Je recherche des poèmes sur le tissage et les tisserands.
Question d'origine :
Bonjour,
je suis à la recherche des poèmes sur le tissage, les tisserands, en français ou dans d'autres langues.
Merci
Réponse du Guichet

Symboliquement, le tissage est un acte éminemment poétique.
Ce motif lexical et stylistique est ainsi récurrent dans la littérature antique et médiévale, chez les poètes latins d'Ovide à Sidoine Apollinaire, chez les poètes grecs d'Homère à Sophocle, ainsi que dans les chansons de toile médiévale.
La poésie moderne et contemporaine continuent de "filer la métaphore" du tissage, de Rimbaud jusqu'à Lorand Gaspar, en passant par la poésie berbère, les haïkus...
Des œuvres visuelles mêlent étroitement poésie et textile comme la poésie combinatoire sur brocart de soie de Su Hui, les poèmes sur soie de Jen Bervin, les slogans brodés d’Annette Messager...
Bonjour,
Vous recherchez des poèmes sur le tissage et les tisserands en français ou dans d'autres langues.
Les œuvres poétiques, des périodes antiques jusqu'aux périodes contemporaines, explorent le motif lexical du textile dans diverses langues et cultures, que l'on pense à la figure de Pénélope ou de Philomène, aux chansons de toile médiévale, aux poèmes hindis de Kabîr le tisserand, aux haïkus, à la poésie contemporaine...
L'ouvrage collectif Textes et textiles du Moyen âge à nos jours consacre son onzième chapitre aux figures métaphoriques du textile dans la littérature antique et médiévale. Le poète Ovide met ainsi en scène la métaphore du discours tissé dans le récit de la tisserande Arachnè (nom propre signifiant "araignée"), au début du livre VI des Métamorphoses.
Sitôt qu'ils sont touchés par ce présent funeste,
Elle perd ses cheveux, son nez et ses oreilles
Sa tête se réduit, tout son corps s'étrécit,
De maigres bras se lient en jambes à ses flancs,
Le reste n'est que ventre. Elle en tire pourtant
Du fil, et tisse encor, araignée, comme hier.
Source : "Les Métamorphoses", Ovide (trad. Olivier Sers), éd. Les Belles Lettres, coll. « Classiques en poche », 2009, VI, p. 253, vers 140-145
Le "tisser" au sens d'"écrire" émerge chez les Romains vers la fin de la République, avec Cicéron dans Lettres à sans amis : "Quant aux lettres, j'ai l'habitude de les tisser avec des mots de tous les jours".
Un poète romain du VIe siècle, Luxurius, développe une théorie du texte dans laquelle la lecture est un re-tissage de l'écrit par le lecteur. Ce petit poème de Luxurius est à ce titre évocateur :
"Quand tu possèdes déjà des livres du passé que tu approuves, ô lecteur, et qui
peuvent plaire grâce à l'excellence de leur style, pourquoi retisses-tu [retexis], la
page de notre petit livre plein de bagatelles et d'idées superficielles que,
débutant, je me suis amusé à écrire, dans un esprit juvénile ? [...]"
Source : "Carmina" de Luxurius cité dans Textes et textiles du Moyen âge à nos jours
Les XIIe et XIIIe siècles voient apparaître à la suite des romans antiques et byzantins puis de Chrétien de Troyes, des romans en vers où se répandent des descriptions d'étoffes fastueuses, illustrées avec un luxe de détails. Cette imagerie se déploie par exemple dans Galeran de Bretagne de Jean Renart, qui détaille le drap "de soie, d'or et de couleurs" que Gente (la mère de Fresne ) a replié sous la tête de son nouveau-né avant de l'abandonner : Fresne le conservera comme seul témoignage de son origine.
L'article Tisser un chant, d'Homère à Euripide publié en 2002 dans la la revue Gaia, s'intéresse aussi à la métaphore du tissage chez les poètes grecs, d'Homère jusqu'aux poètes grecs tragiques :
Symboliquement, le tissage est un acte éminemment poétique, au sens étymologique du terme. En effet, dans les religions et dans les mythologies, les déesses fileuses ou tisserandes fabriquent pour chacun l'étoffe de son existence6. Par ailleurs, appliquées à l'humain, les métaphores premières concernant le tissage sont en relation avec la vie génitale ou avec la fonction créatrice des femmes. [...]
