Question d'origine :
definition de l'engagement chez Sartre
Réponse du Guichet

Voici quelques pistes de réflexion afin de vous aider dans vos recherches.
Tout d'abord bonjour.
Débutons notre réponse par une définition tirée du Dictionnaire de Philosophie de Christian Godin :
"L’engagement est l’attitude de l’individu qui prend conscience de sa responsabilité totale face à sa situation historique et sociale et décide d’agir pour la modifier ou la dénoncer" et "L’engagement désigne à la fois une manière d’être et un devoir-être (…) Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous pourrions le penser, car elle engage l’humanité entière".
Vouloir traiter de l’engagement d’un homme philosophe conduit à traiter du rapport entre philosophie et politique, étant donné que l’engagement se réalise souvent dans le champ du politique.
Le grand dictionnaire de la philosophie contient également une entrée à lire s'intitulant L'engagement, fondement et devoir de l'existence.
L'article de Vincent Gérard L’engagement dans la philosophie française peut vous intéresser :
L’article prend ici pour objet d’analyse la question de l’engagement dans la philosophie française des accords de Munich à la guerre de Corée. Il s’attache à établir un fait mal connu de l’histoire du concept d’engagement : le rôle joué par l’éthique individuelle et sociale développée par Husserl au début des années 1920, via sa réception personnaliste, dans la genèse des philosophies de l’engagement sur notre période de référence.
Paul-Louis Landsberg fut, avec ses Réflexions sur l’engagement personnel (1937), le principal artisan du renouveau par lequel le personnalisme français, rompant avec la stratégie de la pureté, se constituait en personnalisme de l’engagement. Au début des années 1920, il avait suivi les cours de Husserl à Fribourg, comme il s’en explique dans l’hommage posthume "Husserl et l’idée de la philosophie" (1939). Que retenait-il de Husserl ? Qu’allait-il abandonner ? Avec l’échec du rationalisme transcendantal, le rationalisme était-il parvenu à l’exténuation de son sens et à l’épuisement de ses possibilités ? Les philosophies de l’engagement qui se sont développées dans la France d’après-guerre procèdent pour une bonne part d’une critique du rationalisme husserlien, soit qu’on veuille dépasser le rationalisme – c’est la stratégie du personnalisme –, soit qu’on veuille le refonder sur d’autres bases – non plus comme un rationalisme transcendantal, mais comme un rationalisme engagé.
Patrick Wagner introduit ainsi son article La notion d’intellectuel engagé chez Sartre :
Sartre reste la grande figure de l’intellectuel engagé. Il a toujours considéré qu’il est du devoir du philosophe de prendre part à l’histoire. On lui reproche souvent aujourd’hui de s’être beaucoup trompé mais juger les événements après-coup est une position plus simple et surtout bien plus confortable que lorsqu’on en est le contemporain immédiat.
Reconnaissons à Sartre d’avoir eu le courage de prendre des risques avec une sincérité sans failles tout en restant toujours fidèle à sa philosophie de la liberté.
C’est pendant sa captivité au Stalag XII D de Trêves que Sartre écrivit et mit en scène sa première pièce de théâtre, une pièce de Noël intitulée Bariona, pour ses camarades pris dans le désespoir. Avec Bariona, Sartre tourne la situation objective en destin, exalte la lutte collective contre l’absurdité. Dans l’acte collectif, il voit qu’il n’y a pas de place ni pour la logique, ni pour la mort et ceci quelle qu’en soit le résultat.
Ainsi qu’il l’a expliqué lui-même ("La guerre m’avait enseigné qu’il fallait s’engager"), c’est la guerre qui force Sartre à entamer ce processus qui le conduit de l’état d’intellectuel détaché et anti-humaniste tel le Roquentin de La Nausée à celui qu’il allait assumer de la Libération jusqu’à sa mort, soit en se laissant consciemment utiliser par les opposants à l’état bourgeois, soit en militant maoïste actif qui se précipite à toutes les manifestations contre l’exploitation et la répression. Cette débauche d’énergie contestataire tous azimuts semble avoir valeur de catharsis suite à son "inaction" et son non-engagement dans le tumulte des années trente.
Ainsi, l’engagement pour Sartre se joue aussi bien au niveau politique, qu'au niveau philosophique.
Il est essentiel de comprendre l’engagement au sens sartrien comme un état de fait, lié à la condition humaine comme telle. Nous sommes condamnés à l’engagement de la même façon que nous sommes condamnés à être libres.
L’engagement n’est pas l’effet d’une décision volontaire, d’un choix qui lui préexisterait : je ne décide pas d’être ou non engagé car je suis toujours déjà engagé, comme je suis jeté au monde. L’engagement et le délaissement sont un seul et même état de fait. Cette précision est fondamentale car c’est sur cette conception de l’engagement que l’existentialisme affirme ses positions.
