Quels intérêts la France a-t'elle de conserver un territoire ultramarin comme Mayotte ?
Question d'origine :
Bonjour. Je me suis renseignée sur l'histoire de Mayotte, et j'ai compris le traité de cession à la France.
Cependant, je me demande quel est l'intérêt actuel pour la France de conserver ce territoire. Est-ce l'existence de ressources minières ? Si oui, lesquelles ?
Merci !
Réponse du Guichet

Mayotte,101ème département français, tragiquement ramené sous les feux de l’actualité avec le cyclone Chido en décembre 2024, fait partie géographiquement de l’archipel des Comores.
Cet archipel est uni par une histoire en commun, mais coupé en deux par une frontière du fait que Mayotte est devenue française en 1841 par un traité de cession, est restée française en 1974 par décision des Mahorais dans un contexte d'antagonisme politique avec le gouvernement des Comores, puis devenue département en 2011, et région européenne en 2014.
En 1841, la cession de Mayotte répond à la politique d'expansion maritime de la monarchie de Juillet : cette île constitue alors un jalon stratégique dans le projet de domination française visant surtout Madagascar.
Les raisons géostratégiques ont évolué aux aux XXe et XXIe siècles en restant parfois des non-dits : la région est notamment un centre d’écoute et de surveillance du canal du Mozambique et une zone économique de 2,5 millions de km2 au sein d’une zone maritime sous juridiction française de 17 millions de km2.
Outre une zone économique exclusive (ZEE), Mayotte offre à la France une biodiversité importante, des ressources minérales, hialeutiques et des gisements d'hydrocarbures : la presse régionale évoque la présence de pétrole et de gaz dans le Canal de Mozambique en général et entre l’île au lagon et Madagascar en particulier.
En passant outre le droit international, la France réaffirme la souveraineté française sur ce territoire ultramarin dans une logique de compétition internationale. Mais les défis sont de taille : pressions démographiques, politiques, sociales... Avec le cyclone Chido, tout est à reconstruire mais il faut d’urgence réfléchir à un modèle durable en termes écologiques et politiques : comment résoudre les contradictions entre l’appartenance géographique de Mayotte à l’archipel des Comores et son appartenance politique à la République française ?
Bonjour,
Vous vous questionnez sur les intérêts actuels de la France à conserver le territoire de Mayotte.
Mayotte (374 km2, 300 000 habitants),101ème département français, fait partie géographiquement de l’archipel des Comores. Cet archipel est uni par une histoire en commun, mais coupé en deux par une frontière du fait qu’elle est restée française, puis devenue département, et région européenne. Les trois autres îles (Anjouan, Moheli et Grande Comore) forment l’Union des Comores, un pays indépendant qui revendique Mayotte comme partie de son territoire national.
A ce propos, l'article "Mayotte : ambiguïtés et non-dits d’une situation (post)coloniale in The Conversation (France), 12 février 2024" est disponible sur la plateforme Europresse.
Revenons brièvement sur l’histoire de la départementalisation française de Mayotte bien documentée sur l'encyclopédie Universalis par Guy Fontaine dans son article en ligne sur Mayotte, sur France culture et sur le site gouvernemental Préfet de Mayotte.
C'est effectivement en 1841 que Mayotte est vendue à la France par son sultan, Adrian Souli, alors que l'île est en proie à de nombreuses menaces (razzias d'esclaves par les Malgaches, pillages, guerres de succession, etc...). Mayotte devient dès lors protectorat français. Puis l'ensemble de l'archipel des Comores devient colonie française, sous l'autorité du gouverneur de Mayotte en 1892, puis de celui de Madagascar, en 1912.
Le 22 décembre 1974, à l'occasion d'une consultation d'autodétermination, seuls les habitants de Mayotte votent largement (64%) pour le maintien au sein de la République française. Les habitants d'Anjouan, de Moheli et Grand Comore votent quant à eux à plus de 95% pour l'indépendance. La France décide alors de prendre en compte les résultats île par île, et ce, en violation du droit international. La loi du 24 décembre 1976 dote alors Mayotte d'un statut provisoire de Collectivité Territoriale de la République.
