Question d'origine :
Que deviendra-t-il la terre sans abeille ?
Réponse du Guichet

Difficile d'anticiper les réactions en chaîne que causerait la disparition des abeilles et plus largement des insectes pollinisateurs. Les chercheurs estiment qu'une disparition de ces insectes serait une menace pour la biodiversité, la sécurité alimentaire humaine et l’économie mondiale dans son ensemble. Leur effondrement aurait à minima un effet domino sur les chaînes alimentaires, réduisant la diversité des cultures et fragilisant l’équilibre des écosystèmes...
Bonjour,
"Si l'abeille venait à disparaître, l'humanité n'aurait plus que quelques années à vivre". Cette citation faussement attribuée au physicien Albert Einstein n'en est pas moins éloquente sur le lien particulier que nous entretenons avec ce petit insecte. L'abeille, que nous chérissons pour son miel et sa contribution majeure à la pollinisation des végétaux, n'en est pas moins menacée par les activités humaines du fait notamment de l'agriculture intensive et de l'utilisation massive de pesticides. Parmi eux, on cite régulièrement les néonicotinoïdes, extrêmement toxiques pour les abeilles mais aussi les insectes et l'ensemble des chaînes alimentaires (Abeilles, une histoire intime avec l'humanité, sous la direction de Martine Regert, CNRS, 2019 p. 98) animales. Ces derniers étaient encore au coeur de nombreuses controverses cet été avec la promulgation et le censure partielle de la loi Duplomb qui entendait réintroduire ces produits chimiques pourtant interdits depuis 2018 dans l'agriculture française.
Pour rappel, la pollinisation est le processus par lequel le pollen est transféré des étamines (organes mâles) d’une fleur aux pistils (organes femelles) d’une même ou d'une autre fleur. Ce transfert permet la fécondation, qui aboutit à la formation de graines et de fruits. Cette vidéo publiée sur le site de La Salamandre explique très simplement ce phénomène.
Dans leur ouvrage Éloge de l'abeille (Flammarion, 2019) Christophe Gatineau et de Sylvie Corré remontent aux sources de cette citation qui révèle en creux notre conscience aiguë de l'importance des abeilles pour notre environnement. Cette mascarade aurait été délibérément orchestrée par un leader syndical apicole français (théorie reprise dans cet article de Sciences et Vie) qui, en guerre contre l'importation de miel chinois, aurait imputé à A. Einstein ces mots sur la protection de l'environnement afin de leur conférer plus de poids. On apprend aussi que la citation originelle proviendrait en réalité d'un ouvrage de Maurice Maeterlinck, prix Nobel de Littérature 1911, intitulé La vie des abeilles (1901) : "On estime en effet que plus de cent milles espèces de plantes disparaîtraient si les abeilles ne les visitaient point. Et qui sait, notre civilisation même ? Car tout s'enchaîne dans ces mystères...". Quoi qu'il en soit, cette citation traduit une intuition ancienne et constante: sans les insectes pollinisateurs, l’équilibre du monde vivant et celui des sociétés humaines se trouvent menacés...
Comme nous venons de le voir la citation est apocryphe, mais qu’en est-il réellement de son sens? Le livre de Christophe Gatineau et Sylvie Corré dément aussi la rumeur d'une disparition programmée de l'espace humaine en cas de disparition des abeilles. Mais les conséquences n'en seraient pas moins désastreuses... Sciences et Vie relaye dans un article intitulé Si les abeilles disparaissaient, est-ce que les humains n'auraient vraiment plus que quatre années à vivre ? une étude publiée dans la revue scientifique The Lancet (2015) qui analysait les conséquences d'une baisse drastique du nombre d'insectes pollinisateurs dans le monde. Les chercheurs estimaient que ce déclin pourrait provoquer jusqu'à 1,4 million de morts supplémentaires par an, soit une augmentation de la mortalité mondiale de près de 3 % par an ! Comment ? L'étude impute cette hausse de mortalité à une généralisation des carences en vitamines A et en vitamine B9 (contenues dans bon nombre de fruits et légumes qui disparaitraient), vitales pour les femmes enceintes et les enfants, et à une forte augmentation des maladies cardio-vasculaires causée par ce changement d'alimentation.
