Question d'origine :
FTP Kabyles, les sources sont rares et superficielles. Pourriez-vous me donner des précisions et des indications d'études et ouvrages académiques et divers. Merci d'avance.
Réponse du Guichet

Le "groupe Kabyle", nom donné aux FTP (francs-tireurs et partisans) algériens, fut créé en 1942. Le film documentaire de Derri Berkani a mis en lumière son action pour le sauvetage de juifs avec l'aide de la mosquée de Paris. Nous vous proposons quelques références de documents.
Bonjour,
Précisons avant toute chose que les FTP désignent les Francs-tireurs et partisans (FTP), un "mouvement de résistance intérieure française créé à la fin de 1941 et officiellement fondé en 1942 par la direction du Parti communiste français. Il regroupe les trois organisations armées communistes, indépendantes l'une de l'autre jusqu'en novembre 1941, l'« Organisation spéciale », les Bataillons de la jeunesse et les « groupes spéciaux » de la Main-d'œuvre immigrée (MOI), toutes trois intégrées FTPF. (source : wikipedia)
Peut-être avez-vous déjà visionné le documentaire de Derri Berkani intitulé : "Une résistance oubliée. La Mosquée de Paris de 1940 à 1944" Derri Berkani (1991) ?
Dans ce documentaire de 29 minutes réalisé en 1991 pour Racines, France 3, le réalisateur Derri Berkani explique le rôle joué par les Francs-tireurs et partisans algériens (principalement de jeunes ouvriers communistes originaires de Kabylie) durant l'Occupation. Ces partisans étaient chargés au départ d'aider et mettre à l'abri les soldats britanniques parachutés sur le sol français. Le film présente des témoignages faisant état de sauvetage de juifs (notamment des enfants) par ces mêmes FTP algériens qui les amenaient à la Mosquée de Paris (dirigée par Si Kaddour Benghabrit) afin de les soustraire aux nazis en attendant de les acheminer vers la zone libre et/ou le Maghreb.
Une conférence à la BML : La mosquée de Paris : une résistance oubliée a eu lieu le 23 mars 2017. La diffusion du film documentaire de Derri Berkani a été suivie d'un débat avec le réalisateur Derri Berkani et Merwane Daouzli, petit-fils de Si Kaddour Benghabrit, directeur et fondateur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris de 1922 à 1954.
On trouve une présentation de ce groupe kabyle dans un article :
Les FTP algériens étaient désignés sous le vocable de « groupe kabyle » par facilité de langage en usage chez les FTP qui utilisaient les groupes de langues, pour permettre une sécurité de transmission des consignes. L’immigration algérienne de Paris, à l’époque, était le fait d’hommes jeunes, seuls, d’origine rurale, essentiellement de Kabylie. Ils étaient aux deux tiers analphabètes, ils vivaient dans la misère, mais par le travail ils avaient intégré un autre univers, celui du monde ouvrier, du prolétariat. Ils avaient acquis une conscience prolétarienne dans les usines où ils travaillaient. Ils étaient tous syndiqués, et ils participaient à toutes les luttes ouvrières, aux grèves… Une fois la guerre venue, ils se sont engagés dans les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), nous précise Derri Berkani. Mohamed Lakhdar, qui avait rejoint les jeunesses communistes à 20 ans, était l’un d’entre eux. Il s’était engagé dans l’action clandestine en 1940 et était un des fondateurs, en 1942, des FTP. Il était originaire de Tiaret. Il a été fusillé dans la nuit du 31 janvier 1943.
source : Ces Justes Kabyles qui sauvèrent des enfants juifs des Nazis
Quelques articles parlant de ce documentaire :
Quand nationalistes laïcs et hommes de religion s'accordent à protéger des juifs / El Watan - 06/04/2021
Quand nationalistes et religieux ont protégé des juifs / El Watan - 06/04/2021
Un podcast de France Culture : Les Justes de la Mosquée de Paris
Mais cette histoire de sauvetages de juifs par la mosquée de Paris divise la communauté des historiens car les archives sont rares et certains témoignages remis en question. Ces documents expliquent en quoi il est difficile de prouver et quantifier ce sauvetage :
Ethan Katz, « La Mosquée de Paris a-t-elle sauvé des juifs ? Une énigme, sa mémoire, son histoire », Diasporas [En ligne], 21 | 2013, mis en ligne le 01 mars 2013
Un 2e podcast de France Culture : Épisode 2/2 : Fake News ? Yad Vashem en décidera !
Un film de cinéma reprend cette histoire : Les hommes libres [D.V.D] / réal. de Alain-Michel Blanc ; scénario de Alain-Michel Blanc et Ismaël Ferroukhi ; musique de Armand Amar
1942, Paris est occupée par les Allemands. Younes, un jeune émigré algérien, vit du marché noir. Arrêté par la police française, Younes accepte d’espionner pour leur compte à la Mosquée de Paris. La police soupçonne en effet les responsables de la Mosquée, dont le Recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, de délivrer de faux-papiers à des Juifs et à des résistants. À la mosquée, Younes rencontre le chanteur d’origine algérienne Salim Halali. Touché par sa voix et sa personnalité, Younes se lie d’amitié avec lui. Il découvre rapidement que Salim est juif. Malgré les risques encourus, Younes met alors un terme à sa collaboration avec la police. Face à la barbarie qui l’entoure, Younes, l’ouvrier immigré et sans éducation politique, se métamorphose progressivement en militant de la liberté…
Un article parle de ce film : Laloum, J. (2012). Cinéma et histoire. La mosquée de Paris et les Juifs sous l'Occupation. Archives Juives, . 45(1), 116-128
Parmi les résistants algériens engagés chez les FTP, citons Mohamed Lakhdar. Une courte vidéo documentaire lui est consacrée : Mohamed Lakhdar Toumi de la série Frères d'Armes. Ce militant communiste, ouvrier métallurgiste, s'est engagé chez les FTP en 1942. Il fut arrêté en 1943 par la police française et exécuté.