Dans L'Iliade ou dans L'Odyssée, la description des nobles tisserandes fabriquant de belles étoffes, devant leur métier, suggère quelque similitude avec les gestes et le comportement des aèdes, et la nature de leurs ouvrages paraît comparable, à certains égards. Ainsi, les motifs dessinés sur la toile racontent une histoire, tout comme les œuvres des chantres archaïques. Lorsqu' Hélène tisse un grand manteau de pourpre, au fond des demeures troyennes, son expression est personnelle, mais elle a l'ampleur d'une chanson de geste (« elle tissait une large pièce, un manteau double de pourpre. Elle y semait les multiples hauts faits des Troyens dompteurs de cavales et des Achéens à cotte de bronze, les multiples épreuves qu'ils ont subies pour elle sous les coups d'Ares. ») [...]
L'art du poème est en quelque sorte transposé, à travers cette pratique du tissage. Au fond du gynécée, les figures féminines représentées dans L'Iliade ou dans L'Odyssée illustrent donc leur épopée à travers l'éclat des couleurs jetées sur une toile23. Leur art est figuratif, comme celui des aèdes, et il est aussi vocal et musical. En effet, Calypso chante, tisse en même temps, et une correspondance s'établit entre ces deux opérations simultanées : (« A l'intérieur, elle chantait de sa belle voix, et tissait, faisant courir sur le métier sa broche d'or. ») 24 [...]
Les diverses correspondances qui affleurent dans les textes épiques entre le personnage de la tisserande et celui de l'aède ne sont pas explicitement reconnues. En ces siècles de l'époque archaïque, il n'est pas encore possible de lever l'interdit posé par une mentalité primitive selon laquelle le tissage est l'affaire des femmes, de manière à établir une équivalence entre cette activité imaginée comme un processus de création organique, et celle d'un aède masculin. [...]
Pindare donne ainsi des connotations très viriles à des métaphores de filage et de tissage (στρέφοι, πλέκων, ελκειν) qui s'appliquent explicitement à la technique littéraire67 et, grâce à cette évolution de la métaphore, le poète n'hésite plus désormais à assumer pleinement sa responsabilité de tisserand, même dans ses opérations les plus délicates. Ainsi, dans un vers restitué par un scholiaste, Pindare manifeste son souci d'harmoniser les fils et les couleurs du tissu : υφαίνω δ' Άμυθαονίδαισιν ττοικίλον άνδημα (« je tisse pour les Amythaonides un diadème diapré ») 68 [...]
A leur tour, les tragiques renouvellent profondément la structure de cette expression, découvrant ainsi de nouvelles sources d'une émotion poétique fondée en premier lieu sur l'exaltation du sentiment de la douleur. [...] Dans les pièces de Sophocle ou d'Euripide, en revanche, les poètes représentent des personnages féminins qui accomplissent effectivement l'ouvrage de la toile et qui, de ce fait, font métaphoriquement s'élever une voix entendue comme tragique. [...]
Avec les tragiques, l'émotion créatrice devient très proche de l'humain. Toujours est-il que la composition de l'œuvre est dans chaque cas ressentie comme une nécessité intime. L'auteur qui en subit les effets se croit alors mû par un dessein divin ou par une pulsion animale comparable à celle de l'araignée qui tisse sa toile.
Source : Tisser un chant, d'Homère à Euripide / Assaël Jacqueline.In: Gaia, revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque, numéro 6, 2002. pp. 145-168.
L'article de Marie-France Gineste, Poétique du tissage féminin : quelques figures de tisseuses dans la poésie latine, d'Ovide à Sidoine Apollinaire, suit les métamorphoses de la figure de la tisseuse dans la poésie latine, notamment celle d'Arachné, en s'ancrant dans les représentations grecques.
Citons encore l'étude suivante de Pietro Pucci, Entre mythe et poésie : le tissage du chant de Pénélope, publiée en 2000 dans Revue de l'histoire des religions (tome 217, n°2, pp. 279-292) :
L'originalité de ce livre est d'avoir mis en rapport la poétique odysséenne avec la mythologie du tissage : éclairée par ce contexte, Pénélope tisserande devient un faux-semblant de vierge au seuil du mariage. Ce rôle symbolique, qui s'accorde avec la sollicitation des prétendants, crée une série d'effets importants qui renouvellent et enrichissent l'interprétation de l'activité de Pénélope. Dans le sillage de cette thèse, l'auteur de l'article s'interroge sur le tissage comme métaphore de la composition du poème, sur le rapport des prétendants au rituel sacrificiel et sur la gloire d'Ulysse.
Au Moyen-âge, la chanson de toile, poème lyrique médiéval du nord de la France, doit son nom au thème central qui présente une haute dame occupée à des travaux de couture et soucieuse de l'amour de son beau chevalier. On ne connaît qu'une vingtaine de textes datant du début du XIIIe siècle. Edmond Faral les recense dans son étude Les chansons de toile ou chansons d'histoire (In: Romania, tome 69 n°276, 1946). Citons ainsi la chanson de toile "Bele Aiglentine en roial chamberine" insérée dans l'oeuvre plus large du roman de Jean Renart Guillaume de Dole ( début du XIIIe siècle) :
"Bele Aiglantine en roial chamberine
Devant sa dame cousoit une chemise,
Ainc n'en sot mot quant bone amor l'atise".
