Sauriez-vous me donner l'origine du mot chèvre comme appareil de levage ?
Question d'origine :
Bonjour à l'équipe du Savoir.
Sauriez-vous me donner l'origine de la chèvre de fontaine?
La colonne à goulot alimentant le bassin et ouvent surmontée d'une statue
Merci d'avance et mes cordilaes salutations.
Philippe
Réponse du Guichet

En construction, la chèvre est un appareil de levage qui existe depuis l'antiquité. Selon les auteurices Pierre Avenas et Henriette Walter, c'est un petit engin de levage solidement posé sur trois ou quatre montants, comme une vraie chèvre solidement campée sur ses quatre pattes. Cette comparaison est une catachrèse.
Bonjour,
Suivant vos précisions indiquées par mail à notre demande, vous recherchez l'etymologie du mot chèvre non pas comme caprin mais comme appareil de levage.
En effet, selon différentes sources ce terme est utilisé pour désigner la machine qui se compose de pièces simples et facilement démontables : des pieds (hanches), une poulie, une corde et son système d’enroulement (treuil), Source : Chèvre (outil), Wikipédia.
D'après Chèvre, grue, derrick, … : petite histoire des engins de levage, Edgar Pierre BURKHART – Hélène HORSIN MOLINARO – Xavier JOURDAIN, 27/04/2020, publié sur le portail nationale de ressources éDUSCOL Sciences et Techniques Industrielles,
[...] la chèvre est une structure simple et démontable composée de pieds (également appelé hanches), d’une poulie, d’une corde et d’un treuil manuel permettant l’enroulement de la corde. La corde devant soulever la charge passe dans la poulie accrochée en haut du système, et s’enroule ensuite sur le tambour du treuil manœuvré par leviers afin de limiter les efforts. L’enroulement peut également se faire par l’intermédiaire d’une moufle ou d’un palan, qui permet de réduire l’effort à fournir pour soulever la charge (figure 3b). Un cliquet anti-retour permet d’éviter que la charge n’inverse le sens de rotation du treuil.
On distingue différentes variantes issues de cette technologie, citons la chèvre tripode (ou à trois pieds) composée de deux longues hanches se rejoignant au sommet à un troisième pied (figure 3a), la chèvre à haubans composée de deux longues hanches et de haubans placés en arrière de la charge (figure 3b), la chèvre verticale composée d’une poutre verticale posée sur un coussinet et maintenue par des haubans, et au sommet d’une poutre horizontale supportant la poulie, ce système permet de faire pivoter la charge.
La page Les engins de levage au Moyen Âge : Des moyens humains et mécaniques pour hisser les matériaux sur le site de la BNF en décrit deux ainsi :
- La chèvre à trois pieds (appelé aussi cabre) : elle constituée de deux longues poutres dressées en oblique et fixées entre elles à leur sommet, soutenues par une troisième pièce de bois, dénommée "pied".
- La chèvre à haubans : le système comprend deux "hanches" reliées à leur sommet et tendues par des haubans (câbles tendus de part et d’autre) afin d’empêcher l’ensemble de s’effondrer. Lorsqu’elles sont disposées dans les parties hautes de la construction, les deux pièces de bois peuvent être reliées entre elles par des barres horizontales en bois, les étrésillons, qui consolident l’assemblage. Car la chèvre doit alors être disposée en position légèrement inclinée pour éviter le frottement des cordes de traction contre les murs de la construction.
et précise que :
Facile à construire, aisément démontable, la chèvre est utilisée sur les chantiers peu imposants et particulièrement lors du montage des premiers niveaux de la construction.
Les systèmes les plus perfectionnés de chèvre peuvent soulever des charges de 800 kg quand elles sont manœuvrées par quatre hommes.
Le n°69 des Cahiers de Sciences et vie, Sciences et techniques des bâtisseurs de cathédrales, 2002, distingue également trois types de chèvres :
- Chèvre à manivelle : connue depuis l'antiquité, la chèvre est "loutil de tous les chantiers". Certaines étaient actionnées par une double manivelle.
