Les personnes timides ont-elles moins de chance de réussir leur vie que les extraverties ?
Question d'origine :
Est-ce que les gens timides, mal dans leur peau, pas très sûr d'eux, peureux et maladroits dans les situations sociales ont moins de chance de réussir leur vie que les personnes plus extraverties?
Réponse du Guichet

Si la timidité, dans sa forme extrême que revêt la phobie sociale peut être une réelle souffrance et nécessite d'être accompagnée, elle n'en constitue pas moins une preuve de notre humanité et une manière de trouver en soi des forces insoupçonnées. En témoignent notamment Jean-Paul Sartre ou Philippe Vilain. La timidité peut ainsi devenir un signe de délicatesse, une capacité d'écoute, un sens particulier du détail et de la nuance.
Si les extravertis ont longtemps été considérés comme les leaders idéaux dans le monde du travail, des recherches récentes montrent que d’autres types de personnalité apportent leur lot d’atouts uniques. La réussite dans la vie semble moins à voir avec l’extraversion qu'avec d’autres traits adaptatifs comme la conscience professionnelle.
Ce qui caractérise, entre autres, les introvertis, c’est qu’ils sont des hypersensibles, sachant faire preuve d’empathie, des qualités faisant partie des compétences du XXIe siècle.
Bonjour,
Vous vous demandez si les gens timides ont moins de chance de réussir leur vie que les gens extravertis.
Le médecin psychiatre Antoine Pelissolo livre une définition au sens psychologique de la timidité, vue comme un continuum qui va du normal au pathologique avec le trouble d'anxiété sociale, qui peut empêcher d'agir et perturber la relation aux autres. La timidité est par ailleurs à ses yeux plutôt bénéfique pour le groupe, où faire attention à l'image de soi est une sorte de garde-fou.
"l'appréhension du regard de l'autre dans les situations sociales, les situations relationnelles", à partir de là peuvent en découler plusieurs degrés, de la timidité réelle et acceptable par la personne, non pathologique, à celle qui empêche d'agir et perturber la relation aux autres. Il poursuit : "on parle d'un axe de l'anxiété sociale qui va du normal au pathologique avec tous les degrés entre les deux", un continuum qui peut ainsi concerne tout un chacun, avec des variantes. Ainsi dix à quinze pour cent des personnes déclarent de ne pas être timides, il y a ensuite le cas le plus commun de personnes qui déclarent l'être de temps à autre, avec le degré de la timidité du jeune âge qui se détache avec le temps, et ensuite la timidité intense, plus grave, et qui peut être gênante dans l'établissement des relations sociales".
Source : La timidité, trait de caractère ou handicap (France Inter, 18 août 2025)
Clara Degiovanni, journaliste à Philosophie magazine, distingue la timidité de l'introversion, qui peut être pour elle une manière joyeuse et consentie d'être tourné vers son propre monde intérieur.
"La timidité peut être un caractère ou un état qui fonctionne par pic, par crise, ça peut aussi être un stigmate qu'on nous colle sur le dos sans qu'on soit tout à fait d'accord avec cette définition nous-même, tandis que l'introversion a quelque chose pour moi de plus consenti, de beaucoup plus joyeux, d'être tourné vers soi-même, vers son propre monde intérieur. On peut vivre l'introversion parfois comme un aménagement de sa timidité. Ce sont des gens qui vivent très bien leur timidité, qui sont tournés vers eux-mêmes. Je dirais que la grande différence, c'est la question de la souffrance, on peut souffrir de sa timidité, de ses épisodes les plus marquants alors qu'on peut être tout à fait à l'aise avec son caractère introverti."
Source : Ibid.
Dans son article Timidité : pourquoi s’en cacher ?, Clara Degiovanni tente aussi de nous éclairer sur la signification profonde de la timidité, à travers les philosophes Alain et Sartre, ainsi que l'écrivain Philippe Vilain. Tous trois ont en commun de considérer la timidité comme un véritable objet philosophique qui témoigne de notre humanité.
