Question d'origine :
L'école est elle devenu un marché ? ( analyse sur une échelle nationale/ mondiale / exemble de difference.
Réponse du Guichet

La marchandisation de l’éducation est une réalité désormais mondiale. Edupreneurs et fonds d'investissements se taillent la part du lion de l'enseignement supérieur, entraînant parfois certaines dérives.
Bonjour,
En France, le secteur de l’éducation et plus particulièrement celui de l’enseignement supérieur a effectivement tendance à devenir un marché économique à part entière.
Dans le primaire et le secondaire, malgré une présence forte de l’État, un véritable "marché scolaire" se profile où le privé concurrence le public.
"Si [sa] vocation initiale [...] était de permettre le libre choix des familles désireuses d’une éducation religieuse, l’enseignement privé d’aujourd’hui est peu choisi pour des raisons confessionnelles, mais souvent sur des critères scolaires ou pour éviter un établissement public. Un point crispe particulièrement les défenseurs de l’école publique, qui considèrent qu’elle ne lutte pas, face au privé, avec les mêmes moyens : la liberté de recrutement. La Cour des comptes relevait que « les critères de choix des élèves sont peu transparents » et que l’Etat ne cadrait pas les processus d’exclusion des élèves du privé sous contrat. « Les établissements privés fixent leurs propres règles, et il n’existe pas de procédure d’appel devant le rectorat comme dans le public, explique Me Louis le Foyer de Costil, spécialisé en droit de l’éducation. Cela peut être très expéditif, et rien ne garantit le contradictoire. » L’avocat constate également qu’il arrive que l’établissement n’exclue pas, mais refuse de réinscrire l’année suivante, sans avoir à donner de raison. « Il y a beaucoup de liberté et aucun garde-fou pour éviter les abus », constate-t-il.
Pour M. Vannier, « le privé bénéficie de facilités de gestion, or, dans une logique de marché où les acteurs n’ont pas les mêmes capacités, cela lui donne des avantages ». Il pense qu’au-delà de la question des dérives face auxquelles il appelle à plus de contrôle, le différentiel de contraintes imposées aux deux secteurs d’enseignement devrait être réinterrogé. Un dossier politique sensible qu’aucun élu, en dehors de la gauche, ne souhaite rouvrir."
source : L’enseignement privé, un système parallèle en mal de régulation / Violaine Morin et Eléa Pommiers - Le Monde - mercredi 28 février 2024
La marchandisation de l'éducation est maintenant bien ancrée dans le supérieur où les fonds d'investissement mettent la main sur les écoles d'enseignement privé entraînant parfois certaines dérives. La qualité de l'enseignement ne serait pas au rendez-vous, l'objectif étant de maximiser les profits.
Aujourd’hui, 736 800 étudiants sont inscrits dans l’enseignement supérieur privé, soit un étudiant sur quatre. Il y a dix ans, c’était moins d’un sur cinq. Dans les salons type Studyrama ou L’Étudiant, les slogans s’affichent : « Un campus au cœur de Paris », « une école tournée vers l’international » , « la garantie d’un emploi à la sortie », « un cursus pour le monde de demain ».
« Bétaillères ». Derrière cette vitrine, les accusations pleuvent. Des écoles mentent sur le volume horaire des cours, emploient des enseignants qui sont plus de vagues coachs que des profs, trafiquent le taux d’insertion professionnelle de leurs diplômés. Certains opérateurs louent à des « écoles partenaires » des titres officiels, gages en principe de sérieux pour leurs formations, au vu et au su de l’administration qui, incapable de répondre à la demande de certification, ferme les yeux. Des « marchands de sommeil » empilent des étudiants dans des locaux exigus, créant des « bétaillères » juteuses financièrement. Des moutons noirs isolés ? Des « officines » minoritaires dans un panorama globalement sain ? Pas vraiment.
Les appels à la régulation se multiplient. [...]
Quelque 1 500 structures se partagent aujourd’hui le marché, avec pour seule contrainte de départ d’être déclarées au rectorat. Le chiffre d’affaires de la quarantaine de groupes répertoriés va d’une quinzaine de millions d’euros à plusieurs centaines de millions. Jusqu’à présent, aucun gros scandale n’a éclaté, mais des sonnettes d’alarme ne cessent d’être tirées. Par la DGCCRF (répression des fraudes) en 2022 : 56 % des 80 établissements contrôlés étaient « en anomalie » avec au moins un des points de réglementation. 72 avertissements ont été envoyés.