Mais il faut voir au-delà de l'abeille. C. Gatineau et S.Corré dans Éloge de l’abeille, alertent surtout sur les répercussions considérables que causerait la disparition des insectes dans leur ensemble. Pollinisateurs et en bout de chaîne alimentaire, le rôle des insectes est inestimable :
Par contre et la nuance est grande, si les insectes disparaissaient, plus que l'humanité, c'est l'ensemble des mammifères qui risquerait de prendre le même chemin. Et pas seulement. Autrement dit, la vie sur la Terre subirait une sévère cure d'amaigrissement, comme une sorte de retour aux sources. Ce ne serait pas la fin du monde mais un nouveau monde, où le vivant serait obligé de repartir d'un autre pied avec de nouvelles espèces.
Si les 20 000 espèces d'abeilles domestiques et sauvages qui existent au travers le monde sont responsables de près de 80% de la pollinisation mondiale, les abeilles ne sont pas les seules à participer à cette grande fête de la reproduction de la vie. L'INRAE a édité ce petit encarté très éclairant sur la pollinisation, il permet de mieux se représenter l'importance considérable de ce travail de l'ombre à la perpétuation de notre biodiversité :
Environ 225 000 espèces de plantes à fleurs sont pollinisées par 200 000 espèces d’animaux, parmi lesquelles en premier lieu des insectes, de l’ordre des hyménoptères (abeilles et guêpes principalement), des diptères (mouches syrphes en particulier), des lépidoptères (papillons) ou des coléoptères (charançons), et aussi en milieu tropical, des oiseaux et des chauves-souris.
La pollinisation par les insectes, dénommée entomophile, est indispensable à la fécondation d’une majorité d’espèces de plantes à fleurs que l’on cultive pour leur graine (colza, tournesol, sarrasin), leur fruit (pomme, poire, kiwi, melon), leur racine ou leur bulbe (carotte, radis, oignon), leur feuillage (chou, salade)...
Le vent est le vecteur principal pour 10 % des plantes à fleurs, dont la plupart des céréales (riz, maïs, orge, seigle).
Source : À quoi servent les abeilles ? - INRAE.
Dans un entretien passionnant accordé au journal Le Monde (lisible sur Europresse avec un abonnement BmL) l’entomologiste Dave Goulson tirait déjà, en février 2023, la sonnette d'alarme. Il rappelait la disparition fulgurante, en seulement quelques décennies, de près de 80 % de la biomasse des insectes, un groupe qui constitue à lui seul 70% de la biodiversité du règne animal. Cet article publiée par la revue Sesame de l'INRAE relate cet effondrement qui se passe en ce moment dans un silence assourdissant : Effondrement des insectes : pourquoi tout le monde s’en fiche (ou presque) ? (mai 2025).
L'extinction abeilles serait donc une menace à notre propre sécurité alimentaire. Une étude de GreenPeace reprise dans cet article de National Geographic estime que les abeilles contribuent à 75% de la production alimentaire mondiale tandis que sa valeur économique pourrait être estimée à plus de 150 milliards de dollars chaque année !
La disparition des abeilles provoquerait un effet domino très difficile à anticiper, menaçant la biodiversité, la sécurité et la diversité alimentaire et perturberait considérablement les équilibres écologiques et économiques de la planète. Mais pas de panique, à tout problème sa solution, des drones pollinisateurs volent déjà au secours des abeilles...
Mais savez-vous qui est peut-être encore plus irremplaçable encore l'abeille ?
Pour aller plus loin :
Le génie des abeilles / Eric Tourneret, Jürgen Tautz, Sylla de Saint Pierre (Hozhoni, 2020)
Sauvons les abeilles ! : les 10 actions pour (ré)agir ! / Sven Niel ; préfacé par Yann Arthus-Bertrand (Rustica, 2019)
Abeilles : une histoire intime avec l'humanité / sous la direction de Martine Regert ; préface de Jean-Claude Ameisen (CNRS, 2019)
Les abeilles du monde : le guide du naturaliste / Laurence Packer (Editions du Gerfaut, 2024)
Vie et mœurs des abeilles / Karl von Frisch (Albin Michel, 2021)
Bonne journée.