La sévérité est-elle propice à la bonne éducation des enfants ?
Question d'origine :
La sévérité est elle convenable à une bonne éducation des enfants ?
Réponse du Guichet
La sévérité éducative, lorsqu'elle adopte des méthodes répressives et coercitives, relevant soit des maltraitances infantiles ou des violences éducatives ordinaires, ne permet pas d'éduquer l'enfant, au sens d'assurer la formation et le développement sain d'un enfant vers l'âge adulte. La surcoercition, qui relève du concept de "pédagogie noire" développé par Alice Miller, sape l'estime de soi et favorise la passivité au détriment de la conscience, alors que des enfants, valorisés et encouragés, aimés de façon inconditionnelle sont plus susceptibles de devenir des adultes qui pensent par eux-mêmes et font des choix éthiques.
L'autorité parentale et éducative peut se conjuguer avec une conception démocratique de l’éducabilité humaine, cette forme d'autorité menant à la capacité d'éduquer sans avoir recours à des moyens coercitifs extérieurs, d’intégrer l’enfant dans un monde commun et d’instaurer l’autorité de la loi contre la violence des rapports humains.
Des pistes bibliographiques vous sont indiquées pour poursuivre la réflexion sur ces différentes notions.
Bonjour,
Vous vous demandez si la sévérité est propice à la bonne éducation des enfants.
Appliquée aux personnes, la sévérité revêt deux acceptions principales : "caractère d'une personne prompte à punir et à blâmer" et "comportement caractérisé par la stricte observance des principes moraux et par la rigueur" :
SÉVÉRITÉ nom féminin
XIIe siècle. Emprunté du latin severitas, « sévérité, austérité ; dureté, rigueur ».
1. Qualité d’une personne prompte à punir, à blâmer, qui manque d’indulgence. La sévérité d’un examinateur. Traiter quelqu’un avec sévérité. Les journalistes sont d’une sévérité excessive à son égard. Par métonymie. Un regard d’une grande sévérité. Par extension. La sévérité des lois. Contester la sévérité d’une sentence.
▪ Au pluriel. Acte ou jugement sévère. Les sévérités de son père ont profondément marqué sa personnalité.
2. Stricte observance des principes moraux ; austérité, rigueur. La sévérité janséniste. Un comportement, un caractère d’une grande sévérité. La sévérité des mœurs d’un peuple. La sévérité de l’éducation à Sparte était légendaire.
▪ Par extension. Apparence, attitude d’une personne austère, distante. En société, sa sévérité décourage même les plus hardis.
Source : Dictionnaire de l'Académie française
Le terme éducation appliqué aux enfants, est quant à lui, défini ainsi par le Dictionnaire de l'Académie française :
XVe siècle. Emprunté du latin educatio, « action d’élever (des animaux, des plantes) » ; puis « instruction, formation de l’esprit ».
1. Action d’élever, de former, d’instruire une personne (enfant, adolescent, adulte), en cultivant ses qualités physiques, intellectuelles et morales. Se consacrer à l’éducation des jeunes enfants. L’éducation façonne la personnalité. Éducation sévère, classique, libérale, traditionnelle. Maison d’éducation, établissement où l’on reçoit en internat des enfants, des adolescents, pour les instruire et les éduquer. Les maisons d’éducation de la Légion d’honneur. Par extension. L’éducation de la jeunesse. L’éducation du public.
Titre célèbre : Émile ou De l’éducation, de Jean-Jacques Rousseau (1762).
En adoptant le sens premier du terme sévérité, il faut donc se demander si une éducation sévère, au sens de prompt à punir et à blâmer, est profitable à l'enfant. On retiendra ici une éducation usant de méthodes répressives et coercitives, qu'elles relèvent de maltraitances infantiles, ou de ce qu'on appelle aujourd'hui la violence éducative ordinaire (VEO), culturellement tolérée et banalisée par la société, exercée par des parents mais également par l’entourage et les professionnels de l’enfance.
