Existait il des panneaux "interdit aux indigènes" à l'époque de l'Algérie coloniale ?
Question d'origine :
Bonjour guichet de savoir :-)
dans la film "l'étranger" de François Ozon (sur la base du roman de Camus), il y a une scène ou Mersault amène son amie au cinéma et juste à côté de la caisse de ce cinéma il y a une pancarte "interdit aux indigènes" y avait-il ce type de panneau à l'époque de l'algérie coloniale ?
merci par avance !
Réponse du Guichet
Discriminations à l'époque coloniale en Algérie
Malgré nos recherches, nous n’avons trouvé aucune mention explicite de pancartes ou affiches ainsi formulées : « interdit aux indigènes ». Au regard des nombreuses discriminations vécues par les Algériens, cela ne signifie pas qu’elles n’aient pas pu exister…
Bonjour,
Durant l’époque coloniale, la France a gravé dans la loi la hiérarchisation des individus en fonction de leur origine, en votant en 1881 le code de l’Indigénat. « La loi du 28 juin 1881 instaure en Algérie un régime juridique d'exception pour les populations autochtones. Privant ces dernières de leurs droits individuels, le code de l'indigénat sera ensuite généralisé à toutes les colonies françaises. Ensemble de décrets plutôt que véritable « code », « l'indigénat » était une législation assujettissant les autochtones à une série de règles et de mesures répressives : travaux forcés, interdiction de circuler la nuit, obligation d'obéir aux ordres de transport et de réquisition d'animaux, interdiction de quitter sa commune sans permission et de tenir des propos offensants envers les autorités coloniales...Les indigènes, « sujets » français aux libertés limitées et soumis à un régime pénal discriminatoire, ont donc un statut distinct des colons, qui sont « citoyens » français : une infériorité juridique justifiée par la « mission civilisatrice » de la France dans les colonies. En Algérie, ce régime existait en réalité déjà depuis 1834 et faisait suite aux conquêtes de 1830. Mais c'est la loi de 1881 qui l'entérine, en donnant à l'administration française de vastes pouvoirs disciplinaires sur les populations indigènes. ». (La mise en place du "code de l'Indigénat dans les colonies)
Racisme et discriminations induits par la loi, et traduits dans les comportements quotidiens. L’article de l’historienne Sylvie Thénault (Tragédies algériennes, 1830-2022, l’Histoire collection n°95) est ainsi intitulé : Algérie coloniale, une société d’apartheid ? En voici un extrait : « Au travail, à l’assemblée, dans les quartiers, une véritable ségrégation traverse de part en part la société algérienne. Majorité numérique, « les musulmans » sont pourtant cantonnés dans une position subalterne. […] Utilisé officiellement pour éviter le terme « Algériens », qui aurait valu reconnaissance d’une nation en propre, « musulmans » n’a pas de définition précise et encore moins rationnelle. […] L’Algérie française repose sur une infériorisation des Algériens. Pour cette raison, elle évoque facilement une société d’apartheid et ce, bien qu’il n’y ait jamais eu de régime juridique cloisonnant les espaces ni interdisant les relations interpersonnelles entre « les musulmans » et les autres. » Sur la même page que cet article vous pouvez voir la photo de la devanture d’un café légendée ainsi : « La terrasse de la brasserie de l’Étoile à Mascara, remplie par les seuls colons européens, petits et grands. »
Ce magazine présente un peu plus loin des témoignages qui valident le peu de liens entre les différentes composantes de la société en Algérie : « tabou des mariages mixtes », « cours de récréation séparées », une discrimination dans les institutions comme la Poste… Sylvie Thénault précise que « Quand elle existe, en outre, la cohabitation ne génère pas qu’un « contact positif » […] Le cas de la Poste livre en effet un exemple significatif de la discrimination marquant les statuts et les carrières ».