(= Belle Églantine dans une chambre somptueuse cousait une chemise devant sa mère, cependant celle-ci ne savait rien du tendre amour qui brûlait en elle)
Source : la chanson de toile (Wikipédia)
Concernant l'époque du XIXème siècle qui a vu naître la révolution industrielle et la place importante des métiers des étoffes, nous vous invitons à parcourir le catalogue de l'exposition « Étoffes et Littérature. Les textiles dans la littérature au XIXe siècle » qui s'est tenue à la Maison de Chateaubriand en 2022.
Le blog personnel du poète Jean-Luc Pouliquen fait mention de deux anthologies de poésie sur le thème du tissage évoquant des poètes contemporains. La première intitulée Tisserands du monde, et publié sous l'égide de la Maison de la poésie et des lyrismes du Velay-Forez, contient des textes anciens de Homère à Philippe Jaccottet. La seconde, qui a pour titre Liens et entrelacs, émane d'un collectif de poètes du monde.
Installée depuis peu dans la région stéphanoise, celle-ci a une tradition ancienne de tissage, passementerie, rubans et liens, au sens artisanal du métier mais aussi au sens de ces tissages, tressages et liens sociaux très puissants de solidarité.
De la parole du philosophe à la pratique sociale de ma région, j’ai pensé qu’il fallait, comme poète soutenir, renforcer ces liens et ces luttes tisserandes d’aujourd’hui, en étayant avec des textes d’auteurs anciens et en consolidant avec des textes de créateurs contemporains pour constituer un recueil de références autour de ces révolutions tranquilles.
Si les mots des tisserands font défaut aujourd’hui dans la langue française, quelques-uns subsistent dans le tissage des textes, le florilège des textes anciens vient rappeler le dur labeur des tisserands et autres passementiers, mais surtout témoigne de la parole vivante qu’il faut élargir.
Source : avant-propos du livre "Tisserands du monde" par Nicole Barrière, cité sur le blog personnel du poète Jean-Luc Pouliquen
Concernant la poésie moderne et contemporaine française, nous vous conseillons de lire ces trois articles, consacrés respectivement à Arthur Rimbaud, Francis Ponge et Lorand Gaspar.
> Verna, Maria. « Des anges en robe de laine: l’âme nue d’Arthur Rimbaud ». « La grâce de montrer son âme dans le vêtement » Scrivere di tessuti, abiti, accessori. Studi in onore di Liana Nissim, édité par Marco Modenesi et al., Ledizioni, 2015
> Beugnot, B. (1990). La trame et le tisserand : L’araignée (1942-1948). Poétique de Francis Ponge : Le palais diaphane (p. 171-178). Presses Universitaires de France
> Jérôme Hennebert. « La métaphore du tissage dans la poésie de Lorand Gaspar ». Presses Universitaires de Provence, coll. « Textuelles ». Mais que reste-t-il de nos métaphores ? La métaphore à l’épreuve de la littérature contemporaine, sous la dir. de Sylvain Dournel, p. 83-98, 2022
La thèse d'Olfa Ben Abdessalem Néjima publiée en 2011 s'intéresse à la relation qui unit la poésie berbère au tissage : La poïétique du klim : poésie et tissage berbère / Olfa Ben Abdessalem Néjima ; sous la direction de Guy Lecerf, 2011. Thèse (version d'origine) : "cette thèse s’intéresse particulièrement à une pratique patrimoniale : le tissage berbère. Et précisément, à la relation qui unit la poésie chantée au tissage".
Le tissage et la poésie entretiennent donc des liens étroits trans-culturels, que ce soit dans une perspective philologique avec des œuvres textuelles mais également matérielle avec des œuvres visuelles comme la poésie combinatoire sur brocart de soie de Su Hui, l'héritage des quipus incas, les poèmes sur soie de Jen Bervin, le craftivisme, ou des œuvres contemporaines comme les slogans brodés d’Annette Messager, haiku d’Anni Albers, glossolalia de Sheila Hicks, ode à l’oubli de Louise Bourgeois, etc.
A ce propos, nous vous informons de la tenue d'un colloque « Soft matters. Poésies textiles, jadis et aujourd’hui » (co-organisé par l’École normale supérieure-PSL et l’Université de Fribourg), qui se déroulera à Paris sur 3 journées consécutives (25-27 septembre 2025), en partenariat avec l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et le Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge.
