Quelles pratiques païennes ont encore cours dans les campagnes genevoises du XVIe siècle ?
Question d'origine :
Bonjour,
j'aimerais savoir quelles pratiques païennes - ou superstitieuses - ont encore cours dans les campagnes genevoises et du Chablais au début du XVIe siècle. De même la croyance en l'astrologie est-elle toujours aussi vive qu'au siècle précédent ? Quels livres consulter pour en connaître l'importance en particulier liée à la pratique de la médecine ?
Merci d'avance pour votre aide.
Réponse du Guichet

De nombreuses sources, principalement juridiques, indiquent que les pratiques superstitieuses ont toujours cours tout au long du XVIe siècle et sont encore très présentes jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Mêlant religion et magie, elles ont pour objet la guérison, la divination, mais aussi la protection des personnes, des récoltes et du bétail. L'astrologie s'est popularisée notamment dans le milieu de la paysannerie grâce aux almanachs dans lesquels on trouve des prédictions. Les suisses Conrad Heingarter, Paracelse et Leonhard Thurneysen sont des représentants importants de la médecine astrologique, qui établissait des liens entre les diverses parties du corps et les astres.
Bonjour,
Les pratiques rituelles païennes, sorcelleries et superstitions sont encore très présentes dans les campagnes genevoises et de Savoie au début du XVIe siècle malgré les efforts de l’Église et de la Réforme pour y mettre un terme. Elles perdureront encore plusieurs siècles.
Michel Porret, dans son « Chapitre 1. Magie et superstitions : le “menu peuple” abusé ». (Sur la scène du crime, Presses de l’Université de Montréal, 2008) indique que les pratiques magiques (qualifiées d'"alchimie, conjuration, divination, médications magiques et guérisons thaumaturgiques, invocation satanique, «Grand Œuvre »") perdurent dans les villes et les campagnes jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
pour la majorité des pénalistes, la magie des « prétendus Divins ou Pronostiqueurs » constitue une forme de criminalité astucieuse. Celle-ci vise à escroquer les femmes et les hommes qui ont la crédulité d’y recourir.
Le cas genevois illustre cette nouvelle situation pénale. À Genève, entre 1520 et 1681, 256 femmes et 81 hommes sont suspectés ou inculpés pour sorcellerie, dont 70 sont exécutés par le feu ou la corde (48 femmes, 22 hommes). Après vingt-six ans de modération pénale (entre 1626 et 1651, 25 femmes et 6 hommes sont condamnés au bannissement perpétuel pour « sorcellerie »), en 1652 Michée Chauderon est la dernière femme exécutée pour maleficium.
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Malgré le déclin de la répression du maleficium, entre 1680 et les années 1770, on dénombre encore une trentaine de procès qui répriment des affaires de « prétendue magie ». Ces affaires sont instruites en « petit criminel ». Elles illustrent les continuités mentales et les ruptures juridiques avec la répression de la sorcellerie durant le siècle précédent.
Devant la justice genevoise, la sorcière laisse la place à la « devineresse » qui, à chaque fois, est accusée de « tourner le crible », soit de manipuler le tamis à grain. Après avoir séparé l’ivraie du bon grain, la devineresse prétend lire l’avenir dans la matière qui résulte du criblage. Elle tire ainsi sa puissance de guérisseuse, sa force incantatoire et son savoir-faire magique de son autorité sur les aliments — grain, farine, œufs, café, aromates, épices, huile ou tisane. Pour alimenter son stock de « drogues » et de plantes bénéfiques, elle herborise solitairement aux alentours de Genève.
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Jusqu’aux années 1770, excepté le commerce astucieux des grimoires qui appartiennent à la culture ludique des imprimeurs et des libraires, neuf fois sur dix, les « superstitions » poursuivies illustrent l’usage social de la divination populaire. Celle-ci implique le rite d’intercession illicite qui veut réparer la perte d’objets précieux (bijoux, argenterie, vaisselle, habits), voire la disparition d’un être aimé.
