Qui aurait dit qu'en politique il faut toujours nier la vérité ?
Question d'origine :
Qui aurait dit qu'en politique il faut toujours nier la vérité ?
Merci.
Réponse du Guichet

Le rapport complexe du Politique à la vérité... des pistes de lecture
Bonjour,
Si nous n'avons retrouvé aucune trace d'une telle citation, nous postulons que votre question fait référence au travail d’Hannah Arendt, développé dans son ouvrage La crise de la culture. Le chapitre VII, intitulé « Vérité et Politique », traite de cette problématique. Voici un extrait qui répond à votre interrogation : « Il n'a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, que je sache, n'a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques. Les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou de démagogue, mais aussi de celui d'homme d'État.
Pourquoi en est-il ainsi ? Et qu’est ce que cela signifie quant à la nature et à la dignité du domaine politique d’une part, quant à la nature et à la dignité de la vérité et de la bonne foi d’autre part ? Est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de l’essence même du pouvoir d’être trompeur ? »
Nous vous conseillons vivement la lecture de la suite de cet ouvrage...
Ce rapport complexe du Politique à la vérité a donné lieu à de nombreux écrits depuis l’Antiquité : de penseurs comme Platon (La république), Machiavel (Le Prince), Kant (Sur le droit de mentir), Orwell (1984), et de bien d’autres...
Vous trouverez ci-dessous une liste d’ouvrages abordant cette question, majoritairement des travaux de philosophes et de politologues contemporains.
- L'art du mensonge politique, 1733, (attribué à) Jonathan Swift. Le mentir vrai / par Jean-Jacques Courtine, Grenoble : J. Millon, 1993
« Faut-il tromper le peuple pour son bien ? Voilà la question que pose,sur un mode satirique, ce pamphlet attribué à Jonathan Swift. L'art du mensonge politique est en effet « l'art de faire croire au peuple des faussetés salutaires,pour quelque bonne fin ». Art délicat, il obéit aux règles d'un savant calcul, dont le texte énonce les principes : soustraire les mensonges à toute vérification possible ; ne jamais outrepasser les bornes du vraisemblable ; faire varier les illusions à l'infini ; rationaliser la production des contrefaçons politiques en instituant des « sociétés de menteurs ». Ce sont là quelques-unes des lois de ce mentir-vrai indispensable à l'éducation d'un Prince. Ce court traité, qui redouble de façon ironique la leçon de Machiavel, a gardé toute sa pertinence : le mensonge d'aujourd'hui ressemble étrangement à celui d'hier. L'art du mensonge politique apporte ainsi sa modeste mais fondamentale contribution au débat politique contemporain, et à la campagne présidentielle en cours. Toute analogie avec des hommes ou des partis politiques ayant existé,existant, ou à venir ne saurait en aucun cas être le fruit du hasard. »
- Esquisse d'une théorie politique du mensonge, Gérald Pandelon, Paris, LGDJ, 2002
Résumé : " Montre en quoi une certaine conception du politique, de l'Antiquité au XVIIe siècle, tend à l'articulation nécessaire entre vérité et société. Avec la modernité libérale, le mensonge change de statut en accompagnant les mutations du pouvoir induites par la dynamique du marché et la crise de l'Etat. Enfin, le pluralisme politique induit une tendance à la multiplication des secrets et des mensonges."
- Le mensonge, avant-propos de François L'Yonnet ; ouvrage réalisé avec la collaboration de François L'Yonnet et Inès de Warren,Paris, l'Herne, 2019
- Le Mensonge politique, Pierre Lenain, Paris, Economica, 1988
- Petit guide du mensonge en politique, Thomas Guénolé, Paris, Pluriel, 2017
- Philosophie de la post-vérité, Alain Cambier, Paris, Hermann, 2019
Extrait du chapitre V : « La politique et la vérité ne semblent pas pouvoir faire bon ménage : depuis longtemps, on oppose l’homme de vérité souvent représenté en la personne du philosophe et l’homme politique habile en rhétorique. Politique et vérité paraissent non seulement entretenir des relations tendues, mais aussi se réclamer de domaines antagonistes : la politique serait affaire d’action, alors que la vérité relèverait de la connaissance. Aussi, les diseurs de vérité ont souvent payé au prix fort leur engagement pour elle, en face des pouvoirs politiques ou des autorités en place. Ainsi, Socrate fut condamné à boire la ciguë, Giordano Bruno à être mis sur le bûcher, Galilée à abjurer et Vavilov à mourir au goulag… Pourtant, Platon préconisait que les philosophes puissent gouverner ou que les chefs politiques deviennent eux mêmes philosophes. Bien plus, lui-même entreprit plusieurs voyages en Sicile auprès de Denys le Jeune pour le conseiller politiquement, même si ce fut à ses risques et périls. Alors, est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de la nature même du pouvoir politique d’être trompeur ? Si tout pouvoir politique tend à recourir au mensonge,à l’illusion, plutôt que de favoriser l’exigence de vérité, tout porte à croire que plus un pouvoir se montrera tyrannique, plus il sera tenté de faire violence à la réalité objective. Dans la tragédie de Sophocle, le Chœur l’avait suggéré : l’enjeu du vrai est aussi celui la kubernésis politique, c’est-à-dire l’art de tenir fermement la barre de la Cité…»
- La politique mensonge, Roger-Gérard Schwartzenberg, Paris, O. Jacob, 1998
- La vérité, ouvrage dirigé par Roland Quilliot, Paris, Ellipses, 2018
- La vérité en politique, Ágnes Heller, Paris, Payot et Rivages, 2023
" Une réflexion sur le concept de vérité dans la sphère politique à partir du concept de falsifiabilité. Dans un contexte de développement des fake news et de dérives idéologiques, la philosophe questionne le délitement de la confiance du peuple envers ses élus et démontre que la réfutabilité des opinions est un marqueur de la démocratie moderne. "
- La vérité est une question politique, Gloria Origgi, Paris, Albin Michel, 2024
" Une réflexion sur la notion de vérité dans le cadre de la politique depuis l'Antiquité. L'auteure s'interroge sur la transmission du savoir et la manipulation des informations par les experts ainsi que leur légitimité. Alternant les références à l'actualité et aux noms marquants de la philosophie, elle soulève le paradoxe d'une société informée ignorant la vérité."
- De la vérité en politique, François Bayrou, Paris, Plon, 2013
Un ouvrage en résonance avec l'actualité...
Articles en ligne :
- " Le mensonge n’est jamais complètement protégé", Jean-Noël Jeanneney / Le 1 Hebdo, mars 2015
- " Peut-on tolérer le mensonge en politique ? ", Stéphane Robert, France Culture, février 2025
Bonnes lectures !