Pour le philosophe Alain, la timidité, phénomène corporel, ne provoque pas l'échec en lui-même, mais la peur de l'échec. Il s'agit donc de ne pas donner aux symptômes corporels la force d’un signal d’alerte. Pour Sartre, le timide n’est pas un maladroit, mais au contraire quelqu’un qui a une conscience aiguë de la condition humaine, profondément incertaine et non maîtrisable, de notre rapport au monde. Au lieu de se battre contre sa timidité, on peut donc choisir de l’accepter comme la preuve de son humanité. Enfin, pour Philippe Vilain, la meilleure manière de bien vivre sa timidité est de cesser de la voir comme un fardeau. La timidité peut être une manière de trouver en soi des forces insoupçonnées car elle nous oblige à faire face à nos craintes les plus intimes. "Il est probable que la timidité, en confrontant aux obstacles, en affûtant sans cesse la volonté, rende audacieux, défiant et ambitieux", estime Philippe Vilain.
« La timidité est une étrange maladie », estime le philosophe Alain (de son vrai nom Émile-Auguste Chartier) dans ses Esquisses de l’homme (1927). Si le terme de « maladie » peut paraître excessif, il permet de qualifier la dimension profondément organique d’un phénomène qui se présente selon l’auteur comme « une révolte que l’on sent courir dans les frontières du corps ». [...] Elle ne provoque pas l’échec en lui-même, mais la peur de cet échec, dont chaque tremblement semble être le signe imminent. Dès lors, il ne s’agit pas d’ignorer « l’émeute » ni de tenter de la (faire) taire à tout prix, mais de ne pas donner à ces symptômes la force d’un signal d’alerte. Ce n’est pas parce que la voix bégaie ou que l’on s’est pris les pieds dans le tapis que tout est fichu…
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Jean-Paul Sartre considère que cette angoisse est une véritable « psychose ». Pourtant, selon le philosophe, ce qui fait peur au timide n’est pas d’être écarlate, mais d’être perçu comme tel par un auditoire. « Le timide a une conscience vive et constante de son corps tel qu’il est, non pour lui, mais pour l’autre », explique-t-il dans L’Être et le Néant (1943). Ce qui le plonge dans un abîme d’angoisse, c’est donc la perception que les autres se font de ce corps rougissant : ce que Sartre appelle « le corps pour autrui ». Or, personne ne peut jamais contrôler, à l’avance, la manière dont il sera perçu par les autres. La timidité révèle donc une condition fondamentale de notre manière d’être au monde : nous agissons « à l’aveuglette », nous dit Sartre. Nous n’avons aucune idée de la manière dont nos actes vont être perçus et interprétés. C’est ce risque que l’on prend lorsqu’on se confronte à autrui, que ressent le timide avec particulièrement d’intensité. Le timide n’est pas un maladroit, mais au contraire quelqu’un qui a une conscience aiguë de la dimension incertaine et non maîtrisable de chaque interaction. Au lieu de se battre contre sa timidité, il peut donc choisir de l’accepter comme la preuve de son humanité.
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Drôle d’idée que de vouloir guérir de sa timidité ! », s’exclame l’écrivain Philippe Vilain, dans sa Confession d’un timide (Grasset, 2010). D’abord, parce que c’est impossible. Selon lui, « la meilleure volonté ne peut rien contre nos émotions, sinon nous apprendre à les apaiser ». Le colérique ou le jaloux apprennent à maîtriser leurs émotions sans pouvoir les éradiquer ; il en est de même pour le timide, qui conserve ce trait de tempérament à vie, mais peut néanmoins apprendre à vivre avec sans en souffrir. La meilleure manière de bien vivre sa timidité est de cesser de la voir comme un fardeau : « Nulle émotion plus naturelle, plus humaine, en réalité », considère l’auteur. Si la timidité humanise, c’est parce qu’elle nous oblige à faire face à nos craintes les plus intimes. Là où le « non-timide », toujours à l’aise, semble constamment se mouvoir en territoire conquis, le timide apprend très tôt à affronter à ses peurs. « Il est probable que la timidité, en confrontant aux obstacles, en affûtant sans cesse la volonté, rende audacieux, défiant et ambitieux », estime Philippe Vilain. À tous les timides qui passent le grand oral : nul besoin « d’affronter » ou « d’éradiquer » votre timidité. Loin d’être un vilain défaut, elle peut être une manière de trouver en soi des forces insoupçonnées.
