Question d'origine :
Bonjour.
Où peut-on trouver (en français) des précisions sur les intentions de Dürer quand il a peint ses autoportaits du Prado et de Munich ?
Merci d'avance.
Réponse du Guichet

Albrecht Dürer, peintre allemand né en 1471 à Nuremberg et mort en 1528 dans cette même ville. "Dans la période de la Réforme, Dürer réalise « la synthèse, pratiquement unique dans l’histoire de l’art, des principes de la Renaissance et d’un langage plastique très élaboré, croisement complexe d’influences rhénanes et néerlandaises (…). Le premier témoignage artistique que nous conservons de lui est un Autoportrait à la pointe d’argent (1484), conservé à l’Albertina, apporte d’ailleurs l’éclatante démonstration de sa précocité dans ces techniques (…). Son premier autoportrait peint - 1493, Musée du Louvre- est un chef d’œuvre d’introspection aiguë, analyse lucide et sans passion de son propre génie : « mon destin progressera selon l’ordre suprême » inscrit-il au-dessus de sa tête (…).
Cinq ans après l’Autoportrait du Louvre, il reprend l’étude de sa propre figure (Autoportrait, 1498, Musée du Prado) et l’on mesure, dans le port altier, un brin orgueilleux, dans l’élégance guindée du vêtement et dans la composition savante de l’attitude et du décor, tout le chemin parcouru par celui qui, à vingt-sept ans, commence d’être reconnu comme le plus grand créateur de sa génération.
De deux ans postérieur, l’Autoportrait de Munich (1500, Alte Pinakothek) est bien plus troublant et son mystère ne sera jamais élucidé. Dürer s’y représente frontalement comme une sorte de Christ surgi des ténèbres dans un dépouillement monumental, avec les longues tresses dorées qui provoquaient les sarcasmes des Vénitiens, tombant symétriquement sur les épaules. Identification du génie de l’artiste au créateur divin, profession de foi dans le classicisme de la Renaissance, monument à sa propre gloire ? Le mystère reste entier».
Source : Dictionnaire de la peinture sous la direction de Michel Laclotte
L’Autoportrait aux gants (1498) conservé au Musée du Prado a été donné par la ville de Nuremberg au roi Charles 1° d’Angleterre (1636) puis est entré dans les collections du Prado 50 ans plus tard.
Une inscription de la main de l’artiste accompagne la date et la signature « Je l’ai peint à ma ressemblance ; j’avais 26 ans ».
Selon Stefano Zuffi nous sommes en présence du premier autoportrait « autonome » de l’histoire de l’art. Il présente le commentaire suivant de l’œuvre (extrait de « la vie et l’oeuvre de Dürer » de Fedja Anzelewski : « Le tableau de Madrid, l’autoportrait le plus évocateur du point de vue artistique, achevé en même temps que l’Apocalypse, ne porte aucune trace de ses angoisses religieuses. Au contraire, le peintre se montre dans sa suffisance, comme s’il voulait également extérioriser la preuve de ses talents artistiques. L’élégance à la mode avec laquelle se présente Dürer sur l’Autoportrait de Madrid, considérée par beaucoup d’observateurs comme outrancière, est l’expression d’une tendance, rencontrée souvent chez les artistes, à égaler l’élite sociale. De ce point de vue, on ne s’étonnera pas trop que cet homme de 26 ans se soit efforcé de conformer son apparence à l’attitude de ses amis, ce à quoi son penchant personnel à soigner son habillement le portait irrésistiblement.
Erwin Panofsky analyse ainsi ce même portrait : « Dürer concilie ce type flamand de composition avec les exigences de la monumentalité italienne. La pose de Dürer est plus naturelle que dans aucun de ses précédents portraits ; il a les mains croisées et son bras se déploie avec élégance. Mais ce personnage presque nonchalant garde le spectateur à distance. Sa silhouette mince et hautaine est mise en valeur par une architecture traitée de face (…), de lourdes moulures confèrent encore plus de dignité à la tête altière de l’artiste.
