D'où vient le dicton "on ne peut pas plaire à tout le monde" ?
Question d'origine :
D'où vient l'expression 'On ne peut pas plaire à tout le monde'? Que signifie vraiment cette expression? Cette expression est-elle vraiment vraie?
Réponse du Guichet

Cette expression proverbiale, qui signifie que l’assentiment unanime est difficile à obtenir, puiserait sa source dans la mythologie grecque ou encore dans une fable allégorique de Jean de La Fontaine.
Le concept d'assentiment est pensé par le stoïcisme, pour qui la possibilité de l'esprit humain d'adhérer ou non aux propositions d'autrui est le siège de la liberté humaine. Le proverbe pose aussi la grande question de la diversité humaine, que l'art et la littérature en particulier nous permettent d'appréhender.
On ne peut pas plaire à tout le monde et d'ailleurs le faudrait-il ? A l'heure de la tyrannie des like et de la recherche constante de validation, ne faut-il pas apprendre à avoir des opinions à soi et à ne pas s'effacer pour plaire ?
Bonjour,
Vous souhaitez connaître l'origine, la signification et la véracité de l'expression "On ne peut pas plaire à tout le monde" qui apparaît également souvent sous la forme "on ne saurait plaire à tout le monde".
Cette expression proverbiale, qui signifie que l’assentiment unanime est difficile à obtenir, exprime comme le font les dictons, une vérité d’expérience, un conseil de sagesse pratique et populaire qui n’est pas attribué à un auteur donné (contrairement à la citation ou l’apophtegme). Les proverbes sont en effet souvent très anciens, d'origine populaire et par conséquent de transmission orale.
Le site www.expressions-francaises.fr cite la mythologie grecque et les fables de Jean de La Fontaine 1621-1691 (consultables en ligne sur Numelyo) comme sources hypothétiques de cette expression qui a pour synonyme les proverbes "On n'est pas louis d'or" et "On ne peut contenter tout le monde et son père" :
Signification :
On ne peut faire plaisir à tout le monde à la fois
Origine de l’expression « On ne saurait plaire à tout le monde » :Proverbe devenu expression française qui puiserait selon certains interprètes de la mythologie grecque. Un des sept sages de la Grèce aurait annoncé qu’il est impossible pour une seule personne de plaire à tout le monde à moins d’être un Louis d’or. Pour d’autres, on ne peut plaire à tout le monde viendrait plutôt d’une des fables de la Fontaine, à savoir le meunier, son fils et l’âne qui explique comment le meunier en question en voulant contenter tout le monde faillit devenir fou.
Expressions françaises synonymes :On ne peut contenter tout le monde et son père ;
On n’est pas louis d’or
Source : On ne saurait plaire à tout le monde (www.expressions-francaises.fr)
L'expression synonyme "On ne peut contenter tout le monde et son père" est décrite ainsi :
Expression française qui signifie qu’on ne peut faire plaisir à tout le monde à la fois.
La notoriété de cette expression française remonte à Jean de la Fontaine dans sa fable « le meunier, son fils et l’âne » mais sa formulation est bien antérieure.
A l’époque contemporaine, cette expression française est prise dans le sens où l’abondance des conseillers ou solliciteurs invite à n’en écouter aucun et faire à sa guise. Celui qui agit ou décide est obligé de faire des mécontents car chaque donneur d’avis veut imposer son point de vue. Cette expression française veut prouver que l’assentiment unanime est difficile à obtenir et rejoint une autre expression française non moins usitée "autant de têtes autant d’avis"
Source : On ne peut contenter tout le monde et son père (www.expressions-francaises.fr)
Le site La France pittoresque (dont la ligne éditoriale est à mi-chemin entre le magazine de vulgarisation scientifique et le loisir) souligne également la portée philosophique générale de ce proverbe remontant à la sagesse grecque et à la fable allégorique de La Fontaine "Le Meunier, son fils et l’âne" :
Cette vérité n’a pas besoin d’être démontrée, elle ressort de la variété des opinions et des humeurs. Bias, un des sept sages de la Grèce, disait qu’il est impossible à un individu de plaire à tout le monde, à moins d’avoir la propriété d’un gâteau que chacun peut et désire manger. Nos aïeux disaient : On ne saurait plaire à tout le monde, à moins d’être un louis d’or, pièce de monnaie qu’en tout temps et en tous lieux chacun s’empresse d’accepter.
Qui ne connaît la fable de La Fontaine (Livre III, fable Ire) intitulée : Le Meunier, son fils et l’âne. En voici le résumé : Un meunier, accompagné de son fils, allait vendre son âne à la foire. Afin qu’il fût plus frais, on lui lia les pieds, et on le suspendit comme un lustre. Un passant, en voyant cela, traita ceux-ci d’idiots. Le meunier croit bien faire de détacher sa bête et de la laisser aller à sa guise. Puis, il y fait monter son fils et suit à pied.