L’engagement n’est pas l’enrôlement, ni même l’adhésion à tel ou tel parti politique. Il n’est pas même déterminé car il refuse justement la réduction de la situation humaine à un simple déterminisme des causes et des choses. L’engagement sartrien s’oppose en ce sens au matérialisme selon lequel l’homme n’est que le reflet d’une situation de base économico-sociale. Mais il s’oppose également à l’idéalisme qui postule la contingence de toute situation par rapport à l’éternité d’une "nature humaine".
Nous ne pouvons que vous conseiller de lire cet article jusqu'au bout.
En outre, Bernard Jolibert écrit dans son ouvrage Jean-Paul Sartre, l’exigence d’engagement :
L’idée d’engagement sartrien ne se présente pas en effet comme une injonction à la fois morale et politique, mais comme un véritable impératif catégorique.
L’engagement dans le combat social est un devoir premier pour tout un chacun. Sa priorité est telle qu’il semble coiffer toutes les autres et les maintenir sous sa coupe, à l’image de ce que fut "la foi", vertu cardinale du Moyen Âge à qui les autres formes de devoir devaient se soumettre. Nul ne saurait y déroger.
Les intellectuels n’échappent pas à ce qui porte la marque de leur responsabilité générale. L’"alliance objective" liée à une cause choisie l’emporte même sur l’objectivité de la vérité. C’est en nous engageant que nous nous inscrivons dans la réalité interhumaine.
Les lieux isolés et déserts ne sont propres ni à la méditation ni au bonheur. Définir seulement le devoir comme ce qui est conforme à la légalité, autrement dit ce qui est universalisable, à la manière de Kant, est une supercherie idéaliste masquant la réalité objective de la lutte entre les classes sociales. Le monachisme, tout comme le fait de se tenir en dehors de la mêlée commune dans une sorte de superbe isolement mystique, est une illusion : "Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons, c’est sur la route, dans la ville, au milieu des foules, chose parmi les choses, homme parmi les hommes " (Sartre, 1947, p. 86).
[...] Il n’existe pas de neutralité réelle. Celui qui se présente comme neutre ou distant a pris parti. Son indifférence même est une forme d’engagement. Celui qui ne dit ou ne fait rien dans le champ politique, s’engage par son inaction ou son silence mêmes : "Un écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher" (Jean-Paul Sartre, 1956, p. 79).
N'hésitez pas à vous renseigner également sur l'opposition de Sartre et Camus, qui a pour fondement la notion d'engagement et leurs approches différentes du concept. Pour ce faire, le documentaire Camus, Sartre : une amitié déchirée de Joël Calmettes vous éclairera sur la querelle des deux intellectuels :
Sartre et Camus, les deux écrivains français du XXe siècle les plus connus dans le monde, forment un couple légendaire et indissociable. Ces deux penseurs hors du commun ont porté à l’incandescence la figure de l’écrivain engagé. Ils ont tous deux exploré à la même époque le roman, la philosophie, le théâtre et le journalisme. Et tous les deux ont été reconnus et salués par le public. Le film éclaire les relations entre ces deux penseurs iconoclastes, tout à la fois simples et tourmentées, banales et hors-normes.
Si elles en disent long sur la vie intellectuelle française du XXe siècle, elles nous interpellent aujourd’hui encore quant au sens de l’engagement et aux moyens à mettre en œuvre ici et maintenant pour rendre l’homme plus heureux. Nourri des témoignages de proches (Roger Grenier), de spécialistes (Annie Cohen-Solal, Ronald Aronson, Yves-Marc Ajchenbaum, Michel Contat, Gilles Philippe) et de philosophes (Raphaël Enthoven, François Noudelmann), le film, original dans sa forme, est construit autour de nombreuses archives souvent inédites, d’évocations symboliques via des comédiens filmés en ombres chinoises et de caricatures originales de Rita Mercedes animées graphiquement par Jérôme Letué. Sartre et Camus furent amis entre 1943 et 1951.
En 1952, au cœur de la guerre froide, ils se déchirent publiquement avec violence, panache et mauvaise foi… Officiellement à cause des goulags en U.R.S.S… En fait pour de multiples raisons : politiques, littéraires, philosophiques et personnelles. S’y mêlent des convictions profondes, de la jalousie, de la rancœur, des ambitions contrecarrées et une forme de dépit amoureux…
Enfin, citons un de nos derniers achats : Réhabilitons Sartre d'Aliocha Wald Lasowski, où l'auteur consacre tout un chapitre au penseur engagé dans l'action politique.
Pour poursuivre la réflexion :
Quelques documents sur quelques figures littéraires et engagées.
Sartre : de la nausée à l'engagement / Alfred Gomez-Muller
Littérature et engagement : de Pascal à Sartre / Benoît Denis