Dans l'ouvrage Révolution intérieure : renforcer l'estime de soi (récemment republié chez Harper Collins et préfacé par Mona Chollet), Gloria Steinem s'intéresse aux "méthodes traditionnelles d'éducation" (page 115), relevant de ce qu'Alice Miller, pionnière en la matière, qualifie de pédagogie noire, soit des méthodes d’éducation autoritaires et répressives, usant de violences physiques et psychologiques :
Dans C'est pour ton bien, elle décrit ce qu'elle appelle la "pédagogie noire", le processus qui consiste à briser l'esprit de l'enfant pour permettre à l'adulte de le contrôler facilement - tout cela soi-disant au nom de l'amour, pour sauver l'enfant de souffrances ultérieures dues à l'absence de discipline, et par conséquent, comme le disent si souvent les parents à l'enfant : C'est pour ton bien". Elle résume les principaux cardinaux des manuels d'éducation primaires en Europe - en particulier en Allemagne - et très admirés aux États-Unis au cours des premières décennies du XXe siècle. Certains d'entre eux sont encore sinistrement familiers [...] Miller soutient que ce type d'éducation produit des citoyens susceptibles d'obéir au "leader qui a toujours raison" [...]
Nous devons également nous rappeler ceci : toute forme de maltraitance commise par ceux-là mêmes qui sont censés nous protéger, envers lesquels nous n'avons pas d'autre choix que de nous rendre vulnérables, est la force la plus destructrice d'autrui. [...]
Gloria Steinem, évoque plus loin (page 124) le caractère néfaste de la "surcoercition" dans le processus développement de l'enfant :
"L'attitude parentale pathogène la plus courante en Amérique" rapporte le Dr Hugh Missildine dans Your Inner Child of the past ("L'enfant intérieur du passé", non traduit en français), est la "surcoercition" :
"Cette posture se manifeste typiquement chez le parent qui ne cesse de diriger, surveiller et rediriger sans cesse l'enfant en le submergeant de rappels et d'ordres anxieux. Étant donné que cette coercition nie le besoin de l'enfant d'initier et de poursuivre ses propres intérêts dans son processus de développement, il se peut que l'enfant finisse par dépendre excessivement des directives extérieures." [...]
Dans la vie de tous les jours, la surcoercition, qui affaiblit et humilie le moi, peut se manifester de multiples manières : de façon banale si l'on ne cesse de nous encourager ou de nous forcer à imiter, à suivre, à obéir, à toujours "rester dans les clous" ; de façon convenue si notre éducation, qu'elle soit religieuse ou autre, nous inculque que nous sommes pêcheurs par nature ; de façon cruelle si l'on s'entend traiter de fardeau par un parent (par exemple : Si je ne t'avais pas eu, j'aurais pu être...) ; de façon préjudiciable si l'on est née fille dans une famille qui voulait un garçon ; ou de façon intériorisée [...]
Et de mettre en exergue (page 121) que les enfants, valorisés et encouragés, aimés de façon inconditionnelle, écoutés et entendus, sont susceptibles de devenir des adultes passionnés qui pensent par eux-mêmes et font des choix éthiques. Quand la stricte discipline est la norme et l'anticonformisme une aberration, ces mêmes enfants apprennent la passivité et l'obéissance, et non la conscience.
La fondation Action Enfance décrit les conséquences destructrices des VEO chez l'enfant :
La violence éducative ordinaire (VEO) peut générer différents troubles chez les enfants et les futurs adultes (troubles de l’anxiété, troubles du comportement, troubles somatiques, dépression…). Elle augmente aussi le risque de développer des comportements agressifs ou d’en subir.
De plus, on observe souvent une transmission de la violence éducative ordinaire de génération en génération en l’absence de cadre moral ou légal bien défini, ainsi les parents reproduisent souvent les violences qu’ils ont vécu quand ils étaient enfants. Ils pensent en effet que c’est la bonne manière d’éduquer leurs enfants puisque c’est ainsi qu’ils ont été éduqués. Ces principes d’éducation viennent d’une méconnaissance du développement cognitif et affectif des enfants. Par exemple, des parents et éducateurs interprètent certains comportements de leur enfant comme des « caprices » plutôt que le reflet d’un manque ou d’un mal-être avéré chez l’enfant. Il est d’ailleurs très répandu de croire qu’un enfant deviendrait un « enfant-roi » si les parents ne le punissaient pas. [...]