Le référendum du 29 mars 2009 entérine le statut de collectivité territoriale, et, le 31 mars 2011, Mayotte devient officiellement le 101ème département français et le 5ème département d’outre-mer.
Mayotte a accédé depuis le 1er janvier 2014, au statut de région ultra périphérique (RUP) de l'Union Européenne et elle peut donc bénéficier des fonds européens structurels et d'investissement en faveur de son développement socio-économique et environnemental.
Considérons maintenant les intérêts géopolitiques de la France à Mayotte qui ont évolué au fil du temps.
En passant outre le droit international, la France a été condamnée à plus de 20 reprises par l'Assemblée Générale de l'ONU pour sa présence à Mayotte. Par exemple, le 21 octobre 2016, une résolution "condamne énergiquement la présence de la France à Mayotte, qui constitue une violation de l'unité nationale, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de la République indépendante des Comores."
Il faut dire que la France n'a aucun intérêt à abandonner ce territoire qui lui permet de renforcer, avec l'île de la Réunion, sa présence stratégique dans l'Océan indien et précisément dans le canal du Mozambique.
En 1841, le traité de cession s'inscrit pour la France dans une volonté d'expansion impérialiste et de concurrence avec La Grande-Bretagne. La cession de Mayotte permet à la France de prendre pied dans l'archipel avec l'objectif de coloniser Madagascar, comme nous l'explique l'anthropologue Sophie Blanchy, spécialiste de Mayotte.
A cette période, des concessionnaires européens et réunionnais tentent de faire prospérer Mayotte en île à sucre, de 1846 à 1886, puis à plantes à parfums (ylang-ylang).
"Il faut rappeler que cette période est celle du début des grandes expansions impérialistes" nous explique l'anthropologue Sophie Blanchy, spécialiste de Mayotte. "La France est dans l'océan Indien depuis quelques temps, mais aussi en concurrence avec la Grande-Bretagne à cette époque. Ces îles sont ravagées par des compétitions, des rivalités et des guerres, soutenues par le trafic d'esclaves qui est la principale ressource à l'époque pour tous les dirigeants. Et quand la France arrive à Mayotte, la France prend pied dans l'archipel avec l'objectif final de coloniser Madagascar, projet sur lequel elle est en concurrence avec la Grande-Bretagne".
En 1970, l'intérêt géostratégique concerne le canal du Mozambique avec le passage des pétroliers, mais il existe maintenant d'autres influences, en Afrique et dans l'océan Indien, comme l'explique l'anthropologue Sophie Blanchy.
En effet, un article de France culture sur la politique diplomatique de la France à Mayotte nous éclaire sur la diplomatie française actuelle à Mayotte et son influence dans l'Océan Indien :
Malgré la condamnation par l'ONU de sa présence à Mayotte, et malgré les nombreux défis (spécificités géographiques, pressions démographiques, politiques, sociales, développement futur), il s'agit de conserver ce territoire ultramarin pour renforcer sa présence stratégique dans l'Océan indien et précisément dans le canal du Mozambique qui constitue l’une des principales routes énergétiques d’hydrocarbures mondiales. Des puissances du Nord et du Sud y livrent une bataille sécuritaire mais aussi une farouche guerre économique et d’influence motivée par les richesses potentielles et avérées dont regorgent les sous-sols terrestres et marins de la région : poissons, minerais, gaz, pétrole.
L'article "Mayotte : ambiguïtés et non-dits d’une situation (post)coloniale in The Conversation (FR)" disponible sur la plateforme Europresse nous éclaire sur d'autres raisons stratégiques : la surveillance des zones économiques exclusives (ZEE) françaises ainsi que le contrôle des ressources halieutiques et d'éventuels gisements d'hydrocarbures.
Aux côtés de La Réunion, Mayotte fournit une base aux forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi). Il s'agit de surveiller les zones économiques exclusives associées aux possessions françaises, en particulier les îles Eparses (Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da India, Europa) éparpillées le long du canal du Mozambique, d'en contrôler les ressources halieutiques, ainsi que d'éventuels gisements d'hydrocarbures. Pour ces Fazsoi, une autre mission consiste à lutter contre la piraterie et l'immigration illégale. Avec les "grandes oreilles" de sa station d'écoute plantée, en 1998, sur les flancs du cratère Dziani, sur Petite-Terre, le renseignement français surveille la zone.