Saisines. Les saisines du médiateur de l’Éducation ont bondi de 346 % en sept ans. [...]
Depuis une dizaine d’années, le secteur attire des investisseurs. De grands groupes se sont constitués, détenus par des fonds : Omnes Education, Galileo Global Education, Odissey Education pour en citer quelques-uns. « La présence d’acteurs financiers solides et reconnus est d’abord une très bonne nouvelle », note Me Stanislas Richoilliez, associé du cabinet BG2V, qui a eu pour dossier le rachat d’Ermitage international school, à Maisons-Laffitte, par un fonds américain. « C’est une source de financements pérennes dans un secteur qui a un besoin croissant d’investissement que l’État n’a pas toujours les moyens d’assurer », ajoute l’avocat qui plaide cependant pour davantage de régulation.
source : Enseignement supérieur privé: la bombe à retardement / Marie-Amélie Lombard-Latune - L'Opinion - 12/09/2023 - A lire sur : Fondapol
Autres articles sur ce sujet :
Le supérieur privé : un potentiel inépuisable pour les investisseurs ? / Éléonore de Vaumas - L'Etudiant - 31.01.2022
Éducation supérieure : quand la finance s'en mêle / Béatrice Mathieu - L'Express - 02/11/2020
Galileo : le ministère de l’éducation annonce une inspection de l’enseignement supérieur privé / Le Monde / AFP - 10/03/2025
L’éducation, nouvel eldorado pour les entrepreneurs ? / David Giband, Kevin Mary, Nora Nafaa - The Conversation - 30 janvier 2024
Enseignement supérieur: boîtes à diplômes et machines à sous / Marie Piquemal - Libération - 27/09/2022
Nous vous invitons également à lire l'article de Georges Felouzis et Barbara Fouquet-Chauprade intitulé La marchandisation de l’éducation en France : entre marché, régulation et parentalité. En voici une présentation :
La France, comme bien d’autres pays, s’inscrit dans un processus de marchandisation de son éducation. Pourtant, elle y tient une place singulière. Le système reste en effet fortement régulé par la puissance publique et nous montrons la place toute particulière qu’y tient l’enseignement privé, largement subventionné par l’État. Nous montrerons ensuite que la marchandisation s’explique aussi par les demandes familiales et les nouvelles normes de parentalité. Enfin, nous donnons quelques éléments sur les nouvelles tendances éducatives qui s’inscrivent eux-aussi dans le mouvement mondial de marchandisation de l’éducation.
Une série de podcasts France Culture explique que l'enseignement supérieur (écoles privées du supérieur à but lucratif) est devenu un marché comme un autre : Quand l'éducation devient un marché.
La marchandisation de l'enseignement engendre des problèmes de mixité scolaire et participe au développement d'inégalités sociales et scolaires.
L'Aped (Appel pour une école démocratique) est un mouvement belge qui "analyse et combat les mécanismes économiques, les réalités institutionnelles, les choix budgétaires, les discours idéologiques et les pratiques pédagogiques qui tendent à maintenir ou à développer l’inégalité sociale devant l’école ou à réduire l’enseignement à une fabrique de main d’oeuvre productive." Nous vous recommandons la lecture de ces quelques articles. En Belgique, où le choix de l'école publique est libre, 53 % des élèves seraient scolarisés dans une école à faible mixité sociale. Idem pour la Roumanie (60 %), la Hongrie (56 %) et la Bulgarie (56 %).
Un article de Charlotte Hutin et Eric Burgraff intitulé Plus de 50 % des élèves francophones fréquentent une « école ghetto » (Le Soir, 19/03/2024) parle d'une étude de l'Aped qui pourra vous intéresser Impact du quasi-marché scolaire sur l’équité des systèmes éducatifs européens / Nico Hirtt, Olivier Mottint - Appel pour une école démocratique (Aped) - Mars 2024
l’étude atteste d’une corrélation étroite entre le degré de marché scolaire et les inégalités scolaires. Les systèmes éducatifs européens se divisent ainsi en deux grandes catégories. D’un côté, ceux qui régulent leur marché scolaire, avec un choix parental plus encadré, et où les inégalités sont relativement faibles. C’est le cas de la Norvège, la Finlande, la Grèce, et le Portugal. De l’autre, les pays qui organisent les inscriptions selon un libre marché scolaire et où les inégalités scolaires s’avèrent importantes, sans pour autant mieux performer aux épreuves Pisa. On retrouve les deux communautés belges, les Pays-Bas et des pays de l’Est. « Quelques pays échappent à cette classification », indiquent les auteurs. « La Suisse et la France affichent un haut degré d’inégalité sociale, malgré un marché scolaire assez régulé. Inversement, l’Italie obtient de bons scores en matière d’équité, malgré un marché scolaire un peu plus libéral. »
Concernant l'échelle mondiale, voici l'avis de Jacques Attali qui s'exprime dans une Interview réalisée par Bisson-Vaivre, C., Bouvier, A. et Klépal, I. (2023). Les avenirs de l’École face à la marchandisation. Administration & Éducation, 180(4), 135-142.
