Comment consulter les Ausweiss accordés en 1942 pour franchir la ligne de démarcation ?
Question d'origine :
Bonjour,
Serait-il possible de savoir si l'on peut consulter la Liste nominative des Ausweiss accordés pour franchir la Ligne de Démarcation en Juillet 1942, en utilisant le train de Paris à Nice. Par avance merci pour vos conseils... A quelles Archives s'adresser ? Bien cordialement à vous
Yves D.
Réponse du Guichet

Au vu des procédures pour les obtenir et des premiers éléments de recherche dont nous disposons, les demandes d’Ausweis (laissez-passer) de la France occupée ne sont pas centralisées. Nous vous encourageons à consulter les archives nationales (notamment le fonds "Occupation allemande" et le centre des archives diplomatiques de La Courneuve) ainsi que les archives départementales des zones concernées par la ligne de démarcation.
Bonjour,
Suite à la défaite de l'armée française en juin 1940 face à l'envahisseur nazi, l'armistice franco-allemand prévoit le découpage de la France en plusieurs zones occupées. A partir du 25 juin, le territoire national est divisé en 2 grandes zones : la zone nord, où "zone occupée" par l'armée allemande, et la zone sud, aussi appelée "zone libre", où le gouvernement français s'installe, à Vichy. Pour départager ces deux entités une ligne de démarcation est alors dressée sur plus de 1200 kilomètres, de la frontière espagnole dans l'actuel département des Pyrénées atlantiques à la frontière suisse, dans l'Ain.
Des bataillons de l'armée allemande étaient postés sur les axes principaux qui ralliaient le nord et le sud du pays (routes, grands chemins, ponts, gares etc.), bien qu'ils ne disposaient pas des moyens humains de contrôler l'ensemble du tracé (champs, sentes, forêts, vignes, rivières etc.). Pancartes, poteaux, panneaux vinrent alors matérialiser cette nouvelle frontière laissée parfois sans surveillance, ainsi garnie d'explosifs et d'outils de défense (barbelés, clôtures etc.).
Comme votre question l'évoque, ce contrôle territorial ne s'est pas seulement matérialisé par le déploiement d'une ligne de démarcation, il s'est aussi accompagné d'un règlement strict et spécifique de son franchissement. Comme l'explique le site gouvernemental Chemins de Mémoire : "en "ouvrant" ou en "fermant" la ligne de démarcation selon sa volonté et ses besoins, l'occupant nazi dispose alors d'un moyen de pression sur les Français et assure sa mainmise sur le pays et son économie."
Très concrètement cette ouverture ou fermeture des frontières était conditionnée à l'obtention d'un Ausweis, un papier qui faisait office de laissez-passer, et qui n'était octroyée aux populations qu'après examen strict de leurs motivations. Même les ministres du gouvernement français ne possédaient pas d'un laissez-passer permanent, seuls Philippe Pétain et Pierre Laval (grâce aux faveurs de l'ambassadeur d'Allemagne en France) étaient autorisés d'aller et venir entre les deux zones (La ligne de démarcation, Eric Alary, 1995, PUF, p.49). Les situations justifiant la traversée ou l'aller-retour d'une zone à l'autre étaient très restreintes et les démarches pout obtenir le précieux document, forts pénibles : "Les laissez-passer ne sont accordés que dans des cas reconnus d'urgence (naissances, enterrements ou maladies graves de proches parents) et les candidats à la traversée sont soumis à des démarches interminables et à de multiples tracasseries administratives."
