Quels sont les indices de l'appartenance à une classe sociale ?
Question d'origine :
Les gens reconnaissent ils l'appartenance à une classe sociale quelquefois de manière presque inconsciente en parlant avec quelqu'un? Quels sont les indices de l'appartenance à telle ou telle classe sociale? Y-a-t-il quelquefois de la discrimination due à des préjugés contre telle ou telle classe sociale?
Réponse du Guichet

La classe sociale est un concept sociologique encore largement débattu. Si il existe des intérêts et des pratiques sociales communes à des groupes d'individus, les délimitations et définitions de celles-ci sont mouvantes. Cela n'enlève en rien à la pertinence du concept pour appréhender les inégalités sociales dans nos sociétés. Le revenu, le niveau de diplôme, l'âge mais aussi le genre ou les pratiques culturelles sont des marqueurs sociaux révélateurs de l'appartenance à une classe. Le classisme est l'appellation donnée à une discrimination fondée sur l'appartenance ou la non appartenance à une classe. Nous vous conseillons de vous intéresser également à la notion d'intersectionnalité.
Bonjour,
Le concept de "classe sociale" est un objet aussi central que discuté dans l'histoire de la sociologie. Il demeure néanmoins aujourd'hui encore un outil pertinent pour appréhender la question des inégalités dans les sociétés contemporaines. Si le sujet est autant débattu parmi les spécialistes, il est peu probable que des individus puissent se reconnaitre objectivement appartenir à une même classe sociale. C'est un concept sociologique davantage qu'une réalité que l'on pourrait objectivement et facilement éprouver (même si sur ces questions nous vous invitons à vous pencher sur l'approche réaliste des classes sociales théorisée par Karl Marx). En revanche il n'est pas à exclure que des personnes se reconnaissent un vécu, des goûts ou des références communes. Le langage, l'appartenance à un territoire ou à une identité sexuelle, le métier exercé ou la couleur de peau peuvent trahir consciemment ou non un même rapport au monde et des expériences partagées.
Sur l'histoire du concept de classe sociale et les problèmes posés par l'utilisation de cette nomenclature, nous vous encourageons vivement à lire cet article de Milan Bouchet-Valat et Cyril Jayet : La mesure des classes sociales par les nomenclatures : enjeux, problèmes et débats (publié dans l'Année sociologique en 2019 et lisible gratuitement sur Cairn).
Nous vous conseillons aussi la lecture de cet article du sociologue Gérard Mauger : Sur la "construction" des classes sociales de Marx à Bourdieu publié dans La Pensée en 2021 et lisible gratuitement sur Cairn), qui s'intéresse à la définition des classes sociales.
Les classes sociales existent, en effet, sous la forme de « classe objective » (« la classe en soi » « construite » par le travail du savant) et de « classe mobilisée » (« la classe pour soi », « construite » par le travail du politique), capable de se reconnaître dans une identité collective et des intérêts partagés et de (se) manifester ou, dans le lexique de Marx (à propos des travailleurs), sous la forme de « la classe vis-à-vis du capital » et de « la classe pour elle-même » .
Si la « classe objective » permet d’expliquer les pratiques et les propriétés correspondantes et, en particulier, la mobilisation, il ne s’agit que d’une « classe probable », ensemble d’agents susceptibles d’une mobilisation collective au prix d’un travail de représentation et de politisation. Ainsi peut-on comprendre que l’existence, attestée statistiquement, de classes mises en évidence par la permanence d’inégalités de tous ordres, puisse néanmoins coexister avec « le brouillage », sinon « l’invisibilité » des classes sociales dans le champ politique, dans le champ médiatique ou dans les différents champs de production symbolique.
En fait, l’existence de classes mobilisées dépend, au moins pour partie, de la représentation que les agents se font du monde social et en particulier de leur croyance dans l’existence des classes sociales. Or, le monde social peut être perçu et dit de différentes façons, selon différents principes de vision et de division, étant entendu que les regroupements qu’ils impliquent sont inégalement probables et stables. C’est pourquoi les luttes symboliques qui ont pour enjeu l’imposition et l’inculcation d’une vision du monde social, « luttes inséparablement théoriques et pratiques pour le pouvoir de conserver ou de transformer le monde social en conservant ou en transformant les catégories de perception de ce monde », contribuent à faire ou à défaire les classes.
