Du gasoil produit en trop a-t-il été rejeté dans l'étang de Berre dans les années 1950 ?
Question d'origine :
Bonjor
Dans les années 50, le gas-oil "en trop", était rejeté a la mer. Particulièrement à l'usine SHELL de l'étang de BERRE.
Le gas-oil "en trop" était lié au fait que une colonne de distillation du pétrole produit AUTOMATIQUEMENT du gas-oil (2 fois moins que de l'essence, mais quand même). A l'heure où l'on parle de supprimer le gas-oil que va-t'l se passer.
Je n'arrive pas a retrouver les articles où je l'ai lu.
Merci
Réponse du Guichet

Nombreux sont les rapports, articles, vidéos à faire état depuis plus d'un siècle des ravages des industriels et particulièrement des raffineries sur l'environnement de l'étang de Berre situé à l'ouest de Marseille. Si les rejets d'hydrocarbures sont bien documentés, nous ne sommes pas parvenus à corroborer cette histoire de trop plein émanant automatiquement des colonnes de distillation. Nous vous apportons néanmoins des ressources variées sur l'histoire de ce bassin industriel et particulièrement sur l'installation et le développement de l'entreprise anglo-néerlandaise Shell.
Bonjour,
L'étang de Berre est bordé depuis le début du XXème siècle par d'importantes infrastructures industrielles dont de nombreuses raffineries pétrolières. L'entreprise Shell est installée sur ce territoire dès les années 1930, grâce à un assouplissement législatif qui accordait aux entreprises étrangères l'autorisation d'effectuer des opérations de raffinerie sur le sol français. Elle profita de l'ouverture des nouvelles routes d'hydrocarbures déployées suite à la découverte de gisements pétrolifères au Proche Orient, en Afrique du Nord ou en Mer du Nord. Il s'agissait de transformer le pétrole brut en produits allégés, épurés afin de répondre aux nouveaux besoins en énergie de l'après guerre et pour satisfaire à la consommation de l'industrie chimique française, européenne.
Source : Jacques Garnier. L’évolution du complexe industriel de Fos / Lavéra / Etang de Berre (Laboratoire d’économie et sociologie du travail (LEST)2001)
Les dommages causés par ces industries à l'environnement n'ont eu de cesse d'interpeller les citoyens et les pouvoirs publics. Réseaux de pipelines, amarrage des pétroliers et activités de raffinerie font porter des risques sur la qualité de vie, de l'air et de l'eau dans la région. Dès les années 1950, les rejets d'hydrocarbures dans l'étang ou dans la mer méditerranée ont alerté les habitants, à commencer par les pêcheurs qui se sont mobilisés pour protester contre la contamination du poisson. Rapidement, la coexistence du raffinage et de la pêche autour d'un même bassin s'est révélée insoluble. La pêche a été interdite (Loi n°57-897 du 7 août 1957 portant interdiction de la pêche dans l'étang de Berre). Cet extrait du rapport d'époque fait par le député marseillais Bergasse au nom de la Commission de la Marine marchande et des Pêches sur le projet de loi portant interdiction de la pêche dans l’étang de Berre, rapporté dans cet article de Xavier Daumalin et Olivier Raveux faisait état de déversements accidentels :
Les déversements accidentels d’hydrocarbures sur le plan d’eau donnent lieu à de nombreux incidents qui ont fourni matière à poursuites judiciaires. La pollution des eaux a entraîné une mévente du poisson due à la baisse de qualité, et une détérioration des fonds de pêche. Pour tous ces motifs, la coexistence du raffinage et de la pêche dans la zone particulière de l’étang de Berre est devenue, de l’aveu de tous, tant pêcheurs que pétroliers, une impossibilité matérielle, sauf dérogation locale. Les parties en présence ont reconnu que la situation actuelle ne pouvait plus se prolonger ; à la suite de nombreuses négociations, au cours desquelles la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille a rempli le rôle d’intermédiaire, il est apparu que le conflit pouvait être résolu par une interdiction de la pêche sur le plan d’eau de l’étang de Berre, interdiction s’accompagnant du versement aux pêcheurs d’une juste indemnité, en raison du préjudice qui leur serait causé
Source : Daumalin, Xavier, et Olivier Raveux. « L’industrialisation du littoral de Fos/étang de Berre ». Industrie entre Méditerranée et Europe, édité par Mauve Carbonell, Presses universitaires de Provence, 2019
Nous ne voyons pas non plus de mention explicite au mode de fonctionnement des colonnes de distillation dans les documents suivants :
Ce rapport du GIPREB, rendu en 2009-2010, rapporte des taux de contamination les plus hauts jamais enregistrés sur l'étang pour la décennie 1950-1960 (p.10) : Etang de Berre, suivi du milieu écologique.
