Pourquoi La Varsovienne a-t-elle deux versions en français ?
Question d'origine :
Pourquoi La Varsovienne a-t-elle deux versions en français ?
La chanson La Varsovienne, écrite en 1893 par les révolutionnaires polonais et devenue ensuite très populaire pendant les révolutions russes, a deux versions différentes en français.
La plus connue, que l'on retrouve dans toutes (ou presque) les versions sur YouTube ainsi que le plus facilement lorsque l'on cherche les paroles sur Internet, se compose de ces paroles :
Couplet 1 :
En rangs serrés l’ennemi nous attaque
Autour de notre drapeau groupons-nous.
Que nous importe la mort menaçante
Pour notre cause soyons prêts à souffrir
Mais le genre humain courbé sous la honte
Ne doit avoir qu’un seul étendard,
Un seul mot d’ordre Travail et Justice,
Fraternité de tous les ouvriers.
Refrain :
O frères, aux armes, pour notre lutte,
Pour la victoire de tous les travailleurs.
Couplet 2 :
Les profiteurs vautrés dans la richesse
Privent de pain l’ouvrier affamé.
Ceux qui sont morts pour nos grandes idées
N’ont pas en vain combattu et péri.
Contre les richards et les ploutocrates.
Contre les rois, contre les trônes pourris,
Nous lancerons la vengeance puissante
Et nous serons à tout jamais victorieux.
Pourtant, il existe une autre version en français, trouvable notamment dans le livret Chansons contestataires et chants révolutionnaires, édité par Lutte Ouvrière en 2004, dont les paroles sont celles-ci :
Couplet 1
Notre ennemi nous attaque en rafales,
Son joug cruel nous opprime odieusement.
Nous sommes entrés dans la lutte finale,
Qui sait encore quel sort nous attend ?
Mais nous prendrons en nos mains prolétaires,
Le drapeau rouge de tous les travailleurs,
Nous lutterons pour la cause ouvrière,
La liberté et le monde meilleur.
Refrain
Frères en route, tous à la lutte !
Marche hardiment ouvrier, en avant ! (bis)
Couplet 2
Le travailleur meurt toujours de famine,
Nous ne pouvons plus nous taire mes amis,
Ni retenir notre haine en sourdine,
Ni avoir peur d'échafauds ennemis.
Ceux qui sont morts en honneur, avec gloire,
En combattant pour le monde ouvrier,
Ne périrons pas dans notre mémoire,
Et ne serons nullement oubliés !
[Refrain]
Couplet 3
Nous haïssons les tyrans et les trônes,
Pour délivrer notre peuple martyr,
Nous détruirons leurs palais et couronnes,
N'en laisserons plus aucun souvenir.
Notre vengeance sera impitoyable
Aux parasites du travail humain,
Car tous leurs crimes sont impardonnables,
Et notre jour de revanche est prochain
[Refrain]
Cette deuxième version semble plus proche du texte russe. Alors, pourquoi deux versions ? À quelles époques ont-elles été créées, et dans quel but ?
Réponse du Guichet

Les deux principales traductions françaises de la "Varsovienne de 1905", célèbre chant insurrectionnel polonais auraient été écrites pour la première dans les années 1920 et la seconde dans les années 1930. Les différentes versions du morceau, plus littérales ou allégoriques, ont été composées différemment en fonction de leurs contextes socio-politiques. Le traducteur de la seconde version dans les années 1930 (première traduction citée dans votre question) est Stefan Priacel, dont le texte s'alignerait davantage avec la doxa stalinienne de l'URSS de l'entre deux guerres. L'autre version, plus ancienne, semble être d'auteur inconnu.
Bonjour,
"La Varsovienne" est un chant de protestation polonais écrit à la fin du XIXème siècle et dont la paternité est attribuée au poète et militant Wacław Święcicki. Reprise et adaptée par de nombreux mouvements sociaux du XXème siècle, elle connut diverses traductions dont les plus célèbres semblent être la version russe et l'adaptation espagnole. Cette dernière, chantée sous le titre "Las barricadas", est devenue l'hymne des anarchistes espagnols pendant la Guerre d'Espagne (1936 - 1939) grâce aux paroles du militant libertaire Valeriano Orobón Fernández.