Si, comme le notait Bourdieu, la probabilité de rassembler un ensemble d’agents est d’autant plus grande qu’ils sont plus proches dans l’espace social, « le rapprochement des plus proches n’est jamais nécessaire […] et le rapprochement des plus éloignés n’est jamais impossible » . C’est ainsi que, dans la société française contemporaine, la vision de l’espace social divisé en classes antagonistes s’est peu à peu défaite et que la représentation marxiste du monde social est devenue de plus en plus étrangère à la sociologie spontanée. Toutefois, ces luttes symboliques n’impliquent en rien que les inégalités mesurables, les conditions d’existence qu’elles impliquent et les classes sociales « objectives » qu’elles définissent aient cessé d’exister.
Au sujet de l'effacement relatif des classes sociales au profit de l'émergence d'autres clivages sociaux comme les gender studies ou les post colonial studies, voir l'article de François Dubet Classes sociales et description de la société publié dans la Revue Française de Socio-Économie en 2012.
Il existe diverses manières d'appréhender l'appartenance à une classe sociale. D'un point de vue économique, l'Observatoire des inégalités propose des critères pour situer les catégories populaires, moyennes et aisées en fonction de leurs revenus.
Le capital culturel, notion popularisée par le sociologue Pierre Bourdieu, apporta une réflexion renouvelée sur les stratifications sociales en avançant que les pratiques et connaissances culturelles étaient classées symboliquement. L'idée n'est pas d'associer intrinsèquement une pratique à une classe sociale (comme le football, la peinture ou le rap) mais de montrer comment celle-ci s'insère dans un agencement relationnel où certaines sont distinguer tandis que d'autres sont repoussées à la marge. Ces références culturelles communes valorisées au sein d'un même espace social peuvent être caractéristiques de l'appartenance à une classe. Le livre, la Distinction : critique sociale du jugement (1979) de Bourdieu montrait comme les classes dominantes de la société pouvaient utiliser la culture pour se démarquer des franges les plus populaires de la société, légitimant leurs pratiques pour mieux dénigrer ou invisibiliser ce qui ne lui est pas familier. Une réévaluation et une mise à jour de ses analyses a été opérée dans l'ouvrage collectif Trente ans après" La distinction" de Pierre Bourdieu publié sous la direction de Philippe Coulangeon et Julien Duval, dont une partie des analyses est éclairante pour analyser le concept de classe : Le capital culturel classe-t-il encore ? (laviedesidées.fr)
Sur la discrimination par la classe, la page Wikipedia sur le classisme est un bon point de départ pour en comprendre les modalités et le fonctionnement :
Le classisme est une discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale, souvent basée sur des critères économiques.
La discrimination classiste est fondée sur la stratification sociale, vision selon laquelle la société consiste en un ensemble de classes sociales différenciées et hiérarchisées. Les « classistes », qui assument leur appartenance à une classe sociale, cherchent à légitimer leurs propres avantages ainsi que les préjudices subis par ceux qui ne font pas partie de la même classe.
L'école peut être un vecteur important de cette violence symbolique, portée consciemment ou inconsciemment par l'institution ou le corps professoral. Voir à ce sujet cet article sur un site qui pourrait vous intéresser, questionsdeclasses.org : L’invisibilisation de la discrimination « classiste » à l’école. Ou encore l'ouvrage précurseur Les Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron.
Dans une perspective croisée des rapports de domination, nous vous invitons à vous intéresser aussi au concept d'intersectionnalité (Crenshaw, 2005).
Dans nos collections sur ce sujet :
La société comme verdict : classes, identités, trajectoires de Didier Eribon
Les classes sociales de Jacques Ellul ; textes réunis, présentés et annotés par Michel Hourcade, Jean-Pierre Jézéquel et Gérard Paul
Les classes sociales en France / Gérard Maugier
Bonne journée,