Question d'origine :
Bonjour,
Suivant la tradition chrétienne, le jour du Jugement Dernier, les âmes seront séparées entre celles qui iront au Paradis et celles qui iront en Enfer.
Que deviendront les grands philosophes de l’antiquité qui, bien que non chrétiens, ont influencé le discours de l’Eglise ? Je pense à Aristote, à Platon… Peut-on envisager d’envoyer Archimède et Euclide en Enfer ?
Je crois savoir que de grands penseurs ont déjà réfléchi à cette question. Pouvez-vous m’en faire une synthèse ?
Merci et bonne réception.
Au fait : je suis athée...
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 27/04/2006 à 09h24
N’ayant que peu d’informations sur le contexte de votre question, si ce n’est la précision que vous êtes athée, nous vous proposons plusieurs pistes de réflexion et d’approfondissement :
« Le jugement dernier est du domaine de l’eschatologie, croyance relative à la fin des temps, la date de celle-ci n’étant pas précisée. La notion de jugement divin , présente dans de nombreuses religions, a pris une tournure particulière et progressive dans le judaïsme , puis s’est prolongée dans le christianisme et l’islam. Elle n’est pas liée au dieu supérieur d’un panthéon plus ou moins riche , mais au Dieu unique d’Israël, le seigneur et juge par excellence de tout ce qui vit et compose l’univers. Le premier à en amorcer l’énoncé est Amos ( début VIII° siècle avant JC), le prophète de la Bible, sous la frome du « jour de Yavhé » [5,18-20], qui « sera ténèbres et non lumières » pour les vivants impies. L’avertissement relayé au cours des deux siècles suivants par les prophètes Isaïe, Sophonie, Ezéchiel ou encore Abdias et Malachie (vers 520) trouve son point d’orgue dans le livre de Joël(V°-IV° siècles). Il s’intensifie dans celui de Daniel (en 164), ouvrage ou perce les prémices de l’apocalypse, et qui, en même temps qu’apparaît dans le judaïsme la notion de résurrection , étend le jugement dernier non plus seulement aux vivants, mais à tous les défunts. Dans le judaïsme , la Michnah, tradition orale de la Torah (Loi juive de la Bible), précise aujourd’hui que ce jugement intervient quatre fois par an, surtout à Rosh ha-Shanah (nouvel an) et au Yom Kippour(grand Pardon).
Le Nouveau Testament, au travers de Jésus et de son précurseur Jean le Baptiste, précise les termes du jugement dernier : à la fin des temps, Jésus le Messie[sauveur] reviendra [parousie]. Selon les évangiles synoptiques [ceux de Matthieu, Marc et Luc], il a annoncé que Dieu surprendra bientôt les hommes, récompensera les bons en leur accordant l’éternité à ses côtés , dans son royaume, et punira les méchants qui seront voués aux flammes perpétuelles. Jésus, le fils de l’homme, siègera alors près de lui, auréolé de sa gloire. Le christianisme est encore imprégné de jour fulgurant.
En Islam, le Jugement dernier est une constante du Coran , où il est évoqué quelque cent fois. D’emblée, dès la sourate 1 [chapitre], al-Fatiha [1,4], Dieu en est dit le roi. Le musulman par définition soumis à Allah [mais non son esclave], doit craindre la sentence dans l’attente de la résurrection : « Le jour où Dieu vous appellera , vous lui répondrez en louant et vous penserez n’être restés que peu de temps dans vos tombes » , stipule le Voyage nocturne[17,52]. Dans la Duperie réciproque [64,9-10], on lit : « Le jouir où il vous rassemblera[le hashr] pour le jour le de la Réunion, sera le jour de la duperie réciproque. » Dieu récompensera les croyants sincères et leurs « œuvres bonnes » [les hasanat] en leur « offrant les jardins où coulent les ruisseaux » [paradis], pour y connaître la félicité éternelle. Les autres, incrédules et hypocrites qui n’ont pas cru à ses signes, seront les « hôtes du feu », dans la géhenne [enfer] éternelle. « Ils y demeureront immortels : quelle détestable fin ! ». Celle qui est inéluctable, c'est-à-dire l’heure [as-saah) du jugement , fait penser à l’avertissement de Jésus, qui répartira les bons à sa droite et les autres à sa gauche[Mt25,33]. A droite, les compagnons élus trouveront le jardin des délices et la compagnie des belles houris [femme merveilleuses]. A gauche, les autres, les « négateurs égarés » , « seront exposés à une souffle brûlant » , à un séjour dans une eau bouillante. « Ceci est la Vérité absolue », conclut cette superbe 56) sourate. »
Le Dictionnaire de Dieu , Pierre Chavot
Nous vous conseillons la lecture d’un fort bel ouvrage intitulé Le jugement dernier , qui parcourt les représentations qui en ont été faites à travers les cultures te les époques.
