Quelle était la proportion d'enfants morts prématurément sous l'ancien régime ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Sait-on la proportion d'enfants morts dans l'année de leur naissance ainsi que les fausses-couches dans la France de l'Ancien régime tant en ville que chez les ruraux et suivant les milieux sociaux ? Quelle évolution observe t-on aux XIXe et XXe siècles ?
Réponse du Guichet
Au XVIIIème siècle, près d’un nouveau-né sur trois mourait avant un an, la mortalité touchant surtout la première semaine de vie tout en restant élevée pendant la première année, et ce jusque dans les familles nobles. Un enfant "bien né" était davantage préservé, mais le social n'était pas un facteur de protection absolu au XVIIIème siècle. Grâce aux progrès médicaux, à la vaccination et aux mesures d’hygiène, cette mortalité a rapidement reculé à partir du XIXème siècle, pour atteindre 3,5 décès pour 1 000 naissances en 2015.
Bonjour,
Nous pouvons commencer par citer ces éléments d'ordre général fournis par l'Institut national d'études démographiques (INED) qui analysent les grandes évolutions de la mortalité infantile durant les siècles passés. Les chiffres de décès au 18ème siècle chez les nouveaux nés étaient particulièrement élevés. Ils étaient de 3,5 décès pour 1000 naissances en 2015 selon les données de l'INSEE.
Aux alentours de 1740 en France, près d’un nouveau-né sur trois mourait avant d’avoir atteint son premier anniversaire, victime le plus souvent d’une maladie infectieuse. La situation change à la fin du XVIIIe siècle : la mortalité infantile, c’est-à-dire la mortalité des enfants de moins d’un an, se met à baisser rapidement. Vers 1850, la mort ne frappe plus qu’un nouveau-né sur six. Cette baisse est principalement liée au succès remporté par la vaccination contre la variole, l’une des grandes causes de décès d’enfants à cette époque, mais aussi à l’amélioration des méthodes d’accouchement et des premiers soins donnés au nouveau-né.
A partir de la fin du XIXe siècle, grâce à la diffusion des pratiques d’asepsie et des politiques publiques de surveillance des enfants et des nourrices, la mortalité infantile commence à nouveau à baisser. Ce mouvement ne cessera plus. Seules exceptions, la pointe de 1911, liée à un été chaud durant lequel la mortalité par diarrhées a été très forte, puis celle causée par la guerre de 1914-1918, renforcée par l’épidémie de grippe espagnole, et enfin la pointe de mortalité de 1945, liée à la désorganisation des circuits de distribution du lait qui suit la Libération.
La poursuite de la baisse dans la seconde partie du XXe siècle s’explique par le succès quasi total de la lutte contre les maladies infectieuses. Le passage en dessous du seuil de dix décès pour mille enfants de moins d’un an ayant eu lieu, en France ainsi que dans la majorité des pays d’Europe, autour de 1980, la mort des enfants est devenue aujourd’hui un phénomène rare et accidentel dans tous les pays développés. En 2015, le taux de mortalité infantile en France métropolitaine est de 3,5 décès pour 1 000 naissances, selon les données de l’Insee.
Voici ensuite les informations sur la mortalité infantile en France au 18ème siècle, que nous trouvons dans le chapitre « La mortalité infantile en Europe occidentale au xviiie siècle » de Jean-Claude Sangoï, dans La petite enfance dans l'Europe médiévale et moderne (Presses universitaires du Midi, 1997). La mortalité infantile est très élevée, surtout en période périnatale et touche davantage les garçons que les filles.
Attention toutefois, l'auteur rappelle en introduction de son article que la mesure de la mortalité infantile s'établit sur des données friables, sans statistiques annuelles (qui n'arriveront qu'au 19ème siècle). Il explique aussi qu'une grande partie des décès infantiles ne sont pas enregistrés, et ce jusqu'au mi-temps du 19ème siècle :
La première concerne le niveau de la mortalité infantile. Il est élevé : en France de 1740 à 1789, le quotient de mortalité infantile serait voisin de 270 %, ce qui pèse lourd sur l'espérance de vie à la naissance : près d'un enfant sur deux n'arrive pas à vivre cinq ans ! La campagne flamande et brabançonne a des taux compris entre 200 et 300‰. En Italie du Nord, les 300 %o sont atteints, voire dépassés en 1730-1750 et 1760-1770.
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« Un décès infantile sur trois, et parfois même un décès sur deux, survient dans la première semaine ». Jacques Dupâquier cite l'exemple de Bagneux-la-Fosse (Aube) où, en 1710-1729, pour 1 000 baptêmes se produisent 117 décès au cours de la première semaine d'existence. Dans le Bas-Quercy en 1751-1792, 30 % des décès infantiles ont lieu dans les sept jours qui suivent l'accouchement.
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La dimension biologique des décès de nouveau-nés est confirmée par la surmortalité masculine dans la première semaine de vie. Pour 100 filles qui meurent, 138 garçons décèdent à Rome (génération de 1810) 112 dans le Bas-Quercy (période 1751-1872). C'est surtout la première journée qui est difficile pour les garçons : le rapport de masculinité des décès s'élève alors à 143 pour le Bas-Quercy (deuxième moitié du XVIIIe siècle), 142 pour la Nouvelle-France au Canada.
Il distingue la mortalité endogène de la mortalité exogène. Cette dernière est due aux maladies qui touchent alors les jeunes enfants : "Trois grands types de maladies frappent les jeunes enfants : les maladies digestives comme la gastro-entérite, les maladies respiratoires au rang desquelles figurent les pneumonies, les bronchites, les pleurésies, les formes tuberculeuses, et les maladies épidémiques qui regroupent la variole, la rougeole, la diphtérie, la dysenterie..."
