Question d'origine :
Bonjour,
Je recherche des informations sur William Morris plus particulièrement ses conceptions en matière d'organisation du travail, son engagement politique et ses revendications écologistes.
Merci de votre réponse.
Réponse du Guichet

William Morris est l’auteur d’une œuvre à la fois littéraire, artistique et politique profondément révolutionnaire, critique de l'industrialisation de la société capitaliste, de ses dérives humaines et écologiques. Il voit dans la beauté et dans le travail artisanal les clés d’un monde plus juste et plus humain.
Bonjour,
William Morris (1834-1896) est une figure majeure de l’Angleterre victorienne à la fois connu pour ses contributions artistiques, littéraires, politiques et écologiques. Il a critiqué les méthodes de production industrielle, qu'il considérait comme déshumanisantes et destructrices de la créativité, prônant un retour au travail artisanal, valorisant la qualité et la beauté des objets produits, en opposition à la production industrielle de masse.
Il s'est en effet opposé aux méthodes de production de masse et au taylorisme, qui selon lui, aliènent les ouvriers en les réduisant à des machines humaines. Il lui préfère l’artisanat, valorisant le travail manuel créatif et soigné plutôt que la production rapide et dépersonnalisée de l’industrie. L’idée centrale de son mouvement Arts and Crafts, qu’il fonda dans les années 1860, était de redonner aux artisans le temps et la liberté de créer de belles œuvres, dans des conditions de travail humaines et respectueuses de l’individu. Pour William Morris, les conditions de travail et de production doivent être organisées de manière à favoriser la coopération et la fraternité, plutôt que la compétition destructrice du capitalisme. Dans son entreprise Morris & Co. cette vision s'est illustrée en adoptant un modèle coopératif, partageant les bénéfices avec les ouvriers et offrant des conditions de travail exemplaires.
William Morris s'est tourné vers le socialisme dans les années 1880, influencé par des penseurs comme Marx et Ruskin. Il est alors un socialiste révolutionnaire croyant en une transformation radicale de la société par l'action collective des classes opprimées. Dans son roman Nouvelles de Nulle Part (News from Nowhere, 1890), il imagine une société socialiste future débarrassée des maux du capitalisme, où règnent égalité, liberté et harmonie entre l'homme et la nature. Dans cette utopie, la production est fondée sur des machines capables de libérer les individus des tâches répétitives et épuisantes, pour qu’ils puissent se consacrer à des activités plus épanouissantes. Il a cofondé la Socialist League en 1884, un mouvement révolutionnaire combinant des tendances marxistes et libertaires. Il s'est aussi engagé activement dans des campagnes de propagande, des conférences et des meetings pour promouvoir le socialisme.
Il est également considéré comme un précurseur de la pensée écologiste et de l'écosocialisme dans le sens où il dénonce les effets dévastateurs de l’industrialisation sur l’environnement et les communautés humaines. Il a milité pour obtenir des espaces verts en ville (s'engageant dans des organisations comme la Commons Preservation Society) et a dénoncé la pollution causée par les usines et l’urbanisation. Sa vision écologique allait au-delà de la simple préservation : il critiquait la séparation entre l'homme et son environnement créée par le capitalisme. Sa critique du productivisme s'est ainsi inscrite dans une réflexion plus large sur la nécessité d'une harmonie entre production humaine, beauté artistique et respect de la nature. Pour William Morris, l'art est intrinsèquement lié à la morale et à la politique. Il considère que la séparation entre art et processus de production est une illusion capitaliste qu'il faut abolir.
La pensée de William Morris est ainsi profondément interconnectée entre art, politique et écologie proposant une alternative au capitalisme industriel.
Nous vous proposons quelques extraits d'articles et une bibliographie pour aller plus loin :
Cent vingt-cinq ans après sa mort, William Morris, la grande figure du mouvement anglais de design néoartisanal Arts & Crafts, pourrait être considéré comme l’un des pionniers de l’« éco-socialisme », une idéologie alternative au productivisme située au croisement des questions sociales et environnementales. Mais il fut surtout le promoteur d’une pensée radicale où tout part de la notion d’art et tout y revient toujours. Politisation de la pratique artistique et esthétisation de la vie jusque dans ses aspects les plus quotidiens y deviennent une seule et même chose.
William Morris (1834-1896) fut un artiste phare de l’époque victorienne et l’un des plus éminents révolutionnaires anglais des années 1880-1890. Il n’a cependant jamais véritablement été présenté au public français. Si certaines de ses œuvres ont pu être exposées dans divers musées des arts décoratifs de l’Hexagone, ses écrits politiques ont tout simplement été oubliés. Il prophétisa pourtant les malheurs à venir de la société industrielle et promut, dans son art comme dans ses discours, un modèle non productiviste d’émancipation sociale.
[...]
Les ennemis à abattre au nom de l’art étaient bien sûr l’usine et le taylorisme naissant, les « cadences infernales » et la production de masse déterritorialisée avec son gâchis inhérent et ses produits de mauvaise qualité qu’il appelait « makeshift » – que l’on peut aujourd’hui traduire par « ersatz » –, la misère pécuniaire mais aussi psychologique, voire spirituelle : tout ce qui appartient encore aujourd’hui à la panoplie du productivisme.