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Face aux « sortilèges », les magistrats sont prudents. Ils punissent la devineresse et censurent sa victime. Ils descendent aussi sur le lieu de la liturgie magique pour confisquer les grimoires ou briser l’attirail divinatoire. Pourtant, ils ne peuvent accréditer l’existence de la magie en la réprimant comme telle. La divination populaire est acculturée par la moralisation judiciaire de la devineresse. « Anciennement, écrit en 1773, Barthelemy Galiffe, ceux qui se mêlaient de sortilèges étaient punis très sévèrement ; mais aujourd’hui que le règne de la superstition est passé, l’on ne les punit que relativement au tort réel qu’ils font à la société et aux dommages qu’ils occasionnent aux particuliers. » Ce réquisitoire éclairé du procureur général illustre l’enjeu judiciaire et moral sur quoi repose la qualification de la « divination » réprimée comme une forme de petite délinquance astucieuse.
Nous vous laissons consulter cet article dans son intégralité.
Certaines pratiques superstitieuses ont pour objet la guérison des malades. Des rituels de guérison catholiques sont encore pratiqués dans la Genève Réformée :
Convoquées le 15 novembre 1545, les femmes de Serés et de Tharex confessent ainsi ingénument avoir consulté un certain Gonguet, un chasseur d’alouettes qui brûlait des charmes (des prières écrites) dans des chiffons et se servait de la croix ou du symbole de la croix pour guérir des fièvres. D’autres, plus prudents, avouent avoir consulté un soignant irrégulier, mais nient que celui-ci aurait recouru à des « pratiques superstitieuses » ; c’est la stratégie adoptée par la veuve du boulanger Roland en novembre 1545. Lorsque le soignant habite la ville, il est cité à comparaître. Le marchand Jacques Carr, citoyen de la République, justifie devant le tribunal sa pratique de guérisseur d’os brisés et de ruptures par le fait que son père la lui avait enseignée, comme ce dernier l’avait lui-même appris de son propre père. Le tribunal ne le lâche pas et lors d’une seconde comparution, il avoue finalement l’emploi de brevets, soit des billets sur lesquels étaient inscrits des mots et des formules. Des habitants de Genève continueront à recourir à des rituels de guérison catholiques, en dépit de la codification toujours plus précise des modalités d’accès aux professions médicales, s’adressant toujours plus systématiquement à des guérisseurs (catholiques) établis au-delà des murailles de la République. Aux yeux du tribunal, les fidèles qui agissent ainsi se placent du mauvais côté de la limite du superstitieux. En 1650, une femme aurait cherché à soigner une malade en se faisant donner ses habits, « et les rognures des ongles de ses mains et pieds et a le tout porté hors les franchises de la ville et faire brûler puis faire boire les cendres à la malade et que la dite femme a dit avoir demeuré trois jours et trois nuits par les lieux déserts pour prier pour la malade ». [...]
Au début du XVII e siècle, les Genevois continuent à recourir à l’un ou l’autre des rituels de guérisons catholiques, consultant notamment le clergé de la Contre-Réforme établi dans des villages savoyards situés à proximité de la ville. Le 25 avril 1605, par exemple, Michel Monard est cité à comparaître pour être « allé avec sa femme et un sien petit enfant impotent en un village ici près pour trouver un prêtre pour le prier de guérir ledit enfant ». Des cas similaires reviennent régulièrement dans les registres jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Certaines stratégies de défense déployées par des Genevois signalent des appréhensions particulières de ce qui est « superstitieux » : le 21 juin 1649, Rolette Falquet avoue avoir envoyé son fils souffrant des écrouelles dans le village catholique de Pouilly. Elle nie avoir fait dire des neuvaines pour lui, affirmant avoir voulu lui faire changer d’air, une stratégie thérapeutique tout à fait orthodoxe. Elle concède cependant que son frère fit toucher le malade par son septième fils et lui fit réciter l’oraison dominicale. Il est peu étonnant que le Consistoire ne se contente pas de cette justification et lui adresse des « remontrances », soit un exposé de ses torts en l’incitant à s’amender dans l’avenir.
source : Croyances et santé : « erreurs populaires » et superstitions romaines à Genève (1550-1750) / Rieder, Philip Alexander
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter cette réponse du service InterroGe sur la chasse aux sorcières dans la région genevoise. Nous vous invitons à solliciter ce service de questions réponses pour poursuivre vos recherches.