Le dogme catholique distingue le jugement général et le jugement particulier. Pour approfondir ces notions nous vous renvoyons au Dictionnaire de théologie catholique, en consultation dans la salle du département civilisation. Vous y trouverez l’évolution de la doctrine sur ces deux concepts.
Le dogme catholique affirme que « tous les hommes comparaîtront avec leur corps « devant le tribunal du Christ » pour rendre compte de leurs actes personnels, « afin que chacun reçoive le salaire de ce qu’il aura fait pendant qu’il était dans son corps, soit en bien soit en mal » (2 Co 5,10) »( Benoît XII)
Le dictionnaire cité précédemment précise : « Il est admis que, dans l’évangile, l’expression omnes gentes, Matth, XXV ;32, n’ a plus ce sens national, mais signifie l’universalité des hommes classés d’après leurs mérites . » Le jugement dernier est donc un jugement universel.
Nous vous renvoyons à plusieurs articles approfondis de l’Encyclopédie Universalis qui nous paraissent faire le tour de la question mais qui ne peuvent être synthétisés sans risquer l’approximation.
- Dans l’article Patristique, patristique et philosophie, l’idée de philosophie chrétienne.
Extrait
«De la philosophie grecque le christianisme a reçu tout d'abord l'idée même de théologie et le plan type d'une théologie systématique, celle-ci comprenant, selon une tradition qui s'esquisse déjà dans Les Lois de Platon, les points suivants : sources de la révélation, parties de la théologie, méthodes propres aux différentes parties, principes fondamentaux du raisonnement théologique, étude des différents degrés de la réalité divine. Le traité d'Origène Sur les Principes va être le premier effort chrétien pour réaliser une théologie systématique de ce genre ; avec la théologie savante, ce sont également les instruments de raisonnement propres à la philosophie qu'on adopte. La logique aristotélicienne (usage des catégories et du syllogisme) joue un rôle capital dans les controverses du IVe au VIIe siècle. Cependant ce ne sont pas seulement les formes, la méthodologie, les instruments de la théologie grecque païenne qui acquièrent droit de cité, c'est aussi son contenu même qui s'insinue dans le christianisme. Le Dieu chrétien, le Père de Jésus-Christ, revêtit bien des traits du premier Dieu platonicien : cela est particulièrement sensible chez Origène, mais aussi chez Augustin. Le Fils de Dieu fut conçu sur le modèle du second Dieu de Numénius, ou de l'Intellect plotinien. La hiérarchie platonicienne des êtres servit à situer l'homme dans l'univers. L'âme humaine apparut comme un être intermédiaire entre le monde intelligible et le monde sensible. Même la conception du salut prit une forme analogue à celle qu'elle avait revêtue dans le platonisme. À l'idée évangélique de l'irruption du règne de Dieu se substitua l'idéal philosophique d'une union à Dieu, d'une déification, atteinte par une ascèse et une contemplation conçues elles aussi selon la meilleure tradition platonicienne. Le mysticisme plotinien se retrouve chez Grégoire de Nysse, Ambroise et Augustin. Il est vrai que l'intermédiaire indispensable dans la voie de la déification est le Christ, mais là encore il s'agit du Fils de Dieu, Sagesse ou Intelligence incarnée. » …
- L’article, Antiquité et christianisme
Extrait :
« Longtemps, on a voulu établir un simple rapport de dépendance à sens unique entre certaines formes religieuses grecques ou romaines et le christianisme naissant, représenté tout particulièrement par saint Paul ; telle fut la tendance d'historiens du début du siècle, comme Reitzenstein, Bousset, Angus, Loisy. Mais déjà Clemen, en 1913, élevait des doutes sur la validité de cette appréciation, doutes plus récemment repris et amplifiés par Rahner et Wifstrand. »…
- L’article Pères de l’église et antiquité grecque
Extrait :
« l'avènement du Christ est regardé comme l'aboutissement de deux courants parallèles, de deux « préparations évangéliques » aussi légitimes l'une que l'autre, à savoir la Loi juive et la philosophie grecque. Clément ne craint pas de concevoir même un prophétisme grec, symétrique de l'autre : « De même que, voulant sauver les Juifs, Dieu leur donna les prophètes, de même il suscita chez les Grecs les personnalités les plus éminentes pour être dans leur langue leurs prophètes propres, dans la mesure de leur capacité à recevoir le don de Dieu, et il les distingua du commun des hommes » (Stromates, VI, 5, 42, 3). » »….