Aussi, un régime spécial s'appliquait pour les populations vivant à moins de 10 kilomètres de la ligne de démarcation, le régime de la "petite frontière". Dans son livre, Eric Alary prend notamment l'exemple d'un proche frontalier qui souhaitait traverser la zone pour des raisons professionnelles :
Les démarches pour l'obtention d'un laissez-passer étaient un véritable parcours du combattant. Pour les "frontaliers", il fallait remplir un dossier retiré à la Feld-, à la Kreis, où à l'Orst-kommandantur la plus proche du domicile. Le demandeur devait fournir un certificat du maire. Celui-ci justifiait sa résidence dans la commune et notifiait les raisons professionnelles qui motivaient la demande. Ensuite, les gendarmes transmettaient la demande à un poste de contrôle français qui le faisait suivre jusqu'à un poste allemand. Ce dernier se chargeait de le remettre aux autorités compétentes. Le but recherché était de décourager un maximum de demandeurs.
Source : La ligne de démarcation de Eric Alary, 1995, PUF, (p.49)
Cet exemple illustre parfaitement le dédale administratif dans lequel se lançaient les aspirants traverseurs. Chaque demande passait entre les mains de plusieurs entités administratives françaises et allemandes, et chacune de ces demandes étaient traitées localement.
Si l'objectif de votre requête est de quantifier le nombre de demandes ou bien d'examiner le ratio/demande refus des Ausweis, il était précisé par Alary en 1995 que "les archives départementales et nationales ont permis d'approcher une quantification et de se donner un ordre de grandeur sur les passages d'une zone à l'autre. Cependant, les sources sont trop ponctuelles ou lacunaires. Il manque la plupart des cahiers de rapports de nombreux postes de surveillance français. Ces registres relevaient le nombre journalier des passages effectués avec des laissez-passer." (p.55)
L'ensemble de ces paramètres explique aujourd'hui qu'il n'y a pas d'archive centralisée où retrouver les demandes listées pour la délivrance d'Ausweis en France occupée. Il faudrait contacter des archives départementales mais aussi les archives nationales pour retrouver ça et là des dossiers ou des demandes isolées.
En interrogeant le fonds Occupation allemande (1940-1944) sur le site des archives nationales avec les mots-clés "laissez-passer" ou "Ausweis", vous rencontrerez plusieurs lieux d'archives où l'on peut encore trouver les documents qui composent ces demandes.
Nous vous transmettons également un lien vers cet inventaire d'Even, Pascal, et al., « Cabinet du ministre ». Correspondance politique et commerciale, Direction des Archives, 2021, qui décrit la composition de ce fonds d'archives consacré à la seconde guerre mondiale. Les dossiers 21-25 seraient exclusivement consacrés aux demandes d'Ausweis. Ils se situent au centre des archives diplomatiques de la Courneuve (série Guerre 1939-1944 Vichy, sous-série 24GMII) dont voici le contact.
Nous pensons aussi aux archives d'Indre-et Loire, ou encore à celles de la Nièvre. Et plus largement toutes les archives départementales des départements concernés par la traversée de la ligne de démarcation comme par exemple le Cher, l'Allier ou la Saône-et-Loire, etc. Ce guide d'aide à la recherche sur le site des archives des Côtes d'Armor désigne aussi très bien la section réservée aux demandes de laissez-passer : "Autorisation de circuler : cahiers d’enregistrement et listes des dossiers des demandes de laissezp-asser adressés à la Kommandantur (1940-1944). 2 W 60" (p.34)
Nous vous encourageons aussi à consulter les livres suivants :
24 heures de la vie sous l'Occupation / Guillaume Pollack (PUF, 2024)
Une ville sous l'Occupation : Moulins, sur la ligne de démarcation, au nord de Vichy de Julien Bouchet (Bleu autour, 2021)
La ligne de démarcation dans le département de la Charente : 1940-1943 / Jacques Farisy (Gestes Editions, 2009)
Mais aussi ces pages/sites internet :
- Les passagers clandestins dans le Cher, particularités de Vierzon de Jean-Claude Bonnin.
La ligne de démarcation par Eric Allary, Docteur ès Lettres de l'institut d'études politiques de Paris (Chemins de mémoire)
Cet Ausweiss numérisé sur le site de la ville de Chalon-sur-Saône.
Et celui-ci sur le site Les Resistances.France3.
En vous souhaitant le meilleur dans vos recherches,