Cette mise en scène recherchée concourt au même but que la disposition méticuleuse de la chevelure, que le costume superbe et coûteux, que les gants aristocratiques de fin cuir gris.
A la différence du « Portrait de fiançailles » du Louvre, ce portrait du Prado n’a été peint en vue d’aucune utilisation ultérieure, il est peut être ainsi le premier autoportrait indépendant jamais créé. En un sens il constitue un défi au monde de l’époque, revendiquant pour l’artiste le statut d’homo liberalis atque humanus ou, pour employer le propre mot de Dürer, de gentilhuomo. Il y a sans conteste, dans l’attitude de Dürer, un élément de vanité et d’orgueil mais il y a aussi un élément de gravité qui transcende les préoccupations personnelles : c’est le problème de l’artiste « moderne » en général ; il prédomine sur tout le reste, de même que la puissance hypnotique de ce regard sans concession fait oublier ce qu’il peut y avoir d’ostentatoire dans la couleur et la structure du tableau ».
Toujours selon Stefano Zuffi, l’Autoportrait au col de fourrure (1500, Alte Pinakothek de Munich) constitue une « réflexion sur son propre aspect physique et sur le rôle de l’artiste dans la société à un moment où Dürer a pleinement conscience de comparaître non pas devant un environnement culturel contingent mais devant l’Histoire même. C’est pourquoi, au lieu d’un commentaire en allemand comme sur les autoportraits précédents, Dürer choisit d’apposer un commentaire en latin et d’ajouter à son patronyme l’adjectif Noricus (de Nuremberg) : « je me suis représenté moi-même, avec mes couleurs propres à l’âge de 28 ans ».
Stefano Zuffi cite Maurizio Calvesi (La Melancolia di Albrecht Dürer) pour commenter cette œuvre : « Dürer devait s’intéresser aussi aux implications religieuses de l’alchimie. Etant donné son inclination envers Luther, il s’agit de voir comment et jusqu’à quel point la vision des alchimistes peut se concilier avec la pensée essentiellement protestante de l’artiste et avec son adhésion de principe à la Réforme (…).
L’auteur poursuit en indiquant que « la signification religieuse du génie ne suffit pas pour motiver chez Dürer cette identification mystique il est nécessaire de se reporter à une conception où l’art lui-même serait alchimie, c'est-à-dire un processus imitant la Genèse et les développements de la nature, élevant la matière au niveau de la forme, provoquant cette médiation entre matière et forme ou entre qualité et quantité, qui est l’œuvre même de Dieu ».
Panofsky analyse quant à lui ainsi le Portrait de Munich : « L’Autoportrait de 1500 est le seul où l’artiste se représente selon une frontalité et une verticalité rigoureuses. On ne retrouve cet effet de hiératisme que dans les représentations du Christ en buste (…). Il est indéniable que Dürer a délibérément recherché une stylisation de ses traits à l’image de ceux traditionnellement attribués au Christ. Comment un artiste aussi pieux et humble que Dürer a-t-il pu se permettre cette personnification ? Il faut rappeler que du temps de Dürer la doctrine de l’ »Imitation de Jésus Christ » s’interprétait plus littéralement que de nos jours et pouvait donc aussi se représenter. Aux yeux de Dürer la conception moderne de l’art relevant du génie revêt une signification profondément religieuse qui implique une identification mystique de l’artiste à son Dieu. Selon son mode de pensée, la puissance créatrice d’un bon peintre procède et, dans une certaine mesure, participe de la puissance créatrice de Dieu ».
Sources : Dürer de Stefano Zuffi
La vie & l’art d’Albrecht Dürer d’ Erwin Panofsky
Nous vous conseillons par ailleurs de vous reporter aux ouvrages suivants :
Durer : vie et œuvre de Fedja Anzelewsky
Eloge de l'individude Tzvetan Todorov
Dürer de Peter Strieder
Autoportrait du Prado

Autoportrait de Munich

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