Les musulmans, comme la population française en général, entreprennent eux aussi de résister de diverses manières. Les employés de la Grande Mosquée de Paris contribuent à sauver quelques juifs. Dans d’autres domaines ne tarde pas à émerger une résistance politique. Au lendemain de l’appel lancé par de Gaulle depuis Londres, en juin 1940, un immigré tunisien du nom d’Othman Garouia organise un groupe de résistance dans la région de Grenoble. [177] De nombreux musulmans s’enrôlent dans des mouvements de résistance communistes et anticoloniaux. À l’été de 1941, peu après l’invasion de l’Union soviétique par Hitler, des résistants communistes entament des campagnes de propagande dans les quartiers musulmans de Paris et de Marseille [178]. Plus tôt, des groupes d’ouvriers musulmans kabyles se sont formés au sein des sections du MOI communiste et des FTP [179]. En 1941, un jeune ouvrier métallurgiste du nom de Mohamed Lakhdar devient un militant très actif du réseau communiste parisien. Jusqu’à son arrestation, en janvier 1943, Lakhdar diffuse la propagande de la Résistance en discutant dans les cafés, en traçant des graffitis sur les murs ou dans la rue et en distribuant des brochures [180].
source : Katz, E.-B.-. (2018). Chapitre III. Juifs « musulmans » et musulmans « juifs » Juifs et musulmans en France : Le poids de la fraternité (p. 169-224). Belin.
Sur la résistance en Algérie :
La participation des musulmans à la Résistance et aux événements du 8 Novembre 1942 est moins connue. Deux d’entre eux, Abtouche et Guediri, sont cités dans l’ouvrage d’Henri Chemouilli [21]. Ils font partie du groupe conduit par Mario Faivre, âgé de 19 ans, au 19e corps d’armée. Ce dernier fournit les informations les plus détaillées sur le rôle des musulmans dans les actes de résistance (archives audiovisuelles de Nicole Cohen-Addad). Il souligne ainsi que le groupe de la Redoute qu’il dirige est formé de Kabyles. Il décrit un autre groupe, de Notre-Dame d’Afrique, constitué de musulmans, dont un certain Ali Baba Abdi. Mario Faivre relate son amitié depuis l’âge de ses 12 ans avec un nommé Kedri, mécano-chauffeur de son père. Le beau-frère de Kedri possède un magasin de légumes qui sert de lieu de rassemblement aux résistants avant de passer à l’action. Des Kabyles participent à la prise de l’Amirauté avec le groupe Cohen-Addad d’Hydra. De plus, des Kabyles sont envoyés au quartier général du 26 de la rue Michelet parce que des chefs du SOL (Service d’Ordre Légionnaire) y sont repérés. Les résistants kabyles les arrêtent et les font prisonniers. Enfin, l’Annuaire des Compagnons du 8 Novembre 1942 liste les noms d’au moins douze musulmans ayant participé aux événements [22]. Parmi eux figure Mohamed El Aziz Kessous, membre de la SFIO depuis 1931, proche de Ferhat Abbas et du docteur Benjelloul, plus tard conseiller de la République à Paris où il représente l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien). Le caïd Saïd Zegdani est un autre de ces douze compagnons. Il a aidé l’administrateur de la commune mixte de Canrobert à rechercher les parachutistes ennemis lâchés de nuit sur son territoire. Il a lutté contre les collaborateurs dans les douars de la commune, y perdant même la vue par un coup de revolver.
Source : Cohen-Addad, N. et Quémeneur, T. (2021). Analyse sociohistorique des acteurs du 8 novembre 1942. Dans N. Cohen-Addad, A. Kadri et T. Quémeneur 8 novembre 1942 : Résistance et débarquement allié en Afrique du Nord (p. 65-87). Éditions du Croquant.
Il est également fait allusion à Marcel-Henri dit Mario Faivre dans le chapitre III La guerre d'Algérie de l'ouvrage intitulé "Histoire politique des services secrets français : de la Seconde Guerre mondiale à nos jours" de Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer.
Quelques documents pour aller plus loin :
L'Algérie sous le régime de Vichy / Jacques Cantier, 2002
Une diaspora méconnue : les Juifs d’Algérie / Henri Chemouilli, 1976
Nous avons tué Darlan : Alger 1942 / Mario Faivre, 1975 dont quelques pages sont consultables sur Gallica
Une juvénile fureur : Bonnier de La Chapelle, l'assassin de l'amiral Darlan / Bénédicte Vergez-Chaignon
Juifs et musulmans en France : le poids de la fraternité / Ethan B. Katz ; préface de Benjamin Stora, 2018
Nous avons demandé plus d'informations au service de documentation du CHRD de Lyon et vous avons transmis sa réponse par messagerie privée.
Bonne journée.