Peut-on relier la culture gothique actuelle au roman gothique du 18ème siècle ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je cherche à me documenter sur la littérature gothique et je me demandais comment la lier à la culture gothique actuelle. En effet, la plupart des personnes goth se réclament de la musique gothique, et que ce genre musical serait un pré-requis pour se définir goth. Pour ma part, je pense qu'on peut être amené à cette contre culture via la littérature mais je ne trouve pas de sources pour appuyer et étayer mon propos. Auriez-vous des ressources qui pourraient me servir ?
Réponse du Guichet
Le mouvement gothique et la littérature gothique sont intimement liés. La culture gothique est imprégnée des récits macabres qui trouvent leurs racines dans les romans du XVIIIe siècle en Angleterre.
Bonjour,
Vous voulez savoir si une personne peut être amenée à la contre-culture gothique par l'intermédiaire de la littérature. Voyons tout d'abord ce que désigne le mouvement gothique pour le Dictionnaire culturel en langue française :
D 2 〈 angl. gothic, à la suite de la mode néo-médiévale appelée gothic revival (1869) 〉 Se dit d'un mouvement à tendance macabre, parfois satanique, utilisant des thèmes en partie renouvelés du roman gothique (ci-dessus) et relevant du fantastique évocateur de sorcellerie, mis en œuvre par certains récits et films anglo-saxons.
Dans son article écrit par Gilles Menegaldo, GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA, l'Encyclopédie Universalis précise que le terme « gothique » connaît de multiples acceptions.
Outre le style bien connu et la référence au monde barbare, il permet de caractériser un ensemble d’œuvres romanesques publiées en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle (1764-1820) qui ont connu une grande popularité, en particulier auprès du public féminin. Ce courant littéraire baptisé « roman noir », « roman terrifiant » ou « roman gothique » naît durant la période néoclassique et se développe à l’époque romantique, dans le contexte de la Révolution française. Il est aussi tributaire de la graveyard poetry (l’amour des ruines et des cimetières), de l’héritage shakespearien (le contexte médiéval et la violence des passions) et de la tradition allemande des Märchen et autres récits de fantômes. Certains auteurs comme Horace Walpole, William Beckford, Ann Radcliffe, M. G. Lewis ou Charles Robert Maturin sont passés à la postérité. D’autres, les plus nombreux, sont oubliés mais ont pu faire l’objet d’une redécouverte critique.
Le courant gothique se prolonge bien au-delà de cette période pour se décliner en avatars multiples, d’abord littéraires et scéniques puis cinématographiques. Au cours des XXe et XXIe siècles, il irrigue la culture populaire en Europe, aux États-Unis, mais aussi en Asie (les lolitas gothiques au Japon), et investit la bande dessinée, la musique et la mode (goth culture).
D'emblée le lien est évident entre culture gothique et littérature gothique.
L'article de Pereira, J.-E. (2007), Le milieu gothique : une culture de notre temps, Esprit, Juin(6), 99-111 publié sur Cairn, cite des auteurs et autrices du roman gothique ainsi que ceux qui ont pu être inspirants pour cette littérature :
Très tôt également, ceux qui allaient se trouver désignés par l’épithète « gothique » ont associé à leurs dispositions musicales une attirance pour les littératures sombres, inquiétantes ou fantastiques faisant écho aux textes et aux ambiances de leurs groupes favoris. Avec son cortège de personnages tourmentés et de paysages désolés, le roman gothique anglais, d’où émergent les figures de Horace Walpole (1717-1797), William Beckford (1760-1844), Ann Radcliffe (1764-1823), Matthew Gregory Lewis (1775-1818) et Charles Robert Maturin (1782-1824), devait nécessairement meubler leurs bibliothèques. Tout comme les œuvres de Mary Shelley (Frankenstein, 1818), Sheridan Le Fanu (Carmilla, 1872) et Bram Stoker (Dracula, 1897), qui ont abondamment nourri le cinéma fantastique et l’imaginaire gothique.
Chez les romantiques, Victor Hugo et Gérard de Nerval en tête, les goths ont trouvé un support idéal à leur amour du rêve et des temps immémoriaux, leur fascination pour la mort et la nuit, la mélancolie et le mystère, leur aversion pour l’ordre établi et la corruption des temps présents. Sur ces derniers points, l’esprit décadent des textes d’Oscar Wilde et de Charles Baudelaire, leur raffinement et leur lucidité désabusée, constituent des modèles fréquemment cités. Parmi les références essentielles du milieu s’ajoutent encore, pour les XVIIIe et XIXe siècles, les œuvres irrévérencieuses de Sade et de Lautréamont ainsi que les écrits noirs et fantastiques d’Edgar Allan Poe.