En tant que parent, il est tout d’abord nécessaire de se questionner sur son histoire personnelle et sa propre relation avec ses parents. Comprendre dans quel cadre éducatif nous avons été élevé et ce que cela nous a apporté en tant qu’adulte. Il est important de faire ce travail personnel afin de pouvoir bien réfléchir au type de relation que nous souhaitons développer avec nos enfants.
Afin d'éviter la reproduction des VEO, on peut en effet, en tant qu'adulte, renouer avec son enfant intérieur, ce que Gloria Steinem nomme "le reparentage" dans Révolution intérieure : renforcer l'estime de soi (page 158) : "un voyage pour renouer avec notre enfant intérieur, recouvrer et revivre ce qu'il a vécu, et devenir notre propre parent". De nombreux livres, empruntables à la BmL, concernent ce sujet.
Est-ce à dire qu'il faut rejeter l'autorité morale ? Il faut ici distinguer l"autorité de l'autoritarisme. On peut lire à ce propos l'article des Cahiers pédagogiques L’autorité éducative : un concept aux multiples facettes (publié le 29 mars 2024), qui définit l'autorité éducative comme une construction professionnelle non innée :
Légitime, juste ou bienveillante, l’autorité est loin d’être une capacité innée ou allant de soi, contrairement à un mythe bien établi. Elle est le fruit d’une construction professionnelle, édifiée par le dialogue, dans le temps et l’expérience de la classe. L’autorité éthique se manifeste dans une démarche d’accompagnement non contraignante, capable de mobiliser chez les élèves leur motivation à apprendre. [...]
Le philosophe de l’éducation Camille Roelens [universitaire lyonnais] [...] considère que l’autorité bienveillante est compatible avec l’autonomie et peut être mise au service de l’élève dans ses choix individuels. L’autorité s’inscrit dans une relation de confiance (et de vigilance de la part de la personne enseignante) sans pour autant occulter la dimension asymétrique de l’action éducative, mais au contraire en la posant comme socle de cette relation.
Monique Castillo, dans un article intitulé L’éducation, entre crise et besoin d’autorité (Inflexions, 24(3), 59-65, 2013), réfléchit au concept d'autorité parentale et ouvre une réflexion sur la compatibilité de la force morale de l’autorité avec une conception démocratique de l’éducabilité humaine : la dimension morale de l’autorité menant à la capacité d'éduquer sans avoir recours à des moyens coercitifs extérieurs, permettant d’intégrer l’enfant dans un monde commun et d’instaurer l’autorité de la loi contre la violence des rapports humains :
Entre les parents et le petit enfant, la relation est dissymétrique, mais la nature éthique de la relation consiste à faire de cette dissymétrie un objet de respect et de considération. C’est tout le mystère de l’autorité : faire vivre cette inégalité comme un lien et non comme une exclusion. L’autorité n’est pas l’autoritarisme, et la relation à l’enfant n’est pas identique au rapport entre gouvernants et gouvernés. Elle n’est pas politique ; elle est pré politique. À l’intérieur de la famille, l’obéissance s’associe à un acte d’amour ; le père et l’enfant se lient réciproquement par l’inégalité parce que l’engagement de chacun est de l’ordre de la promesse : promesse, de la part de l’adulte, d’assumer sa responsabilité de parent, promesse, de la part de l’enfant, de répondre à cette responsabilité.