C’est là, dans la pensée très étendue des conditions du travail et de la production, que l’artiste rejoint le militant politique et l’écologiste. L’art obéit (selon Morris) à l’injonction du beau. La beauté demande du temps et de l’application, elle ne peut pas survivre aux « économies d’échelles », surtout pas si on la considère au-delà du jugement forcément subjectif sur le seul produit fini et si l’on prend en compte l’entièreté du processus de sa fabrication, incluant l’état du monde et des hommes.
Les marxistes voulaient remettre l’usine à la collectivité, Morris, qui se considérait pourtant comme un disciple de Marx, voulait la détruire, la remplacer partout où c’était possible par des ateliers à taille humaine, de façon à permettre à chacun d’éprouver les joies séculaires du travail bien fait. Il voulait produire moins et mieux.
source : Ollendorff, G. (2021). William Morris la Révolution Au Service de L’art. Revue du Crieur, 18(1), 62-77
William Morris et la « Socialist League »
La Socialist League (Ligue socialiste), née dans les derniers jours de 1884, résulte de l’éclatement en deux de la SDF. Un certain nombre des animateurs, mécontents des méthodes autoritaires de Hyndman, opposés à l’« opportunisme politique » de l’organisation, et vraisemblablement encouragés en sous-main par Engels, forment un nouveau mouvement révolutionnaire, qui a bientôt lui aussi son journal The Commonweal (Le bien public). Le groupe comprend William Morris (1834-1896) et son ami l’artiste Walter Crane (1845-1915) ; Belfort Bax (1854-1926), un journaliste qui, influencé par la philosophie allemande, vise à être le cerveau de la Ligue ; Andreas Scheu (1844-1927), un réfugié autrichien ; Eleanor Marx Aveling (1856-1898), « Tussy », la plus jeune fille de Marx, ardente propagandiste révolutionnaire au destin tragique, et son compagnon Edward Aveling (1842-1898), esprit pénétrant, mais personnage peu recommandable. Les uns sont de tendance anarchiste, les autres marxistes, ce qui très vite provoque des tiraillements.
La personnalité la plus connue, la plus forte et la plus intéressante du groupe est incontestablement William Morris. « Poète, artiste, artisan, et inventeur d’une société nouvelle », selon l’expression de Walter Crane, il fait passer dans le mouvement révolutionnaire un souffle d’absolu. Avec lui l’âme du socialisme retrouve les voies de l’utopie. Car il y a chez lui avant tout l’idéalisme de l’artiste épris de beauté et de l’humaniste assoiffé de justice. Non qu’il néglige les réalités concrètes du quotidien : il va s’astreindre pendant plus de dix ans à une patiente action de propagande, de discours, de conférences, de meetings en plein air, de réunions de comités. Mais s’il est venu au socialisme auquel il adhère à 59 ans, c’est poussé par une réaction d’artiste et par une exigence de conscience. Il n’éprouve que répulsion pour la laideur de la civilisation mécanique. Il ne ressent qu’indignation devant l’injustice d’une société corrompue par la marchandise. A la place de ce monde désespérant il faut assurer le triomphe de la vie et de la beauté. Conception généreuse pour qui le socialisme est un appel :
« Car le jour est proche
Où la Cause va appeler chacun d’entre nous,
Les uns pour vivre, les autres pour mourir. »
Art et socialisme vont donc de pair. William Morris apporte à « la cause » le lustre de son nom et de son talent. En effet depuis la publication en 1868 de son grand poème The Earthly Paradise (Le Paradis terrestre), il a conquis la gloire littéraire ; il tient également le premier rang dans le monde artistique du fait de son œuvre de dessinateur et de décorateur. Pour lui le communisme est la société de l’avenir où s’accorderont la beauté, le bien-être et la liberté. La passion pour l’égalité rejoint le besoin de fraternité (fellowship), non sans se teinter d’un médiévalisme hérité de Ruskin. Au service de cet idéal, il faut mobiliser les énergies et les dévouements. Chaleureusement, Morris fait appel aux masses. C’est ce qu’expriment les Chants du socialisme, publiés dans Commonweal et chantés avec ferveur à chaque rassemblement révolutionnaire. Prophète aux accents inoubliables qui vont droit au cœur des militants ouvriers, le poète annonce le réveil du peuple :
« Quel est ce bruit et quelle est cette rumeur,
Que tous entendent et qui ressemble
Au vent soufflant au creux des vallons les jours d’orage,
A l’océan qui gronde dans la terreur de la nuit ?