Passent trois marchands qui critiquent cette façon d’agir et qui disent au vieux meunier que ce devrait être à lui de monter sur l’âne et à son fils de le suivre. Pour les contenter, le père fait descendre son fils et monte sur l’animal ; mais autre incident. Trois jeunes filles viennent à passer et critiquent cette façon de voyager. Le meunier, pour les satisfaire, met son fils en croupe ; mais, il n’a pas plutôt changé ses dispositions qu’une troisième troupe trouve encore à gloser :
"Parbleu ! dit le meunier, est bien fou du cerveau,
Qui prétend contenter tout le monde et son père."
Source : On ne saurait plaire à tout le monde (mis à jour le vendredi 16 décembre 2011, sur le site France pittoresque)
Pour la petite histoire, "On ne peut pas plaire à tout le monde", également connue son l'acronyme ONPP, a été le titre d'une émission de télévision française diffusée en direct sur France 3 de 2000 à 2006, sous forme de talk-show au ton polémique !
Que nous apprend ce proverbe ancien ?
Ce proverbe, devenu lieu commun, sous-entend que nous ne pouvons pas obtenir l'assentiment ou l'adhésion de tous. C'est Zenon de Citium, fondateur du stoïcisme, qui a donné un emploi philosophique au terme "assentiment", désignant à l'origine l'accord avec quelqu'un, notamment dans un vote. L'assentiment est pour les stoïciens le siège de la liberté humaine : il peut être donné si la proposition apparaît fiable et vraie, refusé si elle apparaît fausse, ou suspendu en cas de doute. L'Encyclopédie Larousse définit l'assentiment ainsi :
Adhésion ou approbation que l'âme donne à une représentation ou à une proposition, en acceptant l'idée que celle-ci est conforme à ce qu'elle représente ; c'est l'une des quatre facultés de l'âme distinguées par les stoïciens, avec la « représentation » (phantasia), l'impetus et le logos.
C'est Zenon de Citium(1) qui a donné un emploi philosophique à ce terme, désignant à l'origine l'accord avec quelqu'un, notamment dans un vote.
L'assentiment diffère de la représentation que je puis me faire de quelque chose comme de la proposition correspondante. Ce n'est pas la même chose de se représenter ou de dire : « ceci est un homme », et de reconnaître qu'il en est ainsi.
Les stoïciens distinguent diverses formes d'assentiment : l'« opinion » (doxa), ou assentiment faible à une représentation fausse ou imprécise ; la katalêpsis, ou « assentiment à une représentation exacte » ; la science, ou ensemble de katalêpseis irrévocables. La « suspension de l'assentiment » est l'epokhê.
Jean-Baptiste Gourinat
Notes bibliographiques1 ↑ Cicéron, Académiques, II, 145.
Source : Encyclopédie Larousse
Cette disposition humaine à ne pas s'accorder sur les mêmes choses rejoint la grande question philosophique de la différence des êtres, abordée dans le podcast France culture « De la différence à l'indifférence ». La différence comme individualisation profonde est abordée ainsi :
C'est la grande thèse de Leibniz au tournant du 17e et du 18e siècles. Leibniz qui disait qu'il n'y a pas deux choses semblables, un principe de différence, deux feuilles d'arbres qui se ressemblent et deux êtres humains a fortiori qui soient exactement les mêmes, mais d'abord parce que ce sont des individus, non pas un chaos de pure différence, mais des totalités individuelles.
Jules César, par exemple, qui contient en lui la totalité de son histoire, qu'aucun être humain ne peut déplier, mais que Dieu connaît parfaitement. La singularité comme raison de la différence, l'individuation.
Alors peut-être aujourd'hui pouvons-nous la penser autrement que Leibniz, non pas comme un absolu que seul Dieu peut connaître, auquel seul l'entendement divin peut accéder, mais comme notre réalité, l'individualisation d'ailleurs réciproque, le principe d'une différenciation mutuelle sur le fond d'une appartenance commune, mais aussi d'une singularité commune où le temps joue un rôle, où la durée nous crée aussi comme personnes, comme personnes singulières par nos actes, où nous pouvons nous différencier seulement en nous reliant aussi les uns aux autres ou les unes aux uns.
Épisode 1/5 : Pourquoi tout est-il différent ? (Lundi 8 avril 2024)
Le podcast France culture La diversité : un problème philosophique ? questionne aussi la différence :
Dans la vie ordinaire, nous sommes toujours sidérés par la diversité humaine, par la différence entre les êtres humains. Par exemple, vous êtes dans un wagon de métro ou de train et il se produit une panne, vous allez probablement être sidéré par la diversité des réactions. Entre celui qui va porter assistance à la personne fragile, celui au contraire qui cherchera à se protéger lui-même, celui qui va devenir un héros, celui qui va devenir un "salaud", celui avec qui vous allez être ami, celui qui va devenir votre ennemi et vous-même, votre propre diversité humaine, tout ce qui va vous traverser et vous animer. Oui, les humains sont d'une diversité potentiellement infinie et se repérer dans la diversité humaine est un des grands problèmes de l'humanité que peut-être seuls l'art, la littérature, le cinéma, le drame nous apprennent à traverser, à maîtriser. De tout temps, les grandes œuvres littéraires, les grands récits culturels, les grands récits religieux de l'humanité sont des encyclopédies de la diversité humaine. Ouvrez La Divine Comédie de Dante Alighieri, La Comédie humaine d'Honoré de Balzac, À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Ce sont des bestiaires de l'humanité. Mais s'ordonner dans la diversité des humains et y trouver des catégories justes et ne pas bloquer cette diversité par des préjugés ou par de la violence, mais s'y repérer avec des limites réelles et avec une ouverture profonde, telle est la tâche des humains entre eux.