Source : Timidité : pourquoi s’en cacher ? (publié le 20 juin 2022 dans Philosophie Magazine)
Philippe Vilain a lui-même écrit sur sa propre timidité dans Confession d'un timide en 2010.
Je ne serais jamais devenu écrivain et je n'aurais jamais connu autant de belles choses avec mes livres si je n'avais pas été timide. Elle m'a constitué négativement au début, puis cela s'est amélioré. Je définis ma timidité comme mon doux malheur.
Donc, à la question les timides/introvertis réussissent-ils moins bien que les extravertis, nous serions tentés de répondre que si la timidité dans sa forme extrême peut être une réelle souffrance et nécessite d'être accompagnée (Comment surmonter son anxiété sociale ?), elle n'en constitue pas moins une preuve de notre humanité et une manière de trouver en soi des forces insoupçonnées pour sa vie en général et le monde du travail en particulier.
D'ailleurs, un article de National Geographic Ni extraverti ni introverti : et si vous étiez ambiverti ? (20 avril 2025) révèle que si les extravertis ont longtemps été considérés comme les leaders idéaux dans le monde du travail, des recherches récentes montrent que d’autres types de personnalité apportent leur lot d’atouts uniques. La réussite dans la vie semble moins à voir avec l’extraversion qu'avec d’autres traits adaptatifs comme la conscience professionnelle.
Une étude publiée dans un numéro de 2023 de la revue Frontiers in Psychology a révélé que l’extraversion et ses qualités associées (comme l’affirmation de soi et une certaine sociabilité) n’avaient pas de lien direct avec l’efficacité de nos supérieurs à réagir à divers défis. Ce qui faisait la différence, aux yeux des employés, c’est la capacité des dirigeants à susciter la stimulation intellectuelle et la proactivité de leurs collègues, des qualités qui peuvent être associées à des personnalités plus introverties, comme le notent les chercheurs.
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« Les gens partent du principe que les personnes en position de pouvoir sont nécessairement extraverties », déclare Robins. Or ce n’est pas toujours le cas. En réalité, ajoute-t-il, « la réussite dans la vie a moins à voir avec l’extraversion qu'avec d’autres traits adaptatifs comme la conscience professionnelle ».[...]
Quelles que soient les tendances naturelles de votre personnalité, cultiver un sens de la flexibilité et de l’adaptabilité (et donc être capable d’invoquer ou de taire certaines qualités pour répondre aux exigences de différentes situations, explique Smillie) peut être la meilleure façon de naviguer dans la vie.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
Source : Ni extraverti ni introverti : et si vous étiez ambiverti ? (National Geographic, 20 avril 2025)
Le journal The Conversation pose la question Extravertis, introvertis... Qui sont (vraiment) les plus créatifs ? et montre que tant les introvertis que les extravertis ont leur place lorsqu’il s’agit de faire preuve de créativité. Ce qui caractérise, entre autres, les introvertis, c’est qu’ils sont des hypersensibles, sachant faire preuve d’empathie, des qualités faisant partie des compétences du XXIe siècle.
Créer, selon Dannar, se fait autant en adaptant qu’en innovant.
Ceux qui déploient leur créativité en tentant de régler un problème à partir de structures existantes préféreront un contact sensoriel direct, ils se fieront à leurs émotions et auront recours à un mode de création adaptatif. Ce sera le champ de prédilection des extravertis qui ont besoin d’être en contact direct avec leur environnement.