Source : la plateforme Europresse : Mayotte : ambiguïtés et non-dits d’une situation (post)coloniale in The Conversation
En savoir plus sur Ce pétrole qui pollue la coopéraion régionale Sur France info Mayotte (22 sept. 2017) :
La presse régionale et africaine évoque depuis 2011 la présence de pétrole et de gaz dans le Canal de Mozambique en général et entre l’île au lagon et Madagascar en particulier.
Mayotte serait donc concernée par deux gisements jugés importants par des prospecteurs internationaux. Les Comores ont déjà créé leurs organismes de gestion de la manne à venir et des têtes sont déjà tombées avant la première goutte d’or noir. Dans leur dossier, les autorités comoriennes ont inclus la zone économique exclusive autour de Mayotte. La France mise devant le fait accompli, tenterait de sauver ce qui peut encore l’être en échangeant la presque circulation sans entrave des ressortissants comoriens vers Mayotte contre l’exploitation des hydrocarbures enfouis sous les quatre îles de l’archipel des Comores.
Source : France Info Mayotte
En savoir plus sur les ressources halieutiques à Mayotte et ses problématiques environnementales.
En savoir plus sur les gisements de pétrole et de gaz en Ocean Indien ainsi que les Ressources en hydrocarbures de la France.
En savoir plus sur les ressources des Zones Economiques Exclusives Ultramarines françaises.
L'article de l'Opinion "Mayotte, un département vraiment stratégique pour la France ?" disponible sur la plateforme Europresse, nous informe également de la présence des services secrets français à Mayotte et souligne l'affirmation renforcée de la souveraineté française sur ce territoire ultramarin dans une logique de compétition internationale.
Sur l'île de Petite-Terre à Mayotte, des bâtiments discrets et des antennes : c'est la station d'écoutes de la DGSE, les services secrets français. Installée en 1998, elle permet d'espionner les communications dans le sud de l'Afrique et de l'océan Indien.
La souveraineté sur Mayotte assure également à la France une vaste zone économique exclusive (ZEE) : près de 70000 km2, soit près de 200 fois la superficie de l'archipel mahorais. C'est toutefois beaucoup moins que la ZEE induite par les îles françaises inhabitées du canal du Mozambique, de l'ordre de 360 000 km2.
"L'affirmation renforcée de souveraineté sur ses espaces maritimes s'inscrit, pour la France, dans une logique de compétition internationale", notent les universitaires Pascale Ricard et Denys-Sachin Robin dans L'Atlas des espaces maritimes de la France (Editions A. Pedone, 2022), qui ajoutent que "la présence de la France renforce sa position au coeur de l'océan Indien ".
Source : la plateforme Europresse : Mayotte, un département vraiment stratégique pour la France ? in L'Opinion
Le site FRS (Fondation pour la Recherche Stratégique) se penche sur la présence militaire et diplomatique française en Indo-Pacifique pour la défense des intérêts de souveraineté et de la stabilité en Indo-Pacifique.
Les tensions militaires en Indo-Pacifique se sont accrues ces dernières décennies sur fond de rivalités stratégiques, de différends territoriaux, de prolifération nucléaire, et de forte hausse des budgets militaires. Puissance de l’Indo-Pacifique avec ses territoires ultramarins et les zones économiques exclusives associées, la France y défend des intérêts de souveraineté grâce à 7 000 personnels déployés de manière permanente et 5 commandements militaires.
Source : Le site FRS (Fondation pour la Recherche Stratégique)
Au delà des intérêts géostratégiques français, le rattachement français voté en 1974 par Mayotte s'inscrit aussi dans un contexte historique de rivalités et d'antagonismes politiques forts entre Mayotte et le gouvernement Comorien. Libération dans son article "Pourquoi Mayotte a été départementalisée" pose la question : Pourquoi Mayotte reste-t-elle française?
