Alain Petré-Grenouillau
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 04/08/2007 à 15h25
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Question d'origine :
Bonjour,
Peut-on preter aux allégations qui taxes les propos sur l'esclavage de révisionnistes d'alain Petre-Grenouilleau un quelconque fondement?
Merci d'avançe
Réponse du Guichet
anonyme
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 06/08/2007 à 13h25
Vous faites de toute évidence allusion à la controverse suscitée par la parution d'un ouvrage de synthèse sur Les Traites négrières. Essai d'histoire globale et d'un entretien dans le Journal du dimanche (12 juin 2005) de l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau, professeur à l’université de Bretagne Sud à Lorient et spécialiste de l'histoire de l'esclavage et de l'histoire des traites (à distinguer). Car c'est bien sur ces dernières et à partir d'elles que le débat s'est engagé sur un sujet encore brûlant et dans un cadre commémoratif (loi Taubira de 2001, loi mémorielle qui elle-aussi fait débat).
Vous trouverez dans l'article de l'encyclopédie en ligne wikipédia consacré à cet historien quelques traits de cette "affaire Olivier Pétré-Grenouilleau" :
Il y reconsidère le sujet de la traite des Noirs, de façon globale, et sous ses différents aspects (
Cette position est vue par certains comme « révisionniste » (entre autres Claude RIBBE). Suite à un entretien donné au Journal du dimanche du 12 juin 2005, le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais porte plainte pour négation d'un crime contre l'humanité, la traite des noirs ayant été reconnue comme un tel crime par la loi française n° 2001-434 du 23 mai 2001, « tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité », aussi appelée « loi Taubira ». Dans cet entretien, sur la question de « l'antisémitisme véhiculé par Dieudonné », l'historien répond que « cette accusation contre les juifs est née dans la communauté noire américaine des années 1970. Elle rebondit aujourd'hui en France. Cela dépasse le cas Dieudonné. C'est aussi le problème de la loi Taubira qui considère la traite des Noirs par les Européens comme un "crime contre l’humanité", incluant de ce fait une comparaison avec la Shoah. Les traites négrières ne sont pas des génocides.
La traite n'avait pas pour but d'exterminer un peuple. L'esclave était un bien qui avait une valeur marchande qu'on voulait faire travailler le plus possible. Le génocide juif et la traite négrière sont des processus différents. Il n'y a pas d’échelle de Richter des souffrances. » Il y a une différence entre génocide et crime contre l'humanité. Suivant les critères de la Cour pénale internationale (CPI), la traite des noirs est bien un crime contre l'humanité, car il y a eu notamment esclavage et déportation.
Olivier Pétré-Grenouilleau est soutenu par la communauté universitaire française à travers un appel lancé par dix-neuf historiens de renom, défendant la liberté de la recherche scientifique et publié dans le quotidien Libération. Finalement, le Collectif antillais retire sa plainte en février 2006, pour entre autre ne pas rendre leurs actions contre productives eu égard de la mauvaise réception de cette plainte par les média et la communauté des historiens.
Source : Wikipedia.
Vous pouvez lire ensuite l'article de Catherine Coquery-Vidrovitch, professeur émérite de l’Afrique à l’Université de Paris 7, À propos de l’histoire des traites négrières et, plus généralement, des positions contrastées des Historiens, dans lequel elle fait le point sur une affaire qui soulève des questions délicates et complexes:
Olivier Pétré Grenouilleau, c’est un érudit, qui connaît bien la littérature anglo-saxonne qu’il a étudiée dans son livre. Celui-ci est une somme remarquable, dont on trouve des critiques intelligentes et mesurées, mais sérieuses, sur Internet, notamment par Pap NDIAYE (MC EHESS, spécialiste d’histoire noire-américaine, pourtant peu gâté, lui aussi, sur le Web !) et Marcel DORIGNY* (MC à Paris 8, spécialiste de l’histoire des Caraïbes) - c’est à dire deux historiens parmi les mieux à même d’évaluer cet ouvrage en France. Globalement je suis d’accord avec eux, et ils sont mesurés tout en étant parfois sévères.
