Quelle est l'origine de la législation sur le remembrement rural du gouvernement de Vichy ?
Question d'origine :
Bonjour Cher Guichet,
Serait-il possible de connaître l'origine de la législation française sur le remembrement rural apparue sous le gouvernement de Vichy ?
Réponse du Guichet

Le remembrement rural sous le régime de Vichy trouve son origine dans plusieurs lois. Parmi ces lois mises en place par Maurice Poirée, 1918, 1919, la loi sur le remembrement du 9 mars 1941 a constitué le cadre législatif du remembrement jusqu’au début du 21ᵉ siècle. Elle est incarnée par Pierre Caziot, premier ministre de l’Agriculture et René Dumont, ingénieur agronome et homme politique. L'Occupation et l’efficacité agronomique du Troisième Reich ont aussi compté dans cette opération.
Bonjour,
Vous voulez connaître les origines de la législation française sur le remembrement rural sous le gouvernement de Vichy.
Dans l'interview « Le remembrement agricole, c’est tout un monde qui est bouleversé », Terrestre, 22 janvier 2025, Léandre Mandard, historien spécialiste d’histoire environnementale, nous apprend que
Les premières lois françaises qui mettent en place une procédure de remembrement, dites « lois Chauveau », datent de 1918 et 1919. La première est peu appliquée, et la seconde concerne en fait les régions dévastées par la guerre. Les zones du front sont une sorte de laboratoire du remembrement. Il y a ensuite la fameuse loi du 9 mars 1941 mise en place par le régime de Vichy. Derrière ces lois de 1918-1919 et 1941, on trouve la même personne : Maurice Poirée, un ingénieur du génie rural. La loi de 41 est conservée à la Libération : elle a constitué le cadre législatif du remembrement jusqu’au début du 21ᵉ siècle.
Vous pouvez accéder à cette loi du 9 mars 1941 sur la réorganisation de la propriété foncière et le remembrement mise en place par le régime de Vichy sur Légifrance.
Christophe Bonneuil, autre historien interrogé dans ce même entretien, explique qui est à l'origine de cette loi :
À l’origine de la loi sur le remembrement de 1941, il y a d’abord une élite agrarienne mais relativement modernisatrice qui est incarnée par Pierre Caziot, le premier ministre de l’Agriculture du gouvernement de Vichy. Caziot s’intéresse à la question foncière depuis l’entre-deux guerres. Il est soutenu par des ingénieurs du génie rural, qui ont pour ambition de moderniser le monde rural et de le faire produire davantage. Ils électrifient, drainent, construisent des routes dans les campagnes. [...] Ces ingénieurs représentent un courant technocratique et modernisateur à l’intérieur même du régime de Vichy, à rebours de la caricature du traditionalisme. On sait depuis le livre majeur de Robert Paxton en 19733 qu’il y a eu un courant technocratique et modernisateur sous Vichy. Il faut ajouter une forte pression, sous l’Occupation, à intensifier la production malgré les pénuries de main d’œuvre et d’intrants, pour répondre à la ponction allemande de matières premières agricoles.
Ensuite, une deuxième élite est constituée par les partisans de la motorisation, où on trouve également des ingénieurs du génie rural tels que René Dumont. Ils ont pour impératif de transformer les paysages afin de les adapter à la machine. Pour eux, les petites parcelles ne sont pas adaptées à la modernité motorisée et pétrolisée du tracteur.