Un rapide coup d’œil sur internet et nous comprenons que ce chant ne doit pas être confondu avec une autre chanson, tout aussi célèbre en Pologne, "La Varsovienne", écrite en 1831 par le français Casimir Delavigne en l'honneur des insurgés polonais qui se sont battus entre 1830 et 1831 pour s'émanciper de la tutelle russe du tsar Nicolas Ier. Son nom a été choisi en référence à la Marseillaise en raison de la portée historique des événements insurrectionnels qui ont éclaté en Europe en 1830 (principalement en France, en Belgique et en Pologne). Le texte aurait été traduit en polonais par Karol Sienkiewicz. Il est devenu par la suite l'un des grands symboles du mouvement nationaliste polonais, accompagnant les luttes du pays dans ses combats jusqu'aux résurrections de la Pologne sur la scène internationale en 1919 puis en 1945.
Pour se démarquer du chant C. Delavigne, on appelle communément la seconde Varsovienne, la "Varsovienne de 1905", en mémoire de la Révolution russe de 1905 durant laquelle celle-ci fut massivement reprise et chantée. Cette version russe aurait été écrite en prison dix ans auparavant par le militant socialiste révolutionnaire Gleb Krzhizhanovsky, proche de Lénine et futur homme d'état soviétique, incarcéré en décembre 1985.
En effet, deux traductions françaises de la "Varsovienne de 1905" semblent cohabiter. Si vous avez rencontré la seconde version, plus rare, dans Chansons contestataires et chants révolutionnaires édité en 2004 par Lutte Ouvrière, celle-ci était déjà diffusée dès le siècle dernier comme en témoigne par exemple ce numéro du journal le Républicain du Haut Rhin : journal du socialisme en date de février 1947 (numérisé sur Gallica). Et pour cause, il semblerait qu'à une première traduction se soit ajoutée une seconde, dès les années 1930 par Stéfan Priacel, car mieux alignée sur la doxa de l'URSS de Staline. C'est en tout cas ce que nous apprend la lecture d'un chapitre de l'ouvrage En lutte ! Carnet de chants (Éditions du détour, 2022), écrit par Étienne Augris, Julien Blottière, Jean-Christophe Diedrich et Véronique Servat :
Par une diffusion souterraine, la chanson intègre le répertoire musical du prolétariat russe. En effet, à la toute fin du XIXe siècle (1897), alors qu’il est incarcéré, le jeune poète révolutionnaire russe Ivan Krijanovski adapte le titre dans sa langue. Dès lors, « La Varsovienne » s’impose comme l’hymne antitsariste le plus populaire de Russie.
(...)
L’œuvre de Waclaw Święcicki est traduite, interprétée dans presque toutes les langues. En France, une première version du morceau voit le jour dans les années 1920, avant que Stéfan Priacel n’en propose une autre, conforme à la doxa stalinienne au cours des années 1930. Les différentes traductions du morceau, littérales ou allégoriques, permettent d’adapter le propos à des contextes sociopolitiques très différents. Dans sa version initiale, « La Varsovienne » exaltait le sentiment national. « Le combat sanglant, sacré et juste » y est livré par « Varsovie ». Dans le texte russe, plus en phase avec le matérialisme historique marxiste, « le peuple des travailleurs » mène l’assaut. En sa version française, « La Varsovienne » attise la lutte des classes, tandis qu’elle revêt de forts accents antifascistes sous la plume espagnole.
Source : La Varsovienne Dernière danse avec les tsars. En lutte ! Carnet de chants. (p. 85-91) (lisible sur Cairn depuis la BmL).
Pour en apprendre davantage sur la vie du traducteur Stefan Priacel, vous pouvez lire la notice qui lui est consacrée sur le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux. A propos de sa traduction française de "la Varsovienne", on peut lire :
Il fut également le traducteur en français des paroles de La Varsovienne. À ce titre, on retrouve sa collaboration mentionnée pour un disque de Chants révolutionnaires du monde (sans date) et pour une partition éditée en 1948 aux éditons Le Chant du monde [1948, anniversaire des journées glorieuses de février-juin 1848]. Il traduisit par ailleurs des textes de l’anglais et de l’allemand.
Vous pouvez aussi vous amuser sur le site antiwarsongs.org à vous balader parmi les très nombreuses traductions de ce chant protestataire dans énormément de langues différentes. Même si le site n'est pas très intuitif, il faut le reconnaitre, vous apprendrez beaucoup d'informations sur les traductions européennes de cette chanson, surtout si vous avez la chance d'être polyglotte. Il est indiqué ici que l'auteur de la traduction française des années 1920 demeurerait inconnu : Warszawianka 1905 roku.
La version de S. Priacel est la première que vous citez dans le corps de votre question. La seconde, plus ancienne, est celle d'auteur inconnu et d'inspiration trotskiste. Plus de détails en descendant cette page.
Rendez-vous aussi sur ce blog : chrsouchon.free.fr
Bonne journée,