Vous trouverez aussi des renseignement sur les conditions environnementales qui pouvaient favoriser ces décès prématurés (météo, saison, géographie), mais aussi sur leurs répartitions parmi les différentes couches de la société de l'ancien régime. D'après l'auteur, le social ne serait pas le facteur le plus aggravant dans les sociétés pré-industrielles. La vie en ville serait en revanche un facteur non négligeable, surtout si doublé du contexte social :
Des nombreuses monographies écrites sur le sujet se dégage l'impression que, dans les sociétés préindustrielles, le social joue un faible rôle. Cependant, deux nuances sont à apporter :
d'une part, des comportements ou des coutumes sociales masquent le facteur économique ou social. Par exemple, la mise en nourrice, souvent meurtrière et plus fréquente dans les familles aisées, annule d'éventuels avantages sociaux à la naissance ;
d'autre part, la mortalité sociale est une caractéristique urbaine. À Rouen, la mortalité infantile s'élève à 272 ‰ chez les notables et à 396 ‰ chez les ouvriers. Dans la paroisse bruxelloise de Saint-Géry, « la pauvreté s'accompagne d'un triplement du quotient par rapport aux plus favorisés du destin ». Les différences sont tout aussi énormes à Genève : les quotients varient de 208 à 358 ‰ selon le groupe social.
La mortalité infantile était effectivement élevée chez les familles nobles au XVIIIe siècle est aussi observée par Stéphane Minvielle dans son chapitre « Les comportements démographiques de la noblesse française de la fin du xviie siècle à la révolution française : une tentative de synthèse » de l'ouvrage Noblesse française et noblesse polonaise, édité par Michel Figeac et Jaroslaw Dumanowski (Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006), bien que globalement moins forte que dans le reste de la population :
« Lors de son étude sur le milieu judiciaire bisontin, Maurice Gresset s’est intéressé au destin des enfants de la noblesse parlementaire : ils seraient 21,95 % à ne pas atteindre leur premier anniversaire et 14,58 % mouraient entre un et quinze ans, soit au total 36,53 % des nouveau-nés. Un tiers de la descendance des parlementaires mourait ainsi en bas âge, ce qui est assez loin des deux enfants nécessaires pour obtenir un adulte à la génération suivante dont parlait Pierre Goubert pour le Beauvaisis. Quoi qu’il en soit, même si beaucoup d’enfants meurent avant un an dans le milieu pourtant fortuné des parlementaires, les indices restent sensiblement inférieurs à ceux observés dans le reste de la population française, malgré la pratique généralisée de la mise en nourrice. Mais, bien que cet élevage mercenaire soit parfois à l’origine du destin tragique de l’enfant, n’oublions pas que ces familles ont les moyens de concilier nourrissage et survie de leur progéniture. Tout en restant un facteur mortifère important, le placement en nourrice des enfants nobles provoque probablement moins de dégâts que dans les catégories sociales n’appartenant pas aux élites. »
(...)
En outre, pour revenir à Besançon, il semblerait que l’on assiste à une chute assez forte de la mortalité infantile au XVIIIe siècle. Selon Maurice Gresset, pour les nouveau-nés de familles parlementaires, on partirait de 23,91 % en 1692-1715 pour atteindre 17,24 % en 1771-1790. Globalement, la mortalité des enfants passerait de 40 % au début du XVIIIe siècle à près de 30 % à la veille de la Révolution française, ce qui aurait bien entendu des conséquences sur le taux de reproduction réel des couples.
Pour davantage d'informations, vous pourriez aussi vous référez aux extraits cités dans cette précédente réponse du Guichet du Savoir : Quelle était la descendance moyenne d'un couple au 18e siècle en France ? (2022) :
Un enfant sur quatre au moins mourait autrefois avant un an et cette énorme proportion résultait principalement de la surmortalité aux premiers jours de la vie. A Rouen, un sur vingt était emporté le jour de sa naissance ; un sur sept disparaissait au cours de la première semaine de son existence ; et à la fin du premier mois, plus de 20% des innocents reposaient à trois pieds sous terre. Il est vrai que le cas de Rouen et des grandes villes était particulier. La proportion des enfants abandonnés y était devenue impressionnante au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle ; or, c'étaient eux qui payaient alors le plus lourd tribut.
Mais partout la mortalité du premier mois était massive ; elle était même plus élevée pour la France rurale que pour la France entière. Dans une paroisse de 800 à 1000 âmes, le glas retentissait chaque mois pour annoncer le décès d'un nouveau-né.
Lorsqu'ils étudient la mortalité infantile, les démographes distinguent généralement la mortalité endogène résultant de l'hérédité et des conditions de la grossesse et de l'accouchement, de la mortalité exogène dépendant davantage de l'environnement, du milieu socio-économique. La mortalité endogène représentait autrefois moins de la moitié de l'ensemble des décès de moins d'un an ; mais elle pouvait varier sensiblement d'une région à une autre ; ainsi, elle était de 49% à Sainghien-en-Mélantois entre 1740 et 1789, mais elle atteignait 60% à Tourouvre-au-Perche pour la période 1740-1769. La mortalité exogène était responsable de la forte proportion de mortalité infantile dans les régions à forte mortalité. C'est elle qui semble avoir baissé le plus au cours du XVIIIe siècle.
Source : L'arbre et le fruit : la naissance dans l'Occident moderne, XVIe - XIXe siècle de Jacques Gelis, cité dans Quelle était la descendance moyenne d'un couple au 18e siècle en France ?.
Vous trouverez aussi des informations supplémentaires dans cet article de Futura Sciences : La France au XVIIIe siècle est un géant démographique et dans cet article de Yves Blayo La mortalité en France de 1740 à 1829 (Persée, 1975).
Bonne journée.
De chair et de fer