Le contexte de la guerre et le gouvernement de Vichy ont donc joué un rôle majeur…
Rappelons qu’à partir de juin 1940, l’Allemagne a envahi la France : il y a la France dite libre et la France dite occupée. Mais il y a également un territoire appelé « Zone interdite », promis à une annexion future, qui comprend l’Alsace et une partie des Ardennes. Dans cette zone, plus de 1000 fermes sont accaparées par les Allemands et regroupées dans une unité de production qui fait 170 000 hectares à son apogée. Cette zone est complètement remembrée : elle est un exemple de modernisation menée par l’occupant. Bien que l’expérience ne marche pas très bien, elle provoque un choc modernisateur venu de l’Allemagne nazie, et un traumatisme chez les agronomes français. René Dumont écrit en 1943 un article expliquant que lorsqu’on aura libéré la France, il ne faudra pas remettre les propriétés dans leur état antérieur. Une façon de dire : à quelque chose malheur est bon, le choc modernisateur allemand peut nous inspirer.
Les auteurs Lyautey, M. et Bonneuil, C. rapportent les choses un peu différemment :
En 1943, l’agronome René Dumont esquisse un plan pour une agriculture française plus productive et exportatrice. Prônant une refonte des structures agricoles devant permettre la motorisation, il se félicite de la loi de remembrement de mars 1941 et note, à propos des 11500 fermes confisquées et remembrées en 367 exploitations par l’occupant dans le nord-est de la France, qu’« il ne faudra pas rendre » ces terres « à leurs exploitants sans les regrouper » [1].
Quelques mois plus tard et en plein débarquement, le commissaire du Comité français de Libération nationale appelle l’attention de De Gaulle sur l’efficacité agronomique du Troisième Reich par rapport à l’agriculture française des années 1930 qui « ne parvenait pas à satisfaire, sur son sol, plus de 83 % de ses besoins alimentaires. C’est exactement le même résultat qu’atteignait l’Allemagne avec une population agricole inférieure de près de moitié » [2]. Le rapport à l’origine de la création de l’Inra observe peu après qu’en Allemagne, c’est « une organisation méthodique de la recherche et de l’expérience agricoles qui a permis à ce pays de développer et d’utiliser au maximum, au cours des dernières années, sa production » [3].
De son côté, Éphraïm Grenadou, agriculteur dont l’exploitation en Beauce a prospéré pendant la Seconde Guerre mondiale, remplace en 1945 son vieux tracteur par un tracteur allemand Lanz d’occasion venant de l’Est de la France : « un tracteur de 36 qui marche comme une horloge [trente ans après]. Pour ça, les Boches, ils sont forts » [4].
[...]
l’historiographie des politiques économiques a désormais bien établi, par-delà les clivages et affichages idéologiques, les fortes continuités–de la crise de 1929 aux années 1950 en passant par le Front Populaire et Vichy– d’une poussée dirigiste, d’une volonté de rationalisation et d’un encadrement des activités de production et d’échange par l’appareil gouvernemental [10].
Source : Lyautey, M. et Bonneuil, C. (2022). Les origines allemandes et vichystes de la modernisation agricole française d’après 1945. Revue d’histoire moderne & contemporaine, 69-2(2), 86-113.
A ce sujet, vous pouvez lire aussi :
Léandre Mandard : « Les souffrances liées au remembrement ne ressortent pas forcément dans la presse », RetroNews, mai 2025. Attention, abonnement payant.
Une contestation du remembrement étouffée par les journaux : réponse au mécontentement d’un lecteur dans le journal La Croix, RetroNews, février 2025
Les avantages du remembrement selon l'Homme libre, RetroNews, février 2025
Reconstruction ou modernisation ? Un village après la tempête : Le Bosquel en Picardie / Marie-Christine Zelem, Rapport d'étude au Ministère de la Culture et de la Communication Mission du Patrimoine Ethnologique, décembre 1991, FDMJC de la Somme
L'héritage allemand de l'Occupation : ces 60 dispositions toujours en vigueur / Cécile Desprairies ; préface d'Emmanuel Le Roy Ladurie, 2019
La France de Vichy : 1940-1944 / Robert O. Paxton ; trad. de l'anglais... par Claude Bertrand ; [avant-propos et notice bibliogr. augm. trad. par Jean-Pierre Bardos] ; préf. de Stanley Hoffmann