Quels documents seraient les plus percutants pour rendre hommage à Maryse Condé ?
Question d'origine :
Bonjour,
En tant que bibliothécaire, je souhaiterais rendre hommage à Maryse Condé.
J'aimerais constituer une bibliographie sur sa vie, son engagement, son œuvre. Elle serait accessible pour des publics adolescents et adultes.
Quels documents seraient les plus percutants, les plus marquants et connus, écrits par Maryse Condé ou ayant pour sujet elle-même, tout en évitant la redondance des ouvrages ?
Merci d'avance pour votre réponse,
Coline L
Réponse du Guichet
Grande voix de la littérature française, Maryse Condé s’est éteinte, le 2 avril 2024. Son parcours et son engagement se confondent avec son œuvre qui n’a eu de cesse de questionner la mémoire de l’esclavage et les effets persistants de la colonisation, à l’instar d’un Aimé Césaire ou d’un Édouard Glissant.
Bonjour,
Née, en Guadeloupe, à Pointe-à-Pitre, en 1934, dans une famille de la bourgeoisie noire, une rareté à l’époque, Maryse Condé se trouve ainsi, dès le début, dans un entre-deux (ni dans la communauté blanche, ni dans la communauté noire et pauvre), qui va caractériser son œuvre et sa vie. C’est ainsi que les personnages de Maryse Condé sont très souvent déplacés, comme dans Célanire cou-coupé (2000), où nous suivons l’héroïne de la Côte d’Ivoire au Pérou, en passant par Cayenne et la Guadeloupe, dans sa quête des origines.
Elle vit à Paris, depuis ses 16 ans, lorsqu’elle découvre le livre qui va éveiller sa conscience politique. Il s’agit du Discours sur le colonialisme d'Aimé Césaire (1950). Elle explique ce choc :
«Bien que née à la Guadeloupe, l’île voisine (de Césaire), alors que je connaissais sur le bout des doigts Rimbaud, Apollinaire, Gérard de Nerval, je n’en avais jamais entendu parler. C’est que ma mère m’avait endormie en me lisant les contes de Perrault, ma main serrée dans celle de Cendrillon ou de la Belle au Bois Dormant. A douze ans je connaissais tout Victor Hugo. Vue cette éducation, je croyais que les Noirs poussaient aux Antilles comme les goyaves poussent aux goyaviers et les fleurs parfumées de l’ylang-ylang aux arbres du même nom. Natifs natals. Je ne savais pas qu’ils étaient parvenus dans les îles de la Caraïbe au terme d’une douloureuse dépossession.»
Elle décide alors de partir vivre en Afrique, à l’âge de 22 ans, à la recherche de ses racines, qu’elle ne trouvera pas vraiment. Pleine d’une vision romantique de l’Afrique et voulant recréer les liens rompus par l’esclavage, elle ne rencontrera que rejet et incompréhension de la part de la population. Elle reviendra sur cette expérience dans La vie sans fards (2012). Elle puisera également dans l’échec de cette quête identitaire la matière de ses premiers romans. Tout d’abord avec son premier roman Heremakhonon (1976) récit quasi autobiographique de sa vie en Guinée Puis surtout, avec l’essentiel Segou, en 1984, une fresque historique en deux volumes sur la destruction de l’empire Bambara par les forces coloniales françaises, qui va la révéler au grand public.
Après cet exil africain et un passage par la case Paris, elle retraversera les océans et les continents, comme ses personnages, pour s’installer de nouveau en Guadeloupe, dans les années 80 puis aux États-Unis, où elle débutera une riche et longue carrière universitaire.
Toujours mue par le désir de comprendre les identités plurielles et la mémoire de l’esclavage notamment, elle va écrire des sagas, qui racontent l’ascension sociale de familles caribéennes sur plusieurs générations comme par exemple dans La vie scélérate (1987) ou encore dans La migration des cœurs (1995). Dans ce dernier texte, elle reprend la trame narrative des Hauts de Hurlevent dont elle transpose l’intrigue dans le contexte de la Guadeloupe sur fond de tensions sociales et identitaires. Soit une parfaite illustration du métissage qui caractérise l’œuvre de Maryse Condé, elle qui était rétive à toute étiquette: «J’aime à dire que je n’écris ni en français, ni en créole. Mais en Maryse Condé.».
Son meilleur livre pour beaucoup reste Moi, Tituba sorcière de Salem (1986), sur le destin de cette esclave prise dans la tragédie des sorcières de Salem au 17e siècle. Maryse Condé donne une existence et une voix à cette invisible de l’Histoire dans un magnifique roman que n’aurait pas renié Toni Morrison. A noter que le roman a fait l'objet d'une adaptation théâtrale plutôt réussie.
Cette réponse a été rédigée à l'aide des articles et émissions suivants :
- Mort de Maryse Condé : récit d'une vie sans fards entre trois continents
- Disparition de Maryse Condé : la puissance des voix occultées
- Maryse Condé une auteure insaisissable
Bonnes lectures !