Question d'origine :
Bonjour.
Delacroix (Journal p. 608 13 janv 1857) et Denis Rouart (Degas à la recherche de sa technique, Skira/ Flammarion 1988, au tout début) disent tout deux que David a négligé, dans son atelier, de transmettre les techniques quasi artisanales du métier de peintre, et qu'une part des difficultés des peintres du siècle suivant vient de là. Peut-on trouver plus de détails sur cette éventuelle incurie de David ?
Merci
Réponse du Guichet

Nous nous sommes interrogés sur ce que recoupait, selon vous: « difficultés des peintres suivants » : identité stylistique, indigence de la formation ou soumission à la norme imposée par David et à son pouvoir … ?
Aux vues des références que vous citez, nous avons supposé que vous aviez probablement parcouru le journal du chef de file des peintres romantiques, dernier des anciens, défenseur de la demi-teinte, premier des modernes : Delacroix.
Celui-ci n’affectionnait pas David et évoque de façon acerbe le pourquoi de cette désaffection en partie liée à son activité d’atelier et à sa manière.
« Delacroix écrit sous la forme d’un dictionnaire, le résumé d’un enseignement technique qu’il ne lui sera pas donné de faire ; noter ses idées sur l’art, faire part de son expérience ; substituer aux élèves réels de l’Ecole des Beaux - Arts les autodidactes qui sauront refuser les sentiers reconnus du néo-classicisme officiel. Tout le dictionnaire s’arme contre l’ennemi davinien. Les élèves de David sont, aux yeux de Delacroix, ce qui se fait de pire. Sous l’égide des Encyclopédistes, il écrit un dictionnaire batailleur et polémique qui, sous couleur d’instruire, se garde bien de demeurer neutre. On peut conclure qu’une double vocation (pédagogique, polémique) en motive l’écriture ". (…)
Delacroix a des ennemis à combattre « principalement l’école de David, qui à ses yeux incarne ce qui se fait de pire en peinture. Ce combat est le même que celui des philosophes contre l’obscurantisme au siècle précédent. Une même haine contre l’Infâme (bien que ce ne soit pas le même Infâme) anime les deux hommes ».
Delacroix lutte contre l’Académie (bien qu’élu), contre l’académisme en peinture toujours refusé, contre les professeurs des Beaux - Arts et se réclame proche des idées de Diderot : « Il faut refuser l’autorité des maîtres et peindre par soi-même » ; « maîtres. Respect exagéré pour ceux à qui on donne ce nom. ». Il dénonce l’imitation « aveugle » des grands maîtres comme l’usage du modèle d’après l’antique qui conduit les élèves à « imiter des imitations ».
Par ailleurs, Delacroix coloriste s’oppose aux peintres dessinateurs, en particulier Ingres et David. A propos des Thermopyles de David, il évoque « de la prose mâle et rigoureuse ».
Son article « Fresque » est un réquisitoire contre Ingres et les élèves de David « accusés de peindre avec des couleurs terreuses, de bien colorer sagement sans dépasser les lignes, d’être sans inspiration et sans élévation ». Lui brouille les contours qui valorisent le mouvement et la portée émotionnelle d’une scène.
L’article « Exécution » donne sa conception d’une réalisation acceptable « la bonne ou plutôt la vraie exécution est celle qui, par la pratique, en apparence matérielle, ajoute à la pensée, sans laquelle la pensée n’est pas complète ; ainsi sont les beaux vers. On peut exprimer platement de belles idées. L’exécution de David est froide, elle refroidirait des idées plus élevées et plus animées que les siennes. »
Delacroix rejette l’académisme et la facture lisse qui le caractérise. «Rendre la matière rebelle pour la vaincre avec patience. » Marqué par le classicisme il tente de s’en affranchir en cultivant liberté et spontanéité dans l’exécution mais toujours avec l’idée de « rendre la pensée dans la peinture » sans oublier de privilégier l’idée.
David est un artiste politiquement très engagé et en rébellion contre l’Académie royale de peinture et de sculpture (échecs au prix de Rome successifs) revendiquant son indépendance artistique.
Son radicalisme se traduit par un réel parti-pris de représentation parfois de propagande avec de sérieux ennuis (prison, exil) à la clef…
Tenant en haute estime le métier de peintre, il le défend. Le peintre n’est pas un simple artisan et il s’agit avant tout, d’une activité intellectuelle rejoignant sur ce point Delacroix. Instruit et cultivé, il clame la noblesse de sa vocation et estime que « les chefs-d’œuvre » doivent charmer autant que pénétrer l’âme et faire grande impression sur l’esprit autant que la réalité. »
Son enseignement et ses légions d’élèves lui donnent une notoriété européenne ce qui lui vaut de très fortes inimitiés. On dit que « par un miracle que personne ne comprend, l’atelier de David a atteint un tel niveau de perfection que ses élèves de 19 ans sont déjà formés comme des hommes ».Mais les jalousies mesquines d’académiciens reconnus sont toujours prêtes à surgir : en 1786, le prix de Rome est annulé parce que les meilleurs candidats sont des élèves de David et que leur manière porte la marque évidente de son style. Ses élèves ont soi-disant un esprit de clan et se tiennent à l’écart des autres par mépris.
Quant aux élèves reconnus :
Drouais, Girodet, François Gérard et Jean Antoine Gros, il est vrai qu’ils connaissent de réels épisodes dramatiques…De là à en imputer la responsabilité à David …
Pour conclure
Denis Rouart, son approche scientifique en tant que conservateur n'est pas moins passionnée car marquée par un univers intime particulier. Il est le petit fils d’Henri Rouart (collectionneur et peintre, ami de Degas et apparenté à Berthe Morisot)…Il évoque certes un certain nihilisme de David et notamment son affranchissement vis-à-vis de la technique qu’il ne relève cependant pas exclusivement comme négative puisque dit que « cette absence d’une technique sûre et éprouvée, loin de nuire aux artistes, leur a au contraire permis dans une certaine mesure de mieux affirmer leur originalité… »
Pour apprécier "l’incurie supposée" de David : nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage de Thomas Crow L'atelier de David : Emulation et Révolution, Le Dictionnaire des Beaux-Arts d’Eugène Delacroix
ainsi que deux catalogues d'expositions Au delà du maître: Girodet et l'atelier de David
Gérard, Girodet, Gros : l'atelier de David
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