- A cabestan : Ce système qui enroule les cordages autour d'un axe vertical, était aussi utilisé pour soulever les charges.
- A roue : Un troisième type de chèvre, celle à roue d'écureuil, se transformera en grue, caractérisée par une flèche horizontale.
L'article indique aussi que nombre de noms d'animaux ont été donnés à des outils humains :
Avec des écureuils, des louves, des grues ou des chèvres, on se croirait au zoo... Mais sur les chantiers médiévaux, ces bêtes-là n'étaient pas des animaux. Elles désignaient plutôt différentes espèces d'outils destinés aux opérations de levage des matériaux.
Ce qui n'a pas échappé à Pierre Avenas et Henriette Walter qui ont écrit Des noms d'animaux dans le vocabulaire des métiers... et d'un nouveau type de « dictionnaire » Éla. Études de linguistique appliquée, (2013), 171(3), 287-296, publié sur Cairn. À partir de quelques exemples de noms d’animaux dans le vocabulaire des métiers, les auteurs montrent tout l’intérêt de présenter l’histoire et l’étymologie des mots dans un cadre multilingue et multiculturel.
3. MOUTONS ET CHÈVRES DANS LES MÉTIERS DE LA CONSTRUCTION
3. 1. De la chèvre au chevron
Dans ces métiers, un mouton (en français) est un engin massif, à effet vertical, qui sert à tasser le sol ou les pavés, ou encore à enfoncer des pieux.Dans quelques autres langues, cet engin vertical est comparé à un bélier (anglais ram, allemand Ramme).
Le mouton et le bélier sont entourés d’autres mammifères domestiques. Ainsi la chèvre est également mise à contribution, en français comme dans la plupart des langues romanes : une chèvre, dans les métiers du bâtiment, est un petit engin de levage solidement posé sur trois ou quatre montants, comme une vraie chèvre solidement campée sur ses quatre pattes. Au risque d’être incongru sur le plan zoologique, on peut dire que cette chèvre est une petite grue.
Et de la chèvre, on passe au chevron, qui est une poutre oblique, supportant en général la couverture d’une toiture. C’est encore à Vitruve 5 que l’on doit la métaphore comparant les assemblages de chevrons à des pattes de chèvre ou de chevreuil, puisqu’il désigne dans son traité d’architecture le chevron par le latin capreolus « jeune chevreuil », lui-même dérivé de caprea « chèvre sauvage ». Le nom chevron en français dérive de ce nom latin capreolus « jeune chevreuil, chevron » par le bas-latin *caprione.
3. 2. Des métaphores hiérarchisées
Ce nom chevron, quand il désigne une poutre de charpente, résulte donc d’une métaphore, que l’on peut qualifier « du premier ordre », comparant en définitive cette poutre à une patte de chèvre. Mais ce même nom chevron prend ensuite plusieurs sens métaphoriques6, que l’on peut qualifier « du deuxième ordre », et qui s’inspirent de la forme d’un ensemble de deux poutres accolées en V.
– En héraldique, le chevron dessine un V renversé au centre du blason.
– Le chevron est aussi un motif décoratif en V, par exemple sur un tissu à chevrons.
– Dans un uniforme, le chevron est un galon en V sur l’épaule d’un militaire dont le grade augmente avec le nombre de ses galons.En français toujours, de chevron « galon sur l’épaule » dérive l’adjectif chevronné, qui qualifie la solide expérience des anciens, recherchée a priori dans tous les métiers. On utilise ici une métaphore « du troisième ordre », car un professionnel chevronné n’a en général pas à l’épaule de chevrons, qui eux-mêmes ne font que ressembler à un assemblage de chevrons de charpente, qui eux-mêmes ne font que rappeler des pattes de chèvre ou de chevreuil…
On voit donc une large utilisation en français de cette métaphore du chevron, qui est moins présente dans les autres langues, et qui en est parfois même complètement absente. Ainsi, pour désigner les quatre « chevrons » français (la poutre, la figure héraldique, le galon et le motif décoratif) on trouvera en allemand quatre mots différents (Dachsparren, Sparren, Winkel, Fischgrätenmuster), dont aucun n’a de rapport avec une chèvre.