Lire aussi : Eschatologie et astrologie, à l'aube de la Réforme: Johann Albertini, prêtre valaisan, témoin du « Temps de l'angoisse » / Ammann-Doubliez Chantal, Fayard Duchêne Janine. In: Histoire, économie et société, 2003, 22ᵉ année, n°3. pp. 307-324.
Les pratiques ésotériques semblent également perdurer au-delà du XVIe siècle en Savoie. Charles Joisten s'est intéressé aux "magiciens" des Alpes et a publié avec Alice Joisten un article intitulé Cinq figures de magiciens en Dauphiné et Savoie (Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie Année 1986 14-1 pp. 17-136) dans lequel il parle du "Pape des Aix", originaire de Vailly-en-Chablais. Il aurait vécu au XIXe siècle. Il pratiquait une magie mêlée de religion et se risqua même à quelques prophéties. Charles Joisten a également publié Etres fantastiques de Savoie : patrimoine narratif du département de la Savoie.
L'astrologie est née au Moyen-Âge mais se diffuse dans toute la société à la Renaissance. L’apogée de l’influence des astrologues semble se situer au XVIe siècle.
L'astrologie, qui touche d'abord un public cultivé, tend à se populariser et se diffuser notamment par les almanachs dans lesquels on trouve des prédictions annuelles utiles aux paysans. Des calendriers astrologiques permettaient de déterminer les moments propices aux semailles, aux récoltes ou aux traitements médicaux.
Voici deux extraits de documents qui pourront vous intéresser :
Enseignée par les Arabes en Espagne et en Sicile, l'astrologie prit à nouveau pied en Europe au XIe s. Elle se répandit dans toutes les couches de la société, devint une science reconnue et atteignit son apogée à la Renaissance, bien que de nombreux humanistes, tel Pamphilus Gengenbach, l'aient caricaturée dans des parodies de divination. Trois représentants éminents de la médecine astrologique, qui mettait en rapport les diverses partie du corps avec les astres (microcosme et macrocosme), viennent de Suisse : Conrad Heingarter (Defensio astrologica, 1488), Paracelse et Leonhard Thurneysen.
Les réformateurs ne jugeaient pas tous l'astrologie de la même façon : Zwingli, Calvin et Vadian s'opposaient à la divination, mais non pas Melanchthon. Peu avant 1500, l'astrologie apparut dans les Almanachs indiquant aux paysans les moments propices pour les travaux des champs et les saignées. La position des cinq planètes alors connues, du Soleil et de la Lune était déterminante. Au XVIIe s., avec le développement des sciences, l'étroite relation unissant l'astrologie, l'astronomie et les mathématiques se perdit.
