Un curé percevant 600 livres de pension annuelle en 1770 avait-il un bon train de vie ?
Question d'origine :
Cher Guichet,
Je lis qu'un curé a pris possession du bénéfice d'une paroisse de campagne en 1770 de 600 livres de pension annuelle.
Que pensez d'une telle somme en comparaison d'autres de l'époque ? Quel train de vie cela permet ? Bien à vous.
Réponse du Guichet

Les niveaux de vie des curés en France au XVIIIe siècle étaient très disparates en fonction de leur situation géographique et de leur statut (curé bénéficiaire ou à portion congrue). Situé en moyenne basse avec 600 livres tournois de pension annuelle déclarés, il ne semblerait pas que ce prêtre soit dans un extrême dénuement, mais il pourrait rencontrer des difficultés à répondre à tous les besoins du culte. Attention néanmoins, ces déclarations prérévolutionnaires seraient à prendre avec des pincettes. Il existe néanmoins d'énormes inégalités au sein du clergé avant la Révolution.
Bonjour,
A l'échelle nationale, il faut bien comprendre que l'on observe de très grandes disparités entre les revenus des curés en France au 18ème siècle. Que celui-ci exerce dans une ville ou en milieu rural, et sur des territoires plus ou moins riches, favorisés ou non par la nature. Il y a une "géographie différentielle de la fortune curiale" selon les termes de l'historien Roland Mousnier (La société française de 1770 à 1789 tome 1, p. 52).
Pour comprendre la situation financière d'un curé de campagne à cette époque, il semble nécessaire de faire la distinction entre les curés bénéficiaires et les curés à portion congrue. Représentant environ 60 à 70% des curés, les curés ayant un bénéfice (c'est à dire qu'ils disposent pour eux-même des dîmes de leurs paroisses) vivaient généralement avec des revenus supérieurs à ceux à portion congrue (peut-être 30% des curés à la fin du 18ème siècle). Le curé pourvu d'un bénéfice ne percevait pas seulement la dîme mais aussi les produits des terres de sa cure et les revenus de ses biens propres. Les curés à portion congrue étaient quant à eux des curés salariés qui exerçaient leurs fonctions religieuses dans des paroisses initialement occupées par des abbés ou des chapitres. Ces titulaires de bénéfices, que l'on appelait aussi "curé primitifs" ou "gros décimateurs", redistribuaient cette pension qui provenait de la perception de la dîme. Cette somme était le plus souvent fixée par coutume ou par écrit (édits royaux) et était censée couvrir les besoins matériels du prêtre et de sa cure. Non indexée sur la hausse des prix, il a fallu régulièrement que la portion congrue soit réévaluée à la hausse au fil des décennies. Elle permettait de subvenir aux frais du culte sans dépendre des offrandes, casuels ou des novales.
En ce qui concerne les revenus des curés, Rosie Simon-Sandras dans Les curés à fin de l'Ancien régime (PUF, 1988) donne un ordre d'idée de leurs montants. Ces revenus variaient d'une région à l'autre mais, s'appuyant sur les données de R. Mosnier, elle peut affirmer que peu de ces revenus étaient inférieurs à 500 et supérieurs à 1500 livres tournois. R. Mosnier à la page 50 de la Société française de 1770 à 1789 précise :
Si les revenus sont inégaux, aucun curé n'est dans la misère, à Paris entre 1780-90, les revenus d'une cure dépassaient ceux d'un évêché de province. A Rennes, 75% des curés avaient moins de 700 livres, 21% de 800 à 1200 livres. , 4% plus de 1200 livres.
Attention, il est précisé par Mosnier que ces chiffres sont extraits des "pouillés" (déclaration fiscale des curés) et qu'il convient de les prendre avec des pincettes. Les historiens s'accordent pour dire que ces déclarations avaient tendance à être revues à à la baisse, afin de payer en conséquence le moins possible de don gratuit. Sur cette question, Eric Wenzel dans son ouvrage Curés des Lumières : Dijon et son diocèse (Éditions universitaires de Dijon, 2005) confirme que ces déclarations sont tendancieuses, et que les déclarations prérévolutionnaires sont toujours tournées vers le bas (p.80).