Pour le XXe siècle, la préférence des gothiques va en général au fantastique et singulièrement aux œuvres de Howard Phillips Lovecraft, Clive Barker, Terry Pratchett ou Neil Gaiman. Deux Américaines peuvent également se targuer d’un large engouement de leur part. Auteur du roman Entretien avec un vampire (1976), Anne Rice a ranimé l’archétype du vampire dandy en le colorant d’une élégance victorienne et d’une charge sensuelle redoublées. Créatrice de récits profondément macabres et hautement érotisés, Poppy Z. Brite a l’éminente particularité d’être elle-même issue du milieu gothique.
Dans Gothic : racines et richesses d'une contre-culture, les auteurs Chris Roberts, Hywel Livingstone et Emma Baxter-Wright écrivent :
Depuis ses origines ― les Goths, antique peuplade germanique s'opposant à l'hégémonie de l'empire romain ― jusqu'à un certain style tribal mettant à l'honneur un penchant esthétique pour le noir et un mouvement littéraire qui, de nos jours encore, évoque des visions de chauve-souris s'ébattant au clair de lune, de femmes à l'esprit dérangé titubant au milieu de ruines antiques hérissées de gargouilles dans leur fuite éperdue loin de sinistres silhouettes drapées de lingues caps noires embusquées derrière des stèles funéraires, la mouvance gothique représente la "Danse Macabre". [...] le gothique, d'une grande richesse, englobe des multivers. Depuis Hieronymus van Aken (plus connu sous le nom de Jérôme Bosch) jusqu'aux frères Chapman, des Chambres du Parlement de Londres jusqu'à la cathédrale Lincoln, de Howards Phillips Lovecraft jusqu'à Edgar Allan Poe, de Nosferatu jusqu'à The Wicker Man (ou Le Dieu d'Osier, 1973), du dandy flamboyant jusqu'aux résidents de la Batcave, de Theda Bara jusqu'à Alexander MacQueen, de la Joy Division post-punk jusqu'à Marilyn Manson, le gothique fourmille d'histoires à vous chuchoter à l'oreille. Peut-être bien avec ce que Stephen King, rendant un magnifique éloge à Lovecraft, appelait " la voix qui chuchote au creux de votre oreiller ".
Cet ouvrage consacre un de ses chapitres à cette littérature. Si vous le souhaitez, vous pourrez venir l'emprunter à la BML puisqu'il est présent dans nos collections.
A lire aussi, Roman gothique, Wikipédia ; Le roman gothique, Bibliothèque UPEC (Université Paris-Est Créteil)
Vous retrouverez également sur différents sites, des bibliographies regroupant des titres de romans gothiques :
Littérature gothique, Babelio ; A lire : littérature gothique, Sens critique ; Roman gothique, BookNode ; Les 10 meilleurs romans gothiques (garantis sans clichés) à lire pour Halloween, Les Inrockuptibles
Et pour compléter vos connaissances sur le roman et la culture gothique vous pourriez lire les articles et ouvrages suivants :
Le gothique entre esthétique et littérature / Joëlle Prungnaud, cielam universités amu (Centre Interdisciplinaire d'Étude des Littératures d'Aix-Marseille)
Documentaires sur le roman gothique anglais
Les romans gothiques anglais (1764-1831) : collections de la Bibliothèque nationale de France / Adeline Sarrut, Élizabeth Durot-Boucé, 2021
La fin du siècle des Lumières voit l'apparition en Angleterre d'un nouveau genre littéraire promis à un grand succès : le roman gothique. Le texte fondateur, publié en 1764, a pour titre The Castle of Otranto, a gothic story ; il est l'œuvre d'Horace Walpole, fils du célèbre homme d'État britannique Robert Walpole. Ce roman est à l'origine d'une abondante production littéraire et d'un véritable engouement qui va traverser la Manche, comme en témoignent les nombreuses traductions et imitations qui vont voir le jour en Europe, et notamment en France. Le roman gothique place l'imaginaire au pouvoir et promeut une nouvelle esthétique à l'opposé de l'esthétique classique. C'est désormais le triomphe de l'émotion sur la raison, de l'obscurité sur la lumière, de l'inconscient sur le conscient. C'est enfin et surtout l'irruption du surnaturel et l'importance donnée au cadre médiéval dans lequel il surgit : châteaux, monastères, chapelles en ruines, cryptes et souterrains ténébreux propices aux apparitions spectrales et macabres suscitant la terreur et l'horreur chez le lecteur. Ces édifices gothiques sont le théâtre de crimes et de violences exercées contre des innocents, séquestrés et persécutés, victimes des tyrannies féodale et religieuse. La vague gothique va déferler sur l'Europe pendant une soixantaine d'années, et rencontrer un succès grandissant auprès d'un public friand de sensations fortes. Parmi les auteurs les plus célèbres, il convient de citer, outre Horace Walpole, Ann Radcliffe, Matthew Gregory Lewis et Charles Robert Maturin. D'autres auteurs connurent une renommée égale en leur temps mais leurs œuvres ont sombré dans l'oubli. Si le genre gothique a disparu en tant que genre romanesque, il va donner cependant naissance au roman noir et au genre fantastique et se perpétuer jusqu'à nos jours en investissant de nouveaux modes d'expression tels que le cinéma et la bande dessinée. Comme le remarque à juste titre Maurice Lévy, qui en était le grand spécialiste, le roman gothique fournit un "formidable réservoir d'images" qui va contribuer à enrichir l'imaginaire collectif occidental.
