Question d'origine :
Pensez-vous que la presse écrite (e.x., journaux hebdomadaires, les éditions imprimés etc.) vont finir par disparaitre?
Réponse du Guichet

La presse papier décline fortement mais elle reste la principale source de revenus du secteur, le modèle économique des organes de presse en ligne n'ayant toujours pas été trouvé. Face à la fatigue des écrans et à l’attrait de l’objet imprimé, certains prédisent même un regain d’intérêt pour ce support matériel alors que certains observateurs prophétisaient une disparition à l'horizon de 2040.
Bonjour,
Cela fait plus de 20 ans que les médias se développent en ligne sur les plateformes numériques et peut-être tout autant d'années que des experts prophétisent la disparition de la presse écrite dont les tirages ne cessent de baisser...
Au début des années 2010 déjà, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, agence de l’ONU située à Genève, annonçait une disparition du format papiers pour 2040. Aujourd'hui, plusieurs acteurs du secteur de la presse se veulent plus rassurants et certains soulignent même un regain d'intérêt. Alors quels sont leurs arguments et que pouvons nous anticiper sans jouer les apprentis sorciers ?
Les chiffres du ministère de la Culture sont très parlants. Ce document intitulé Chiffres clés presse écrite 2024, nous offre une perspective éloquente du déclin de l'offre de presse et du nombre de tirages journaliers en France de l'après guerre à nos jours, avec une accélération marquée pendant de la dernière décennie :
Le nombre de titres de quotidiens d’information générale et politique nationaux et locaux est passé de 203 titres en 1946 à 60 titres en 2023 (graphique 3), avec la disparition d’une centaine de titres régionaux au cours de la période.
La dernière décennie enregistre 17 titres en moins, portée par la disparition des titres gratuits, tandis que le nombre de titres de presse quotidienne nationale d’information générale nationale (Le Monde, Le Figaro, Libération, L’Humanité, La Croix…) reste stable. Au cours de la même période décennale, entre 2013 et 2023, le tirage journalier moyen est passé de 1,5 million d’exemplaires à 523 milliers pour la presse nationale (– 64 %), de 5,2 à 3,0 millions pour la presse régionale (– 43 %), tandis que le tirage des gratuits recule, de 2,6 millions à 480 milliers (– 82 %)
Pourtant malgré des chiffres qui ne prêtent pas à l'optimisme, le monopole de l'écran ne serait pas pour demain selon les prévisions du Reuters Institute de l'université d'Oxford. Meta-Media, blog collectif de France Télévision, se fait le relai des prédictions de l'institut d'étude du journalisme qui anticipe un grand retour de l'imprimé : Médias : garder le moral pour 2025. Le support matériel serait à nouveau recherché des consommateurs, contrecoup d'une fatigue généralisée des écrans, beauté de l'objet, l'imprimé permettrait de "penser, de ressentir et d’agir avec plus de clarté, loin des distractions permanentes qui grignotent notre temps et notre attention."
Ces premiers soubresauts d'un retour progressif vers l'écrit peuvent s'illustrer avec le magazine The Atlantic aux États-Unis qui en 2024 a augmenté son nombre de tirages annuels en raison d'une demande accrue de ses lecteurs : The Atlantic is expanding its print magazine as it surpasses 1 million subscribers (CNN).
Des pays comme l'Inde et le Japon continuent aujourd'hui encore à vendre massivement des journaux au format papier : «Le dernier empire de la presse», une sociologie du journalisme au Japon (2023 - Meta Media). L'ouvrage sur lequel se base cet article est disponible dans nos collections : Le dernier empire de la presse : une sociologie du journalisme au Japon / César Castellvi (CNRS, 2022).
Même son de cloche du côté de la presse belge qui continue de croire en l'avenir de la presse écrite. L'Echo explique que malgré une montée en puissance des abonnements numériques, c'est sur les tirages papiers que les revenus de la presse continuent de se faire, au sein du royaume et dans le monde entier :
"Malgré ce que prédisent certains, ce n’est donc pas demain que la presse papier disparaîtra, tout simplement parce que le papier reste plus rentable que le digital, tant sur le marché des lecteurs que sur celui des annonceurs", résume Bernard Cools en sortant ses chiffres: "Si à l’échelle mondiale les revenus de la presse reculent d’année en année, le papier représentait encore l’an dernier 80% de ceux-ci contre 20% pour le digital", ajoute-t-il.
Source : Pourquoi la presse papier n'est pas près de disparaître - L'Echo (2024).
Si la baisse des revenus se poursuit en raison du déclin de la presse écrite et donc des recettes générés par les encartés publicitaires, son avenir semble pour l'heure encore assuré tant les médias demeurent dépendants de celle-ci pour gagner de l'argent malgré des couts de fabrication en hausse et des prix de vente qui ne cessent d'augmenter.
En France, le journal Sud Ouest avance les mêmes conclusions. 80% des chiffres d'affaire de la presse se fait dans l'imprimé à une époque où l'immense majorité des revenus publicitaires en ligne est captée par les oligopoles comme Meta ou Google : La chronique du médiateur : la presse papier va-t-elle disparaître ? (lisible sur Cafeyn, avec un abonnement à la BmL).
Il s'agit donc ici de rappeler que le modèle économique de la presse en ligne depuis l'arrivée d'internet à toujours été très tâtonnant et qu'aucune formule magique ne s'est imposée. La plupart des organes de presse survivent grâce à une hybridation maximale de leurs sources de revenus (événements, formats vidéos, commerce etc.) alors que la presse papier décline et que le numérique ne génère pas assez d'argent. Ce sont certaines des conclusions du rapport World Press Trends Outlook 2024-2025, que nous vous invitons à parcourir.
Plus problématique encore, même la presse écrite 100% numérique est menacée par les avancées technologiques et le déploiement tous azimuts du numérique et des I.A dans nos vies. Ce petit podcast : La presse écrite vit-elle officiellement ses dernières heures à cause d'Internet ? sur Le Mouv' fait une bonne synthèse et explique comment la presse écrite en ligne périclite à défaut de pouvoir payer le personnel nécessaire pour fournir un travail de qualité... Dans ces conditions on comprend alors pourquoi autant de journaux font entrer à leur capital de généreux mécènes afin de solidifier leur trésorerie, quitte parfois à rogner un peu sur leur indépendance éditoriale : Médias français, qui possède quoi ? (Le Monde diplomatique).
Des groupes comme So Press (So Foot, Society etc.) ont aussi par exemple choisi une formule à rebours, produisant un contenu exclusif seulement en format papier.
Bonne journée.