Vous pouvez consulter l’encyclopédie Universalis en ligne à la bibliothèque.
« La vie éternelle , c’est qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus-Christ ». Telles sont les paroles de Jésus rapportées par Saint Jean (Jn,3).
Et ceux qui ne connaissent pas Dieu ? Et ceux qui refusent l’Eglise, Dieu, les chrétiens et la foi ?
Quelle est la pensée chrétienne à leu sujet ? Considére-t-elle qu’ils sont et seront maudits, les voue-t-elle au malheur ? La réponse est nuancée.
D’abord le chrétien n’a pas à se mettre à la place de Dieu : c’est à celui-ci seul qu’il appartient de déterminer qui doit être sauvé. Selon le premier livre de la Bible(la genèse) le péché est même de vouloir savoir ce qu’est le bien et le mal en prétendant vouloir se mettre à la place du Dieu. « Tu ne jugeras pas » reprend en écho le Nouveau Testament.
En outre Jésus lui-même invite à dépasser les critères d’appartenance à l’Eglise ou de reconnaissance de sa personne. ; il le fait dans un récit faisant ressortir que le salut et la véritable connaissance de Dieu se situent dans l’engagement effectif au service des pauvres et des opprimés (Mt 25,31-45).
Cela dit, il est claire aussi dans l’Evangile que , seul, le lien avec le christ(lien qui se manifeste normalement par l’entrée dans la communauté chrétienne) peut faire accéder au bonheur de Dieu .
Comment ce lien avec le Christ peut-il exister pour ceux qui ne le connaissent pas ? La doctrine chrétienne ne le précise pas . Mais selon une tradition constante dans le catholicisme (voir la descente de Jésus aux enfers), ceux qui aiment leurs frères humains en tout désintéressement, en toute vérité, à plus forte raison ceux qui donnent leur vie pour leur prochain, sont liés au Christ et sauvés par lui ; leur amour est déjà le signe qu’ils sont portés par l’amour sauveur et gratuit de Dieu.
Selon la première Epître de Saint Jean, « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne risque pas de trébucher. Mais celui qui a de la haine pour son frère marche dans les ténèbres et ne sait pas où il va parce qu’elles l’ont rendu aveugle. » (1 Jn,2, 10-11)
Si les chrétiens peuvent ainsi mettre leur espérance dans le salut d’hommes qui ne connaissent pas Dieu d’âge en âge, ils se sont en même temps souvenus des paroles du Christ : « Allez , faites de toutes les nations des disciples » (Mt, 28,19). Ils ont voulu entrer dans le dynamisme même de Dieu en révélant aux hommes et aux femmes de leur époque Jésus comme la source de tout amour et comme l’homme parfait en qui chacun peut s’accomplir et se tourner vers Dieu. Cette conscience de l’exigence d’avoir à porter à tous la parole du Christ se traduit dans le cri de Saint Paul : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile » (1 Cor, 9,16)
Théo, Nouvelle encyclopédie catholique, p 708.
Une bibliographie vous sera proposée en complément de cette réponse d’ici quelques jours.
Réponse du Guichet
bml_anc
- Département : Fonds Ancien
Le 27/04/2006 à 15h46
Il existe de nombreuses références concernant le salut des non-croyants. Ce problème théologique est débattu depuis les premiers temps du Christianisme et a fait l’objet de réponses diverses des docteurs de l’Eglise (St Augustin, St Jean Chrysostome, St Thomas d’Aquin) :
Cette question fait l’objet d’un long développement dans le Dictionnaire de théologie catholique, 1923. pp 1726 à 1930 [DTC]
ainsi que dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique. Vol. IV, pp 1157-1182 [DAC]
Enfin, l’ouvrage de Caperan, le Problème du salut des infidèles, aborde la question du point de vue historique et du point de vue théologique. Toulouse 1934, 2 vol. [BML SJ TH 550/8 et 9]
Cette approche théologique est cependant antérieure au concile Vatican II et a évolué depuis car le christianisme actuel est confronté au pluralisme religieux du XXIè siècle. Vous aurez un (court) état de la question et des références sur ce site :Salut des non-chrétiens
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