Sévères parce que, tout en étant un historien de qualité, Pétré-Grenouilleau a des réflexes, disons, « hexagonaux » et cela pointe parfois. Cela n’a bien entendu rien de condamnable, on a le droit d’être historien indépendamment de ses opinions quelles qu’elles soient (sauf négationnistes) et son livre n’est attaquable que dans des discussions entre spécialistes.
Mais la confusion entretenue réside ailleurs ; ce n’est pas sur son livre, inattaquable autrement que par ses pairs, qu’il est attaqué en justice (contrairement à ce que même un directeur du CNRS, philosophe de surcroît, a récemment affirmé dans une pleine page de « Rebonds » de Libération) : la plainte porte explicitement sur ses propos publiés dans le Journal du Dimanche, qui est plus maladroit qu’erroné, contrairement aux commentaires qui en ont été fait en l’écourtant : que les traites négrières soient de nature différente, parce que la Shoah était faite pour tuer les gens, et la traite pour les faire travailler, c’est vrai en théorie, mais discutable dans la pratique, non seulement parce que les camps d’extermination nazis étaient aussi des camps de travail et que tous les camps de concentration n’étaient pas des camps d’extermination, mais précisément parce qu’il y a un lien entre la très grande mortalité des noirs au 18è siècle (jusqu’à 20% par an par endroits, avec évidemment des chiffres variables et discutés) et l’activité du commerce des esclaves (à différencier de l’esclavage qui était un statut) : les négriers étaient probablement fort satisfaits d’avoir constamment à renouveler le stock d’esclaves sur un marché très demandeur ? La mortalité des esclaves a énormément baissé aux USA début XIXe siècle, pour des raisons complexes : progrès de l’hygiène sinon de la médecine, interdiction de la traite (1807) donc nécessité de protéger le « cheptel » (causes ou conséquences, ou les deux à la fois ?), baisse de rentabilité du commerce de contrebande de plus en plus aléatoire ? L’attitude « froide » de OPG a donc rendu furieux des Antillais, et a entraîné sur le Web un déluge d’insultes de la part de gens dont la plupart ne sont pas historiens, et tout s’est envenimé. Il faut aussi se souvenir que colonisation et esclavage sont unis dans la mémoire des Antillais, tandis qu’en Afrique ou en Indochine la colonisation a commencé quand la traite s’arrêtait.
*Ce que Marcel DORIGNY repproche essentiellement à cet ouvrage c'est sa propension à minimiser la traite négrière européenne, à la fois face aux autres traites et dans son rôle actif au sein du vaste complexe colonial dans l'essor de l'Europe entre le XVIe et le XIXe siècle.
Les spécialistes ont donc pu critiquer sévèrement des idées ou des méthodes d'Olivier Pétré-grenouilleau sans remettre en cause l'intégrité dans laquelle il exerce sa profession. C'est bien plutôt la maladresse de ses propos dans le Jounal du Dimanche qui ont pu choquer ou être mal interprétés et sur lesquels portaient d'ailleurs juridiquement la plainte dont il a fait l'objet.
Vous pouvez consulter les entretiens de cet historien dans l'Expansion sur Quelques vérités gênantes sur la traite des Noirs et dans Le Figaro littéraire sur Un esclavage qui n’a pas laissé de traces.
Parce que cette affaire interroge sur les rapports de la société à son histoire et sur le rôle de l'historien (qui n'est pas de juger mais de tenter de comprendre un passé), vous pouvez également lire cet article paru le 8 juin 2006 dans Libération : Faire valoir le devoir d'histoire. Par-delà la tyrannie des entreprises de mémoires et d'oublis, il faut retenir la leçon de l'historien Marc Bloch (par Daniel HEMERY et Claude LIAUZU et Arnaud NANTA).
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