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Est-ce que vous discernez ou pas des différences par grandes zones géographiques qui tiendraient à la religion, à l’économie ou à l’histoire ?
Tout d’abord, il y a une grande vague mondiale qui fait que la marchandisation de l’éducation s’inscrit dans ce que j’ai décrit dans mes livres depuis longtemps, à savoir la marchandisation progressive de tous les services. Le phénomène a commencé par les services : fabriquer un vêtement, fabriquer un repas, fabriquer un moyen de laver le linge, fabriquer un moyen de raconter des histoires, fabriquer un moyen de communiquer, etc.
Les deux ultimes domaines de service qui restent à marchandiser sont la santé et l’éducation. Ils le sont déjà en partie pour les raisons évoquées précédemment mais désormais ils vont l’être à l’échelle mondiale.
Dans quelle région cette évolution est-elle la plus notable ?
Évidemment, dans les régions où le marché est le plus puissant. C’est-à-dire dans le monde anglo-saxon, mais aussi dans les pays qui n’ont pas les moyens de se doter de systèmes d’éducation publics et qui vont très rapidement être submergés par les systèmes d’éducation privés à distance. Je pense en particulier à l’Afrique, à l’Inde ou à l’Amérique latine, où il va être plus facile d’organiser de l’enseignement à distance privé que de généraliser des écoles de qualité avec trente ou vingt élèves par classe.
Les régions qui résisteront le mieux seront l’Europe, parce qu’elle a un système d’éducation qui tient à peu près la route, et certains pays asiatiques qui ont, eux aussi, des systèmes éducatifs de bonne qualité. Je pense en particulier à la Corée du Sud, à Singapour, au Japon.
Et il y a également les pays qui résistent à l’éducation quoi qu’il arrive, quelle qu’elle soit et quelle qu’en soit la forme ; je pense malheureusement à une grande partie du monde musulman.
A lire aussi
La marchandisation de l’éducation / Sous la direction de Catherine Nafti-Malherbe et Mikael Palme - Esprit critique - Décembre 2017 - Vol. 27. 1
Introduction. Éducation, privatisation, ségrégation : regards croisés Nord/Sud. De l’importance de la dimension spatiale des dynamiques éducatives / David Giband, Kévin Mary et Nora Nafaa - Cahiers de la recherche sur l'éducation et les savoirs - Dossier : Privatisations et ségrégations de l'éducation. Perspectives internationales n° 19 - 2020
Un documentaire de Jean-Robert Viallet, bien que daté, pourra peut-être vous intéresser : Étudiants, l'avenir à crédit, 2014.
Une bibliographie pour aller plus loin :
Les marchés scolaires : Sociologie d'une politique publique d'éducation / Georges Felouzis, Christian Maroy et Agnès van Zanten, 2013
Géographie de l'éducation : concepts, enjeux et territoires / Aurélie Delage, David Giband, Kévin Mary, Nora Nafaa, 2023
Enseignement privé et ségrégation scolaire L’enjeu de la diversité socio-territoriale / Marco Oberti, La vie des idées, 25 avril 2023
Bongrand, P., Hugon, M.-A. et Viaud, M.-L. (2021). Introduction au dossier : La dimension économique des pédagogies différentes - . Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, . 54(4), 7-25.
La marchandisation de l'éducation - Administration & Éducation 2023/4 N° 180 / Association Française des Acteurs de l'Éducation
La bibliographie proposée à la fin de ce diaporama de Barbara Fouquet-Chauprade : Marchés scolaires, privatisation et ségrégation
Bonne journée.