On voit alors pourquoi il ne faut pas identifier la relation morale qu’est l’autorité à une relation de pouvoir : une relation de pouvoir a pour effet d’obtenir une subordination ; la relation d’autorité de l’adulte contribue, pour sa part, à introduire l’enfant dans un monde de signes, de codes et de symboles qui, le plus souvent, ne sont pas enseignés à l’école parce qu’ils font partie de l’héritage des imaginaires sociaux. Or l’autorité parentale est établie lorsqu’elle parvient non pas à soumettre l’enfant à ce monde de signes, mais à l’y faire entrer, à l’y associer, à faire en sorte qu’il y trouve place et le perpétue. Elle développe alors chez l’enfant une aptitude à nouer des relations symboliques. L’unité qu’elle réalise est une unité d’intégration plutôt qu’une unité de subordination et de domination. Quand l’autorité réussit à intégrer l’enfant dans un monde ordonné ou organisé par des valeurs, l’obéissance n’est pas alors perçue comme soumission, mais comme contribution et comme animation : obéissance et autorité collaborent de même façon à l’unité solidaire des parties. [...]
Didier Pleux dans son ouvrage L'autorité éducative, une urgence (2024) présente, à partir d'exemples concrets, les bases fondamentales de l'autorité parentale et montre comment éduquer ses enfants avec autorité, empathie et tolérance en fixant des limites claires.
Face à la "pédagogie noire", s'est développée la parentalité positive, à la fin du XXe siècle. L'éducation positive et bienveillante en France est connue du grand public au travers des livres de trois auteures principales : Isabelle Filliozat, Catherine Gueguen et Heloise Junier :
Isabelle Filliozat s'intéresse au développement psycho-affectif de l'humain tel qu'il se construit progressivement à partir de son hérédité génétique dans un environnement familial, transgénérationnel et culturel. Elle crée le concept d'empathie intégrative et importe en France celui de parentalité positive, venu d'Outre Atlantique. [...] La pédiatre Catherine Gueguen, affectée à l'Institut hospitalier franco-britannique, formée à l’haptonomie et à la Communication Non Violente (CNV) a montré l'apport des travaux des neurosciences[7],[8] sur les questions éducatives. Elle insiste sur l'importance de la bienveillance[9] et d'empathie[10] dans la relation éducative pour le développement équilibré de l'enfant[1].
Source : Parentalité positive (Wikipédia)
Béatrice Kammerer et Héloïse Lhérété s'interrogent toutefois sur L'éducation positive face à ses limites [Livre], 2024 :
L'éducation positive, parangon de la parentalité au XXIe siècle, suscite nombre de discours et débats, entre plébiscite et critique. Les contributeurs questionnent les moyens d'appliquer réellement ce modèle au quotidien et reprennent les principaux reproches liés à l'épuisement parental, la charge mentale des mères et la normativité. ©Electre 2024
Il faut noter que bien qu’en 2019 le Sénat ait adopté une loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, 85% des enfants subiraient toujours cette violence et 1 enfant sur 2 serait frappé avant l’âge de 2 ans. L’UNICEF, dans un rapport de 2014 intitulé « Cachée sous nos yeux », rappelle que la majorité des enfants, sur toute la planète, dès leur première année de vie, subissent des humiliations verbales et physiques.
Pour aller plus loin, nous vous indiquons une bibliographie sélective, issue de nos collections :
Les vrais besoins des jeunes enfants (et de leurs parents) [Livre] : guide pro de la parentalité positive / Emmanuelle Rigeade ; préface d'Héloïse Junier, 2023
Vivre heureux avec son enfant [Livre] : un nouveau regard sur l'éducation au quotidien grâce aux neurosciences affectives / Catherine Gueguen, 2015
La parentalité positive - Isabelle Filliozat [En ligne]
Et si la punition n'était pas la solution ? [Livre] / Isabelle Filliozat, 2025
Éduquer [Livre] : tout ce qu'il faut savoir / Isabelle Filliozat, 2024
L'essentiel d'Alice Miller [Livre] / Alice Miller ; préface de Martin Miller, 2011
Éduquer sans violence [Livre] : les Violences Éducatives Ordinaires expliquées aux parents / Marine Manard, 2024
L'autorité en douceur [Livre] : comment aider son enfant à accepter les règles ? / Madeleine Deny, 2015
L'autorité, pourquoi, comment [Livre] : de la petite enfance à l'adolescence / Anne Bacus, 2014
Bien à vous
Oh les belles collections !