.
L’une et l’autre discipline s’enrichissent mutuellement, comme l’‘aborde Littérature et cinéma de Danielle Bajomée. L'ouvrage Cinéma et littérature : le grand jeu montre que le cinéma comme émanation du monde moderne traverse également l'écriture littéraire.
Concernant les effets de cette influence, l’article Universalis Roman et cinéma montre que les liens entre cinéma et littérature convoquent plusieurs sujets de réflexion esthétique comme les considérations sur la nature de la transposition des textes littéraires et la réinvention du romanesque par le cinéma. Voir un film éveille le désir d'en parler, de le raconter, de le réinventer avec des mots. La projection cinématographique est également une expérience neuve de la mémoire et du temps dont rend compte l'essai de Jean Louis Schefer, L'Homme ordinaire du cinéma (1980).
Au sujet de la transposition :
Souvent, les considérations sur la transposition des grands textes de la littérature fantastique ne prennent pas en compte le fait que les adaptations cinématographiques de ces sujets sont fréquemment conçues à partir de pièces de théâtre qui ont été écrites d'après les romans. Tod Browning s'est appuyé, pour son Dracula (1931), sur la pièce de Hamilton Deane et John L. Balterstone, et non sur le roman de Bram Stoker. La question de l'adaptation se complique alors singulièrement. Article Universalis Roman et cinéma de Jean-Louis Leutrat.
100 films : du roman à l’écran étudie l'art et la technique de l'adaptation à travers 100 cas concrets. On y découvre qu'il n'existe pas de méthode miracle pour adapter un roman, mais qu'adapter revient toujours à faire des choix, et qu'il existe mille façons de trahir, dont certaines s'avèrent plus fidèles à l'esprit de l'auteur que la pure servilité.
L’adaptation cinématographique effectue en effet de nombreux déplacements du récit et est re-lecture de la matière littéraire, comme l’étudie L'adaptation cinématographique des textes littéraires de Michel Serceau. S'appuyant sur la notion de travail, l'auteur interroge ce qui motive, dynamise ou limite les auteurs d'adaptation.
Dans L’adaptation littéraire au cinéma de Francis Vanoye, de nombreux exemples de films américains questionnent ces processus de réinterprétation.
Pour étudier les effets sociétaux comme économiques de l'adaptation dans le cinéma anglophone, nous vous conseillons la lecture du livre ci-dessous dont le texte intégral est disponible sur Open edition books :
De la page blanche aux salles obscures : adaptation et réadaptation dans le monde anglophone de Wells-Lassagne, Shannon (1972-....) aux Presses universitaires de Rennes, 2019.
L'ouvrage réunit quinze spécialistes qui traitent de certains aspects de l'adaptation : les impératifs économiques, le contexte sociétal et le statut de l'auteur cher à la Nouvelle Vague. Le livre se conclut avec trois articles qui proposent une méthodologie de l'étude de l'adaptation, incitant le lecteur à son tour à se livrer à des études d'adaptations.
L'autrice Hélène Charlery fait état des conséquences d’une des nombreuses interdictions mises en place par le Code Hays entre 1934 et 1956, à savoir l’impossibilité de montrer le métissage à l’écran. Charlery s’interroge ainsi sur l’évolution des tabous, et sur le conservatisme idéologique du cinéma grand public par rapport à la littérature, l’industrie cinématographique étant plus soumise aux impératifs économiques et commerciaux.
C’est à un niveau plus structurel que Nathalie Dupont prend en compte le contexte économique, industriel et financier : elle montre en effet qu’on ne peut comprendre la popularité et le nombre élevé de productions adaptées et réadaptées d’œuvres littéraires aux États-Unis sans connaître les évolutions récentes de l’industrie cinématographique américaine. La popularité de la reprise et du remake témoigne ici de choix industriels prudents et frileux, puisque l’adaptation, et surtout la ré-adaptation d’œuvres à la réputation déjà établie, constituent des produits à la rentabilité presque acquise.
Émanations d’un contexte et d’une époque, ces films n’en sont pas moins réalisés par des auteurs dont la création est originale. Mais si cette notion d’auteur est la plupart du temps assez simple pour une œuvre littéraire (l’auteur du livre, c’est celui ou celle qui l’a écrit), elle l’est beaucoup moins dans le cadre d’un film (œuvre collective), a fortiori d’une adaptation. Peut-on établir des niveaux d’autorité, depuis l’auteur littéraire jusqu’au(x) scénariste(s), ou bien faut-il considérer que le réalisateur seul devrait être considéré comme créateur, comme le prônait la Nouvelle Vague ? La faculté de percevoir un film comme adaptation est parfois difficile à cerner, notamment dans le cas d’histoires qui sont entrées dans la mémoire collective.
En fin de cet ouvrage vous trouverez des références bibliographiques anglophones et francophones.
Aller plus loin sur Internet
Avec Radio France : Cinéma et littérature: des liaisons fructueuses, série en 5 épisodes provenant du podcast Un Autre Jour est possible sur France Culture.
Morency, Alain, « L’adaptation de la littérature au cinéma », Horizons philosophiques, volume 1, numéro 2, printemps 1991, p. 103–123.
Loughney, Patrick, « Le Scénario américain en 1904 », Études littéraires, volume 26, numéro 2, automne 1993, p. 47–55.
Baby, François, « Du littéraire au cinématographique : une problématique de l’adaptation », Études littéraires, volume 13, numéro 1, avril 1980, p. 11–41.