Néanmoins, l'analyse d'E. Wenzel sur les revenus des curés dijonnais peut vous apporter un aperçu du niveau de vie du prêtre qui vous intéresse. A la page 80 il est écrit :
Dans l'ensemble, les curés dijonnais peuvent compter sur un revenu d'Eglise moyen de 761 l. en 1780. Nous pouvons le comparer avec les recteurs bretons qui perçoivent entre 500 et 800 l. suivant les diocèses, où avec le bas clergé de l'archevêché d'Auch. Les curés comtois et angevins paraissent être sensiblement plus riches. Au premier abord, il n'y a donc pas lieu de s'enthousiasmer sur la situation pécuniaire du clergé paroissial dijonnais au XVIIIe siècle, bien qu'il faille faire une nette distinction entre les modestes curés des "pays" pauvres par opposition à leurs homologues des riches terres agricoles et, à un degré moindre, ceux de la Côte viticole.
(...)
Certes, avec plusieurs centaines de l. tournois, les curés dijonnais ne sont pas à plaindre, il n'empêche qu'ils ne mènent pas grand train de vie avec les seuls revenus tirés de leur bénéfice curial.
Pour des considérations plus générales sur les revenus des curés bénéficiaires, revenons au livre de Rosie Simon-Sandras :
Le curé décimateur se voit imposer certaines charges, à savoir par exemple la réparation du chœur de l'église, comme les autres décimateurs, l'achat des calices, livres, ornements si la paroisse est pauvre.
Déduits les frais incombant à sa profession, l'aide apportée aux pauvres, le curé du XVIIIe siècle peut vivre honnêtement et il doit lui rester 500 livres de revenus, plus le casuel, les honoraires et fonds chargés des fondations, ce qui semble être le cas des curés décimateurs.
Source : Les Curés à la fin de l'Ancien régime / Rosie Simon-Sandras (p. 68 - 69).
Le niveau de vie des curés à portion congrue est nettement inférieur cependant. Voici les chiffres fixés à la portion congrue entre la fin du XVIIe et la dernière partie du XVIIIe : 300 livres en 1686, 500 en 1768 puis 700 en 1786. L'édit du 13 mai 1768 et les nouvelles dispositions qu'il impose (renoncement d'autres taxes au profit d'une hausse de la portion congrue) est lisible sur Gallica : Édit du 13 mai 1768. Il est la référence la plus proche de l'année 1770 qui vous intéresse. Votre curé déclarant 600 livres de bénéfices, il est situé juste au dessus de ces revenus jugés très insuffisants à la veille de la Révolution. Wikipédia, sans sourcer l'anecdote, affirme que les Parlements refusèrent d'enregistrer l'édit arguant, en 1768, "de la faiblesse de la portion congrue au regard des dépenses normales d'un curé (alimentation, habillement, domestique cheval)" : portion congrue.
Ces difficultés seraient véridiques, et le niveau de vie très compliqué des curés à portion congrue à la fin de l'Ancien régime aurait incité une partie du bas clergé à rejoindre les intérêts et les revendications du Tiers-état durant la Révolution. R. Simon-Sandras relaye aussi ces difficultés :
A la fin de l'Ancien Régime, les curés à portion congrue émettent des "protestations véhémentes et motivées". En effet, leurs conditions de vie sont très difficiles ; ils vivent souvent dans la pauvreté et la misère. Ils représentent environ 30% des titulaires. Dans les cahiers de doléance des curés, les revendications sont vives ; ils expliquent pourquoi leur niveau de vie est misérable, en s'appuyant sur des données statistiques ; en général ils demandent une meilleure répartition des revenus.
Source : Les Curés à la fin de l'Ancien régime / Rosie Simon-Sandras (p. 70).
Un convertisseur permet d'estimer la valeur contemporaine d'une somme à une date précise. 600 livres tournois en 1770 équivaudraient à 6812 euros aujourd’hui.
Pour une idée plus globale des prix au XVIIIème siècle, vous rencontrerez des données intéressantes : céréales, ameublement, vêtements etc. dans ce document certes localisé, mais très instructif : Economie, revenus et prix au XVIIIe siècle en Forez de Roger Faure. Mais aussi pour les plus courageux dans la somme d'Ernest Labrousse : Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle.
Mais aussi dans ces documents lisibles sur Persée :
Curés de campagne de l'ancienne France. Les curés bénéficiaires et la gestion de leurs bénéfices de P. de Vassière, 1921.
La condition du clergé séculier dans le diocèse de Coutances au XVIIIe siècle d'Em Vivier, 1952.
Bonne journée,