Dans la plupart des langues romanes cependant, le nom de la chèvre est sous-jacent dans celui du chevron (la poutre) : en espagnol cabrio, en portugais caibro, en catalan cabiró… et dans celui du chevron (la figure héraldique) : espagnol cabrio, ou cheurón (emprunté au français), portugais chaveirão, catalan xebró. Mais la métaphore ne se prolonge pas dans les autres significations, et l’on constate que l’italien y fait peu appel : on perçoit le nom de la chèvre (capra) seulement dans capriata, un terme de charpente qui ne désigne pas exactement un chevron (puntone), mais un triangle de poutres comportant deux chevrons (appelé une ferme en français spécialisé). En anglais, on observe une situation particulière : le chevron (la poutre) se dit rafter, mais pour les trois « chevrons » métaphoriques (la figure héraldique, le galon et le motif décoratif), la langue anglaise emploie chevron, directement emprunté au français7 . Ainsi l’anglais adopte la métaphore « du deuxième ordre », mais pas celle du premier, ni d’ailleurs celle du troisième, car l’adjectif chevronné en anglais se traduira, selon le contexte, par practised, seasoned, experienced, veteran…
3. 3. Le chevron et le marketing
En anglais toujours, grâce à l’héraldique, le nom chevron a connu un destin exceptionnel : c’est devenu en 1984 le nom de l’un des plus grands groupes pétroliers américains, le groupe Chevron, dont le logo représente un chevron héraldique, bien visible sur les stations d’essence aux États-Unis. Voilà un choix qui relève d’un métier caractéristique des temps modernes, le marketing. André Citroën, un précurseur et grand adepte du marketing, avait déjà eu l’idée dans les années 1920 de faire du double chevron l’emblème de sa société. Ce dessin lui rappelait celui des dents en V des engrenages, dits à chevrons, qui furent les premières fabrications dans son atelier, créé en 1902. La chèvre qui inspire les chevrons de Citroën fait toujours partie aujourd’hui des animaux qui sont fièrement arborés par les automobiles, comme le lion de Peugeot et le jaguar… de Jaguar, ou encore les chevaux de Ferrari et de la Ford Mustang…
[...]
8. UNE COURTE PARENTHÈSE STYLISTIQUE
Parler d’une grue, d’un mouton ou d’une chèvre pour désigner une machine, cela relève de la métaphore, mais au sens large. Plus précisément, la plupart des métaphores évoquées dans cet article sont des métonymies, en ce sens qu’il existe un lien logique entre le comparé et le comparant : par exemple, la « chèvre » en tant qu’engin de levage, est l’aboutissement d’une comparaison avec les pattes de la vraie chèvre. Pour être encore plus précis, rappelons qu’une comparaison assimilée dans la langue n’est plus ni une métaphore, ni une métonymie au sens strict. C’est devenu, en termes de stylistique, une catachrèse (du grec katakhrêsis « usage », étymologiquement « abus d’usage »). Cela signifie que, dire qu’une chèvre est un petit engin de levage, c’est au sens propre un abus de langage (et même une absurdité), mais comme l’usage a entériné cette comparaison, ce n’est plus un abus de langage, mais une catachrèse. Pour résumer en termes savants l’impression que donnent les multiples exemples présentés dans cet article, il semble bien que la langue française soit particulièrement riche en catachrèses d’inspiration animale !
5. Vitruve, De l’architecture, Livre X, édition bilingue, Paris, Les Belles Lettres, 2003, chapitre 14, § 2 et chapitre 15, § 1, p. 46.
6. Henriette Walter, Pierre Avenas, L’Étonnante histoire des noms des mammifères. De la musaraigne étrusque à la baleine bleue, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 219.
Bonne journée
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