L'article La rumeur de Berre-l'Etang. Étude de cas sur la création d'une unité de polychlorure de vinyle à Berre-L'Etang par la société Shell-Chimie écrit par Gilbert-François Caty en 1980 dans la Revue juridique de l'environnement offre une bonne histoire de l'implantation de l'entreprise sur ce territoire et sur les réponses citoyennes qu'elle a suscité. Mais rien ne corrobore ce que vous avez lu au sujet des colonnes de distillation.
Nous ne trouvons pas davantage d'éléments à ce sujet dans l'article Le transport et le raffinage du pétrole dans le bassin méditerranéen de Christian Verlaque (1966) dans la revue Méditerranée bien qu'il fournisse des informations intéressantes telles que les capacités de raffinerie en tonne des entreprises de l'étang au début des années 1960. D'autres données similaires d'époque sont lisibles ici : L'énergie dans la région marseillaise de R. Mouchet (L'information géographique, 1961).
L'excellent article de Fabien Bartolotti Les autorités portuaires face aux pollutions pétrolières dans l’étang de Berre et le golfe de Fos (1945‑1979) illustre lui aussi les dysfonctionnements et les pratiques mortifères pour l'environnement des industries pétrolières dans l'étang de Berre et en Méditerranée dans les années 1950. Mais les événements qu'il relate sont des accidents et n'émanent pas des colonnes de distillation :
En 1951, des fissures ont été constatées dans les bacs de la raffinerie Shell-Berre et l’un des deux appareils de déshuilage n’est plus opérationnel. Dans un rapport circonstancié, le directeur du port en tire la conclusion suivante :
"De ce fait, jusqu’à ces derniers temps, seul le nouveau déshuileur de capacité plus faible, a assuré le déshuilage des eaux de rejet. La production étant augmentée, il en résulte que les eaux rejetées sont moins bien épurées. Nous avons fait effectuer un prélèvement du rejet à la mer, l’échantillon analysé a accusé 56 milligrammes par litre"
Au-delà de l’évacuation des eaux résiduaires dont la qualité varie en fonction du niveau d’équipement, les accidents dans les raffineries situées sur le rivage peuvent-ils constituer une source supplémentaire de pollution maritime ? Même si l’explosion et l’incendie représentent les risques industriels majeurs du secteur, des ruptures de tubes, des vannes défaillantes ou des erreurs de manipulation sont susceptibles d’entraîner une fuite incontrôlée de produits pétroliers et la formation d’importantes nappes à la surface des plans d’eau. C’est ce qui se produit, entre autres exemples, à Lavéra en 1954, comme le décrit le chef de la section portuaire locale :
"Le 9 juillet 1954 à 9 heures, j’ai constaté une quantité importante de pétrole brut entre le môle 1 et le môle 2. Le commandant du port, informé par nos services, demanda l’enlèvement immédiat de ce produit. […] À 14 heures, alors que nous étions en mesure de commencer l’opération, je demandais la décantation à la Compagnie française de raffinage (CFR). C’est à ce moment qu’en présence du chef de quart de la CFR, M. Wittik, nous avons constaté que le bassin de décantation était rempli de produit brut. Celui-ci avait débordé et coulé à la mer en empruntant la buse de 700 qui sert normalement à l’évacuation des eaux. Après recherches, l’arrivée du brut a été arrêtée par la fermeture d’une vanne de 4 pouces sur une canalisation […] venant du dépôt de la CFR. […] (On) m’apprenait par la suite qu’une vanne avariée avait laissé passer le liquide jusqu’à la décantation"
Source : Fabien Bartolotti, « Les autorités portuaires face aux pollutions pétrolières dans l’étang de Berre et le golfe de Fos (1945‑1979) », Rives méditerranéennes.
Le site Fos200ans est aussi excellent pour comprendre les énormes changements opérés par la mondialisation, l'émergence du marché commun et les révolutions industrielles du siècle dernier sur un territoire rural aussi circonscrit. Plusieurs vidéos pédagogiques illustrent à merveille les propos de chercheurs, d'habitants et d'élus locaux pour reconstituer la mémoire d'un territoire laissé aux proies des géants des industries pétrolières.
Nous n'avons rien trouvé non plus au sujet du phénomène que vous décrivez sur les sites Europresse et RetroNews qui archivent des articles de presse d'aujourd'hui et du siècle dernier.
Ce ne fut malheureusement pas plus probant dans l'ouvrage d'André Nouschi La France et le pétrole de 1924 à nos jours (Picard, 2001)
Bon courage pour vos recherches,