Dans un reportage du JT de TF1 en 1975, le fondateur du mouvement populaire mahorais (MPM) Marcel Henry explique : "On a connu des répressions assez féroces de la part du gouvernement comorien. Alors, quand on fait le parallèle entre les deux régimes, nous préférons de beaucoup dépendre encore de la France."
Créé en 1958, le MPM a toujours plaidé pour "le maintien de Mayotte sous administration française et son accession au statut de département français", rappelle la chercheuse et documentariste Mamaye Idriss dans un article sur "Mayotte département: la fin d'un combat".
"Ce choix [de rester français] est à l'origine d'un contentieux international avec les autorités comoriennes, qui n'ont jamais admis le maintien de la souveraineté française sur Mayotte, contentieux qui perdure jusqu'à ce jour", notait le Sénat en 2012.
Source : Libération dans son article "Pourquoi Mayotte a été départementalisée"
Ce sujet est traité aussi par Mamaye Idriss dans son article disponible sur Cairn "Mayotte département, la fin d'un combat ? Le Mouvement populaire mahorais : entre opposition et francophilie (1958-1976)"
En conclusion
L'anthropologue Sophie Blanchy regrette que "les gouvernements français successifs ne veulent pas envisager le coût s'ils veulent rester à Mayotte. : "Il y a un coût, et aussi il y a une méthode, il y a une manière et on ne peut pas séparer Mayotte des trois autres zones qui sont absolument à ses côtés. C'est impossible".
L'ethnologue spécialiste de Mayotte et des Comores affirme que "tous les départements d'outre-mer sont sous-dotés par rapport aux départements de métropole. Mais Mayotte est particulièrement sous-dotée par rapport aux autres départements d'outre-mer, avec des dérogations partout, il y a des dérogations dans tous les domaines. [...] Ce département est un département très pauvre. 70 % de la population de Mayotte vit sous le seuil de pauvreté de métropole. C'est donc presque l'ensemble de la population et ça entraîne évidemment les problèmes de délinquance et d'insécurité qu'on voit aujourd'hui, qui ne sont absolument pas à mettre à 100 % sur le dos des migrants"
Ecartelée entre l'océan Indien et la métropole européenne, jalousée par ses proches voisins et envieuse de la lointaine "mère patrie", Mayotte ne sait plus à quelle identité se vouer entre son passé colonial et son présent ultramarin, comme l'a analysé l'ouvrage collectif, sous la direction d'Hubert Bonin, enseignant-chercheur à l'Institut d'études politiques et à l'université de Bordeaux, Mayotte en France. Enjeux et tensions (Les Indes savantes, 2018).
A lire à la BML sur les enjeux géostratégiques de Mayotte
Pourquoi avoir fait de Mayotte le 101e département français ? / Christophe du Payrat
Mayotte en 200 questions-réponses / Marie Céline et Yves Moatty
Comores-Mayotte [Livre] : une histoire néo-coloniale / Pierre Caminade
Pour aller plus loin sur Mayotte à la BML
Mayotte : département colonie / Rémi Carayol
Une situation postcoloniale : Mayotte ou le gouvernement des marges / Nicolas Roinsard
Ylang-ylang : Mayotte, l'île en ylang / Marie Céline & Yves Moatty ; illustrations Marie Charlotte Grandry
Quel habitat pour Mayotte ? : architecture et mode de vie / Monique Richter
Mayotte dans la République : actes du colloque de Mamoudzou, 14, 15 et 16 septembre 2002 / publiés en partenariat par la Collectivité départementale de Mayotte et par l'Université de la Réunion ; [organisé par le] Centre de recherche juridique, CRJ, Université de la Réunion ; sous la direction de Laurent Sermet, Jean Coudray
Réflexions sur l'avenir institutionnel de Mayotte / rapport au Secrétaire d'État à l'outre-mer ; sous la dir. de François Bonnelle.
La vie quotidienne à Mayotte : Archipel des Comores / Sophie Blanchy-Daurel
Aller plus loin sur Internet
Mesurer les Zones Économiques Exclusives (Géoconfluences, ressources de géographie pour les enseignants)
Région ultrapériphérique de l'Union européenne (RUP)
DANS NOS COLLECTIONS :
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