Le lierre et la chauve-souris : réveils gothiques, émergence du roman noir anglais, 1764-1824 / Elizabeth Durot-Boucé ; préf. Maurice Lévy, 2004
Cet essai sur les origines du roman «gothique» anglais tente de cerner les phénomènes divers qui ont présidé à l'émergence de ce genre littéraire vers la fin du XVIIIe siècle en Angleterre. En examinant ses sources et en le remettant en situation, cet ouvrage entend redonner au gothique sa juste place dans l'histoire des idées, du goût et des lettres. L'étonnante vague de terreur qui déferle sur le roman anglais dans la seconde moitié du dix-huitième siècle ne se comprend que dans le contexte culturel, esthétique, philosophique, voire politique de l'époque, qui a permis la réhabilitation d'un style architectural longtemps méprisé. Ces références architecturales ont influencé les romanciers gothiques au même titre que la redécouverte de monuments du passé littéraire tels que Shakespeare, ou la lecture des poètes des premières décennies du XVIIIe siècle, aux vers empreints d'une profonde mélancolie engendrée par la méditation nocturne sur les tombes ou devant les ruines d'édifices jadis prestigieux. La mélancolie est bien la caractéristique d'une époque troublée où violence et sensibilité se côtoient. Le malaise ambiant va se révéler propice à la naissance puis au développement du fantastique. Plaisir étrange, plaisir de l'étrange, né des délices suspectes qu'engendrent la terreur et l'horreur. © 4e de couverture
Le roman noir anglais dit "gothique" / [dir.] Max Duperray, 2000
Max Duperrag, avec le concours de quelques spécialistes de la question, fait le point sur les origines anglaises de la littérature "gothique" qui honte encore notre époque. Il propose un parcours ; les origines de ce genre romanesque flattant le goût de la terreur et de l'illuminisme ou siècle des lumières, les oeuvres maîtresses qui, dans la pléthore des romans populaires, triomphèrent du passage du temps, les méthodes critiques qui occasionnèrent les lectures types d'un corpus flirtant avec l'énigme et le mystère.Cet ouvrage servira d'introduction à une réflexion plus approfondie sur le genre gothique en fournissant au lecteur les bases nécessaires, les extraits illustratifs des grands romans, la bibliographie de "l'honnête homme" en français et en anglais, ainsi que les pistes à parcourir pour aller plus loin si le désir que réveillent ces excursions nocturnes n'est pas encore assaini.
Articles et documentaires sur la culture gothique
Liénard, M. (2008). Le gothique américain. Études, Tome 408(6), 789-798
Dans le contexte américain, « le gothique » représente bien plus qu’une sous-culture. Il recouvre tout un imaginaire esthétique et culturel d’une grande puissance. A travers de nombreux exemples empruntés à la littérature et au cinéma, l’auteur montre comment il articule les terreurs individuelles et collectives en permettant une sorte de catharsis.
Burger-Roussennac, A. (2005). Goths et gothique aujourd'hui. Histoire d'une culture de jeunes à la mode. Sociétés & Représentations, 20(2), 185-197
25 ans après leur apparition sur la scène musicale anglaise et américaine, les gothiques et leur culture buissonnante où cohabitent toutes sortes de références religieuses et culturelles, longtemps confinés dans les marges et la marginalité de l’univers des jeunes, s’imposent dans la durée comme un style majeur et international dont les terres de mission et de prédilection sont les anciens pays communistes d’Europe de l’Est.