C’est le peuple qui se met en marche. »
Si chez William Morris le communisme est à base éthique et libertaire, une volonté de rationalité y est non moins présente. Lui-même s’est astreint à la lecture des économistes, il s’est pénétré de Marx, et les sarcasmes de Engels sur les « socialistes sentimentaux et excentriques » de la Ligue socialiste sont particulièrement injustes à son endroit. L’ambition de Morris serait plutôt de faire la synthèse entre un socialisme utopique, qui réserverait la place du rêve et de la liberté, et un socialisme scientifique, qui garantirait une organisation sociale ordonnée et conforme aux lois de l’évolution et de la vie. Mieux que dans ses poèmes socialistes (The Pilgrims of Hope, 1885), cet idéal s’est exprimé dans Le rêve de John Ball (1888) et surtout dans les Nouvelles de Nulle part (News from Nowhere), qui, publiées en 1891, ont eu un retentissement considérable. Ce roman utopique d’anticipation — sorte de socialisme-fiction — décrit dans un avenir situé au-delà de l’an 2000 la vie idyllique d’une communauté humaine entrée dans l’ère du communisme. Les scènes se passent à Londres, mais un Londres d’où ont disparu la laideur et la misère. La ville, belle, propre, ornée de beaux édifices, est toute mêlée de campagne. Dans le cadre de ce nouvel urbanisme au contact de la nature, chacun travaille joyeusement, à son rythme et sans contrainte : ni contraste de richesse ni distinction de classe. La vie quotidienne, saine et simple, est faite de bonheur tranquille. Tel est le modèle proposé par William Morris en vue du libre épanouissement de chaque être humain.
Source : Bédarida, F. (1983). Chapitre ix - le Socialisme En Grande-Bretagne de 1875 à 1914. DansJ. DrozHistoire générale du socialisme (2) De 1875 à 1918 (p. 347-404). Presses Universitaires de France.
source : Bonney, A. (2020). Entre Utopie Environnementale et Environnement Industriel Insalubre : Les Papiers Peints Arsenicaux de William Morris. Romantisme, 189(3), 85-95
D’une manière générale, le capitalisme sépare, divise, dresse les hommes les uns contre les autres. Sa valorisation de la compétition comme émulation et source de progrès est le masque de sa violence, à l’égard de la main-d’œuvre qu’il exploite, comme des peuples qu’il conquiert et dont il anéantit, en quelques années, les traditions artisanales millénaires. Morris note ainsi ironiquement que l’Angleterre n’est demeurée pacifique que tant qu’elle dominait le marché mondial [29]. Mais, si « la guerre [est] l’âme des profiteurs », inversement, « l’association est la vie des travailleurs » [30]. Cette vision du travail, dont la nature doit dicter les modalités matérielles et ce que l’on appelle ses « conditions », se traduit, sur le plan économique, par l’organisation de la manufacture en coopérative, forme dont Morris s’est inspiré dans sa propre entreprise, Morris & Co., qui partageait les bénéfices et offrait à ses ouvriers un cadre que les témoignages décrivent comme idyllique [31]. Enfin, si la coopération dans la fabrication est essentielle, elle l’est également dans l’économie générale de la société, où producteur et consommateur doivent pouvoir se comprendre, s’identifier l’un à l’autre.
Pour Morris, l’art est donc socialiste par essence. Il appelle et renforce une organisation socialiste du travail et de la société dans son ensemble. C’est d’ailleurs pourquoi, parallèlement à sa propre œuvre littéraire et artistique, Morris s’est engagé dans les rangs socialistes, et a également mené une activité intense de conférencier, parcourant l’Angleterre pour présenter à des publics divers et plus ou moins avertis, ses analyses esthétiques et politiques.
[…]
Morris le dit nettement : « on ne saurait distinguer, à mon avis, l’art de la morale [et] de la politique » [34]. L’ornement ne peut donc être pensé de manière « purement » esthétique, car cette pureté, même si elle est de méthode, postule la séparation trompeuse de l’art et du travail, de l’objet et du processus de production qui, en lui donnant naissance, détermine sa nature. En ce sens, la pensée de Morris peut être qualifiée d’« écologique ». En particulier, comme nous l’avons vu, parce qu’il reconnaît une valeur à la nature qui implique la nécessité de la préserver. Mais de manière plus générale également, parce que toute sa réflexion est orientée négativement par la critique de la séparation dont le capitalisme est l’expression, et donc, positivement, par les idées d’environnement, de milieu, de lien ou de relation : entre les œuvres, ou entre les œuvres et leur contexte, qui doivent s’accorder, entre les individus qui fabriquent, qui doivent coopérer, entre les individus qui fabriquent et ceux qui regardent, qui doivent se comprendre, entre les hommes et entre les peuples, qui doivent être égaux, c’est-à-dire frères. Autrement dit, si la notion d’ornement est relationnelle, elle est l’écho, dans le domaine de la beauté, de ce qu’est la justice pour la société.
Source : Bordonaba, L. (2020). William Morris : Politique de L’ornement. Cahiers philosophiques, 162(3), 129-137.
Autre article à consulter : Löwy, M. (2014). William Morris, Romantique Révolutionnaire. Multitudes, 55(1), 129-133.
Quelques livres que vous pourrez consulter à la Bibliothèque municipale de Lyon :
- Les espoirs de la civilisation et autres écrits socialistes / William Morris, 2024
- William Morris ou La vie belle et créatrice / William Morris, 2023
- L'âge de l'ersatz et autres textes contre la civilisation / William Morris, 2019
- Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre/ William Morris, 2013
Bonne journée.
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