Techniques ancestrales qu’on retrouve dans toutes les cultures, la tapisserie et les travaux d’aiguilles entretiennent avec la composition poétique (religieuse ou profane, traditionnelle ou expérimentale, collective, anonyme ou signée) des relations étroites qui dépassent amplement la métaphore évidente portée dans l’Antiquité latine par le mot textus– saisie de fils entrelacés –, ou bien par les images courantes empruntées au lexique du textile (trame, fil, chaîne, nœud, points, tresses, etc.) dans de nombreuses langues pour parler de poésie et de fiction. [...]
Le colloque explorera, dans une perspective matérielle et trans-médiale, cette relation complexe entre poésie et pratiques textiles dans des œuvres poétiques et visuelles qui la travaillent de manière explicite, des périodes les plus anciennes jusqu’à l’extrême contemporain, et dans diverses aires géographiques et culturelles. Il se situe dans le prolongement de plusieurs livres collectifs sur la poésie visuelle au Moyen Âge et aujourd’hui[1] et d’un séminaire de littérature consacré pendant trois ans à la poésie textile dans différents corpus[2]. [...]
Les communications entrecroiseront les disciplines et les approches du texte poétique et des œuvres textiles. Elles porteront en priorité sur les textiles qui contiennent ou renvoient à un texte poétique et se définissent comme des poèmes (haiku d’Anni Albers, glossolalia de Sheila Hicks, ode à l’oubli de Louise Bourgeois…), ou bien à l’inverse, sur des œuvres poétiques qui réfléchissent la pratique et la signification des arts du textile et inscrivent la poésie dans une histoire du craftivism. Pour appréhender la signification de ces œuvres hybrides et de ces références croisées, leurs contextes de production et de diffusion, leurs poétiques et leurs usages, il sera nécessaire de diversifier les savoirs et les pratiques : des spécialistes en histoire des textiles, philologie et histoire des corpus poétiques, esthétique, anthropologie et sociologie, archéologie, mais aussi études de genre et histoire du féminisme, écopoétique, subaltern studies seront invité.es à partager leurs perspectives autour de ce sujet transdisciplinaire. Seront aussi associé.es des poètes, des artisans et des artistes, à l’occasion d’expositions, de performances et d’entretiens.
Source : « Soft matters. Poésies textiles, jadis et aujourd’hui »
N'hésitez pas à consulter la riche bibliographie accompagnant cette présentation. Voici quelques références francophones et anglophones qui en sont issues :
Marine Ducroux-Gazio, « Fileuses, sorcières, brodeuses, conteuses. Textiles féminins du bas Moyen Âge : émancipations, dépossessions, narrations et cosmologies brodées », mémoire à l’ENSAD, sous la dir. de Lucile Encrevé, 2022
Françoise Frontisi-Ducroux, Ouvrages de dames : Ariane, Hélène, Pénélope, Paris, Seuil, 2009.
Jane Burns, Courtly Love Undressed : Reading Through Clothes in Medieval French Culture, University of Pennsylvania Press, 2002
Kathryn S. Kruger, Weaving the Word. The Metaphorics of Weaving and Female Textual Production, Susquehanna University Press, 2002
Anna McKay, Female Devotion and Textile Imagery in Medieval English Literature, Woodbridge, D.S Brewer, 2024
Pour aller plus loin, vous trouverez ci-après une sélection bibliographique issue de nos collections :
Vestiaire de la littérature [Livre] : cent petites confections / Martine Boyer-Weinmann, Denis Reynaud, 2019
Les écrivains français et la mode [Livre] : de Balzac à nos jours / Rose Fortassier, 1988
Ut musica poesis [Livre] : poésie visuelle et sonore au Moyen Age et aujourd'hui / sous la direction de Nathalie Koble et Amandine Mussou, 2024
Textes et textiles du Moyen âge à nos jours [Livre] / textes réunis par Odile Blanc ; avec les contributions de Louis André, Odile Blanc, Florence Charpigny... [et al.], 2008
Tissu-Papier, échanges d'impressions [Livre] : question de points de vue / textes réunis par Odile Blanc et Florence Charpigny ; avec les contributions de Alan Marshall, Nathalie Foron-Dauphin, Agnès Bruno... [et al.], 2005
Pour conclure, citons un poème d'Andrée Chedid Le temps-tisserand publié dans Rythmes [Livre] / Andrée Chedid (2018) :
"Par à-coups et par glissements
Par envols et par piétinements
Par chemins et par chimères
Par rythmes et par remous
Par avenir et par souvenirs
Nous creusons nos sillages
Nous brassons nos destins
Tandis qu'à la dérobée
Le
Temps
Nous entraîne
Vers les rivages de l'éveil
Ou l'océan d'oubli
Ce temps
Tisserand d'un rébus
Sans fil et sans trame
Dont nous ignorons
Le dessein et l'issue".
Bonnes lectures !