source : Dictionnaire historique de la suisse : astrologie voir aussi Superstition et Sorcellerie
L’étude des astres à la Renaissance résultait d’une tradition médiévale mêlant éléments classiques et arabes. Elle connut quelques innovations grâce aux travaux de Nicolas Copernic et Johannes Kepler, au progrès technologique et au développement de l’observation. Les Réformes catholiques et protestantes ont également joué un rôle important en repensant la manière d’étudier le ciel, en établissant des règles sur les pronostics et les prédictions, et en créant un état d’esprit eschatologique favorisé notamment par les luttes confessionnelles et la guerre contre les Turcs. Une importante tradition astronomique et astrologique émergea à Wittenberg dans la première moitié du XVIe siècle et se répandit dans les autres universités luthériennes qui avaient adopté les réformes du programme d’études de Philippe Mélanchthon : Tycho Brahe et Johannes Kepler, notamment, en tirèrent profit. Mais les réformateurs n’étaient pas tous favorables à l’astrologie : Luther, Calvin, Zwingli et Vadian y étaient opposés. L’écrivain bâlois Pamphilus Gengenbach la caricatura dans des parodies de divination. Du côté catholique, les jésuites soutenaient l’étude des astres, encouragés par la promotion des mathématiques dans leur milieu (en particulier Christopher Clavius au Collegio Romano). Toutefois, l’Église catholique post-tridentine était globalement opposée à l’astrologie : le pape Sixte V interdit par exemple la pratique de l’astrologie judiciaire dans sa bulle Coeli et terrae (1586). Les Suisses Conrad Heingarter, Paracelse et Leonhard Thurneysen étaient des représentants importants de la médecine astrologique, qui établissait des liens entre les diverses parties du corps et les astres. Au milieu du XVIe siècle, Thomas Éraste prit part au débat sur l’astrologie et produisit des ouvrages sur le sujet, notamment contre la généthlialogie (l’horoscope des naissances) et sur les origines de l’astrologie. En 1580, Johann Jakob Grynaeus publia la correspondance d’Éraste sur les questions astrologiques (De astrologia divinatrice epistolae, Bâle, Perna, 1580). Le professeur de mathématiques bâlois Christian Wurstisen (1544-1588) publia un ouvrage sur le sujet, mais l’orthodoxie protestante en place ne lui permit pas de l’enseigner à l’université.
Parmi les humanistes qui ont écrit sur la science des astres en Suisse, citons le professeur de Bâle Martin Borrhaus (In cosmographiae elementa commentatio. Astronomica. Geographica, Bâle, Oporin, 1555), le pasteur zurichois Ludwig Lavater (Cometarum omnium fere catalogus, Zurich, Gessner, 1556, suivi d’un poème de Rudolf Gwalther sur une comète parue en mars de cette année-là), l’humaniste bernois Benedikt Marti, dit Aretius (Brevis cometarum explicatio, Zurich, Gessner, 1556), ou encore le professeur zurichois Josias Simler (De principiis astronomiae libri duo, Zurich, Froschauer, 1559).
Au XVIIe siècle, le développement des sciences mit à mal le lien qui unissait l’astrologie, l’astronomie et les mathématiques. Parallèlement, les Églises catholiques et protestantes renforcèrent leur lutte contre l’astrologie.
source : Prose et poésie latines des humanistes suisses du XVIe siècle - Littérature scientifique
L'astrologie occupait une place centrale dans la médecine de la Renaissance. Les médecins croyaient que les positions des astres pouvaient influencer la santé humaine, et l'astrologie était utilisée pour déterminer les moments propices aux traitements, aux saignées ou à l'administration de médicaments. Des auteurs comme Paracelse ont intégré l'astrologie dans leurs pratiques médicales.
A lire :
Lefebvre Thierry, Raynal Cécile. Paracelse. Entre magie, alchimie et médecine : une vie de combat au temps de la Renaissance. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 84ᵉ année, n°311, 1996. pp. 407-410.
Les astrologues européens et la genèse de l’État moderne (XIIe-XVIIe siècle) : une première approche / Boudet, Jean-Patrice. L’état moderne et les élites. XIIIe - XVIIIe, édité par Jean-Philippe Genet et Günther Lottes, Éditions de la Sorbonne, 1996, aux pages p. 421-433
Pour aller plus loin :
Sorcellerie et superstition à Genève : XVIe-XVIIIe siècle / Christian Broye
Les superstitions au Moyen Age / Jean Verdon : les chapitres 3 et 4 de la partie III consacrée au satanisme pourra tout particulièrement vous intéresser (pages 246 à 300)
Diableries et sorcellerie en Savoie / Michèle Brocard-Plaut
Paysans des Alpes : les communautés montagnardes au Moyen Age / Nicolas Carrier, Fabrice Mouthon
Médecine, astrologie et magie entre Moyen âge et Renaissance : autour de Pietro d'Abano / textes réunis par Jean-Patrice Boudet, Franck Collard et Nicolas Weill-Parot
Bonne journée.