Malgré nos recherches, nous n’avons trouvé aucune mention explicite de pancartes ou affiches ainsi formulées : « interdit aux indigènes ». Au regard des nombreuses discriminations vécues par les Algériens, cela ne signifie pas qu’elles n’aient pas pu exister… Bien sûr, des situations individuelles d’échanges entre communautés existaient en parallèle, et certaines voix s’élevaient pour dénoncer ce système juridique discriminant. Des voix d’intellectuels comme Alexis de Tocqueville, Ismaël Urbain, Louise Michel, Guy de Maupassant, Isabelle Eberhardt, et plus tard bien d’autres… Certaines voix même au sein de l’armée française. Vous trouverez l’article écrit par le Général Paul Tubert pour le journal Droit et liberté en février 1955 et intitulé : Halte au racisme en Afrique du Nord, la loi doit punir les discriminations et non les favoriser.
Quelques lectures sur ce sujet :
- De la «légalisation» de la violence en contexte colonial. Le régime de l'indigénat en question, Isabelle Merle, Politix, vol. 17, n°66, Deuxième trimestre 2004.
- Coloniser, exterminer : sur la guerre et l’État colonial, Olivier Le Cour Grandmaison, Paris, fayard, 2005
En partant de l'analyse de la conquête et de la colonisation de l'Algérie au XIXe siècle, permet de comprendre la nature des guerres qui se sont déroulées en Afrique du Nord et ailleurs, mais aussi de saisir la nature et le fonctionnement des institutions racistes et discriminatoires établies par la IIIe République, notamment pour étendre et défendre l'empire colonial français.
- Culture coloniale 1871-1931, la France conquise par son empire, sous la direction de Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire ; cet ouvrage a été réalisé en collaboration avec le groupe de recherche Achac : Paris, Autrement, 2011
Premier volet d'une étude sur l'histoire de la culture coloniale française depuis 1871. De 1871 à 1931, la France a connu une période de constitution de cette culture basée sur la glorification de l'empire colonial, la mobilisation des populations colonisées pour combattre lors de la Première Guerre mondiale et l'émergence des croyances dans les vertus civilisatrices de la colonisation.
- Les ratonnades d’Alger, 1955, une histoire de racisme colonial, Sylvie Thénault, Seuil, 2022
Le récit d'une journée de répression raciste exercée par les Français en Algérie pendant la colonisation. A travers ces événements, l'auteure met au jour la violence systémique du régime colonial structuré par la ségrégation.
- Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale : camps, internements, assignations à résidence, Sylvie Thénault, Paris, Odile Jacob, 2012
Cet ouvrage ne se borne pas à dénoncer les duretés des autorités ou leurs dérives aux moments de crise. Il retrace l'histoire, tout au long de la période coloniale, de la pratique de l'internement dans sa mise en œuvre concrète par la France, depuis l'époque de l'indigénat. Pourquoi était-il utilisé ? Qui en était victime ? Quel rôle jouait-il dans la tutelle exercée sur les colonisés ? C'est toute la logique de l'arbitraire colonial que démonte l'une de nos meilleures spécialistes dans cet ouvrage dépassionné mais clinique.
- Colonisation et propagande, le pouvoir de l'image, sous la direction de Pascal Blanchard ; Sandrine Lemaire, Nicolas Bancel, Alain Mabanckou, Paris, Cherche midi, 2022
Affiches, photographies, films, caricatures et publicités, couvertures de livres ou de journaux, des images émanant de fonds d'archives multiples racontent la colonisation entre 1870 et 1970, des débuts de la IIIe République à la chute de l'empire français. Leur décryptage montre comment se sont construits l'imaginaire et les symboliques ainsi que le discours national sur la colonisation.
- De l'indigène à l'immigré, Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, Paris, Gallimard, 1998
A la fin du XIXe siècle, la France règne sur un immense empire : Maghreb, Afrique noire, Indochine...L'idéologie coloniale élabore un modèle de l' "indigène ", sauvage que la République va doucement amener aux lumières de la " civilisation ".
Nous vous souhaitons une bonne journée !
Mes cartes mentales pour comprendre l’histoire de France