Alors que les innovateurs préfèrent définir de nouveaux cadres de référence. Les innovateurs sont souvent des introvertis dotés d’une personnalité originale, individualiste, perspicace. Ils préfèrent les idées aux sensations.
Les potentiels créatifs des introvertis et des extravertis sont ainsi, en quelque sorte, sur un pied d’égalité, puisqu’il faut reconnaître l’importance équivalente de ceux qui innovent et de ceux qui améliorent pour mieux répondre aux besoins des personnes et du marché dans le monde d’aujourd’hui.
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Et ce n’est pas parce qu’on est introverti qu’on ne peut pas être un personnage public : Gandhi, Steve Jobs et Barack Obama en sont un bel exemple. Ce qui caractérise, entre autres, les introvertis, c’est qu’ils sont des hypersensibles, sachant faire preuve d’empathie, des qualités faisant partie des compétences du XXIe siècle.
"Leader et introverti(e) : c'est tout à fait possible !" est le titre d'un article de la revue Les Echos, dans lequel Michael Thompson, professeur de leadership à EAE Business School en Espagne et auteur du livre best-seller « Shy by Design » (Rowman & Littlefield), témoigne de son expérience.
Ayant moi-même surmonté ma timidité pour devenir plus confiant et me sentir à l'aise dans la prise de parole en public ainsi que dans le mentorat, je me consacre désormais à aider les autres - en particulier les introvertis - à s'épanouir dans le monde du travail. Il leur est ainsi possible d'accéder à des postes de direction en restant fidèles à leur véritable nature.
Fort de mon expérience et de celle des personnes que j'ai accompagnées, j'ai identifié cinq stratégies clés permettant aux leaders introvertis de naviguer avec succès dans le monde professionnel.
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Source : "Leader et introverti(e) : c'est tout à fait possible !" (Les Echos, samedi 11 janvier 2025) > à lire sur Europresse (avec un abonnement à la BmL)
Autres Ressources Web
Avons-nous raison d’avoir peur ? (Alexandre Lacroix, publié le 20 septembre 2012 dans Philosophie Magazine)
N’ayez pas peur ! (Cédric Enjalbert, publié le 24 mai 2024 dans Philosophie Magazine)
Vaincre sa timidité (France bleu. Par Annie Le Fléouter. Vendredi 28 février 2025)
Timidité : faut-il la soigner ou apprendre à vivre avec ? (France bleu. Publié le vendredi 28 mars 2025)
Quelques clés pour comprendre et surmonter sa timidité (France Inter. Publié le lundi 24 août 2020)
A lire sur Europresse
"Otroverti : ni introverti ni extraverti, le nouveau profil de personnalité identifié par un psychiatre américain" (Sciences et vie, 20 août 2025)
"Introvertis : comment vivre dans une société qui valorise l’extraversion ?" (La Vie, 17 juillet 2025)
"Vie de bureau : faites de la place aux introvertis !" (Les Echos Executives, 7 février 2020)
"19 choses que les introvertis aimeraient faire savoir à leur patron" (HuffPost, 2 février 2021)
Des livres issus de nos collections
La nouvelle peur des autres : trac, timidité et phobie sociale, 2023
La peur de l'autre [Livre] : surmonter l'anxiété sociale / Laurie Hawkes ; avec la collaboration d'Anaïs Petit, 2022
La force des introvertis [Livre] : de l'avantage d'être sage dans un monde survolté / Laurie Hawkes, 2022
Introverti(e)s mode d'emploi [Livre] : guide de survie à l'usage des discrets, des timides, des réservées, des rêveurs.. / Coline Pierré et Loïc Froissart (2021)
Le monde appartient aux introvertis [Livre] / Sylvia Loehken ; traduit de l'anglais par Louise Sasseville, 2017
Le pouvoir de la discrétion [Livre] : comment transformer la discrétion en atout / Jennifer B. Kahnweiler (2014)
Bien à vous