Source : Épisode 4/5 : Pourquoi les humains sont-ils si différents ? (Jeudi 14 septembre 2023)
À l'époque des réseaux sociaux, l'approbation qui se matérialise sous la forme du "like" devient un enjeu existentiel de l'égo, où le nombre de "like" devient plus important que l'intérêt intrinsèque des contenus. C'est ce que montrent ces deux articles :
Like. Va-comme-j’te-pouce (Philosophie magazine, publié le 02 juillet 2015)
Sur le plus populaire des réseaux sociaux, c’est ainsi (et d’un simple clic) que l’on marque son approbation, symbolisée par un pouce levé. Un geste qui ne nous engage vraiment à rien?
Accro aux « like » ? Pourquoi Facebook envisage de vous sevrer (L'Obs, mardi 24 septembre 2019, à lire en intégralité sur Europresse, avec un abonnement BmL)
En vérité, ni Facebook ni Instagram ni les autres réseaux sociaux ne contrôlent plus le processus. La créature a échappé à ses créateurs. Les like altèrent les comportements des utilisateurs dans un sens qui, à la longue, risque de nuire aux intérêts des géants du numérique. [...]
Ainsi, le proverbe "on ne peut pas plaire à tout le monde" peut aussi être compris comme une invitation à cultiver "le plaisir d'être soi", titre éponyme du livre de Sophie Peters : Du plaisir d'être soi [Livre], 2015 :
Dans une société de plus en plus normée il devient difficile, voire impossible, d'être pleinement soi-même. Or, la clé du bonheur n'est-elle pas dans notre aptitude à être nous-mêmes et à pouvoir nous réinventer sans cesse ? A nous libérer des carcans du quotidien ? Sophie Peters, journaliste et animatrice de la Libre Antenne d'Europe 1, soutient cette hypothèse et analyse notre difficulté à être nous-mêmes. Ainsi à travers des situations concrètes de la vie quotidienne, l'auteur nous montre que le bonheur est à portée de main si l'on accepte enfin d'être soi ! source éditeur.
Pour approfondir la résonnance psychologique de ce proverbe, vous retrouverez sur Cafeyn et Europresse (bases de presse consultables avec un abonnement BmL) des articles questionnant le besoin impérieux de plaire à tout le monde et donnant des conseils pour accepter d'avoir des opinions à soi et de ne pas s'effacer pour plaire :
> "Conseil psycho du 12 mars : Ton temps est limité. Pourquoi continues-tu à le gaspiller pour plaire à tout le monde ?" (Masculin, mercredi 12 mars 2025)
L'un des plus grands paradoxes de notre époque est que, bien que nous soyons conscients que notre temps est limité, beaucoup d'entre nous passent encore trop de moments précieux à essayer de plaire à tout le monde. Cette course sans fin peut mener à l'épuisement émotionnel et au sentiment que l'on vit la vie de quelqu'un d'autre. Alors, pourquoi gaspillions-nous délibérément notre temps pour satisfaire les attentes des autres ? Comment sortir de ce cercle vicieux ?
> "On ne peut pas plaire à tout le monde" (Maxi, lundi 5 mai 2025)
Cette recherche constante de validation nous pousse à nier nos désirs [...]
Les deux livres suivants issus des collections de la BmL vous permettront également de méditer sur les enjeux que pose ce proverbe :
Essais sur la nécessité et sur les moyens de plaire [Livre] / François-Augustin Paradis de Moncrif ; préf. Emmanuel Godo, 2002
Ces essais proposent un double contrat : nécessité de plaire et moyens de plaire. Mais la seconde clause qui décrit la manière est gigogne, car selon Moncrif le principal moyen de plaire est d'en avoir le désir. En fait, Moncrif ne propose qu'une ascèse déguisée : l'homme sociable se meut dans un monde où la politesse est le dernier ciment. Texte de la première édition de 1738.
Les nouveaux moutons de Panurge [Livre] / Myriam Ackermann-Sommer
S'inspirant de la sagesse talmudique, l'auteure, rabbin orthodoxe, cherche à redonner du sens à la modernité afin de se libérer des réseaux sociaux. A partir de son expérience personnelle, elle replace des valeurs universelles au coeur des préoccupations contemporaines : vivre pleinement sa journée, assumer sa singularité, apprendre à rencontrer l'autre dans le débat d'idées, entre autres. (c)Electre
Bien à vous