Goths et gothiques fascinent et inspirent de nombreux créateurs contemporains du cinéma, de la mode et du design (Tim Burton, Philippe Starck, Jean-Paul Gaultier...). Comme le jeune Belge Olivier Theyskens, ils utilisent cette esthétique subversive et très plastique pour convaincre et séduire leurs pairs, et s’imposer sur le marché. Chantre à sa débuts du noir et de looks de gouvernantes victoriennes, soutenu par la directrice du Vogue américain, Anna Wintour, désormais à la tête de la maison Rochas, Theyskens habille aujourd’hui toute la haute société new-yorkaise.
Goth : histoire d'une subculture / Thierry Boucanier, 2020
Les racines, l'histoire et les ramifications multiples du mouvement gothique, souvent mal compris ou apprécié. L'auteur détaille les sources artistiques, littéraires, cinématographiques ou encore musicales de cette culture, ainsi que les personnalités (Alaric 1er, V. Westwood, Lord Byron, C. Lee...) qui ont contribué à la construction de ce mouvement. © Electre
Gothic : racines et richesses d'une contre-culture / Chris Roberts, Hywel Livingstone, Emma Baxter-Wright ; traduit par Michèle Zachayus, 2015
Caricaturée, dénigrée ou simplement ignorée, la mouvance gothique est pourtant partout. Sur les grands écrans d'Hollywood comme aux murs de galeries d'art underground. Sur les podiums des plus prestigieux défilés de mode comme en couverture de magazines spécialisés. C'est cette véritable contre-culture, ses racines, ses évolutions et ses transformations, jusque dans ses manifestations les plus récentes, que cet ouvrage illustré inédit vous propose de découvrir pour la première fois.
Ses écrivains fondateurs, de William Blake à Anne Rite, de Oscar Wilde à Howard Phillips Lovecralt, de Edgard Allan Poe à Neil Gaiman.
Ses artistes et ses oeuvres de références, de Jérôme Bosch à H.R. Giger, des gargouilles de Notre-Dame aux collages de Dave MacKean, sans oublier les symbolistes du XIXe siècle ou les enfants terribles de l'art contemporain.
Ses films et séries mythiques, de Nosferatu le vampire à American Horror story, des classiques de l'horreur aux poèmes macabres de Tim Burton...
Son style et son esthétique, des dandys flamboyants aux punks du no future, de Morticia Addams aux héroïnes de manga, jusqu'aux créations d'Alexander Mc Queen ou de Vivienne Westwood.
Ses musiciens et ses groupes maudits, d'Alice Cooper à Marilyn Manson, de Black Sabbath à The Cure, en passant par tous les adorateurs d'un rock nihiliste et transgréssif.
Un guide complet et essentiel pour comprendre la profonde originalité et la grande subversivité d'un mouvement île résistance au monde moderne.
Batcave memories : 25 ans de soirées et de rencontres dans le milieu gothique parisien / Thierry F Le Boucanier, 2001
Depuis les années quatre-vingt jusqu'à nos jours, le mouvement gothique n'a cessé d'évoluer et de se renouveler. De ses origines, le post-punk et le batcave, à ses formes actuelles, ce récit en explore les différentes facettes à travers vingt-cinq ans d'organisation de soirées Boucanier et de rencontres avec des groupes emblématiques, parmi lesquels Christian Death, Virgin Prunes, The Lords of the New Church, The Mission ou Alien Sex Fiend, tout en répondant à certaines idées reçues sur ce mouvement sombre et underground souvent mal perçu. Ce livre est le témoignage d'une passion pour un monde obscur, complexe et d'une rare richesse.
La musique
Carnets noirs. Acte I : musiques, attitudes, cultures gothiques, électroniques & industrielles / Mario Glenadel, Stéphane Leguay, Olivier Steing [et al.] : la scène internationale, 2003
Carnets noirs. Acte II : musiques, attitudes, cultures gothiques, électroniques & industrielles : La scène francophone / Ambre, Cyril Adam, Olivier Badin...[et al.] ; iconographie Stéphane Burlot ; illustrations Nicolas Dhorne, 2006
La mode
Modes du XXe siècle. Les gothiques / illustrations, Jean-Philippe Laroche ; textes, Nadège Gachet, 2012
La mode gothique : un aperçu de l'enfer / photographie Marc Torrent ; texte Christian Campos ; traduction Cillero & de Motta, 2011
Le cinéma
Le cinéma gothique : un genre mutant / Valérie Palacios, 2009
Bonne journée
Run