Question d'origine :
Bonjour,
Je n'arrive pas à comprendre dans Cyrano de Bergerac (Acte 5 scene 2) la signification de
"et les manteaux de ducs trainent dans leur fourrure"
Pourriez-vous m'éclairer ?
Merci !
Réponse du Guichet

Bonjour,
L’originalité de la pièce Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, éditée en 1898, est d’être écrite comme une tragédie grecque tout en modifiant les codes de celle-ci, notamment la construction des alexandrins.
Déjà, il faut éviter d'extraire un vers de son contexte, le texte de Rostand est déstructuré de telle façon, que la suite d’un alexandrin peut se situer parfois plusieurs vers après. Il faut analyser la tirade dans son ensemble :
Donc nous allons reprendre la tirade du Duc de Guiche, acte V scène 2, dans son intégralité :
Le Duc, s’arrêtant, tandis quelle monte.
« Oui, parfois, je l’envie.
_ Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,
On sent, _ n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! _
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d’illusions sèches et de regrets,
Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes. »
Sous cet éclairage, nous vous proposons l’analyse suivante.
En premier lieu, il faudrait lire : « et les manteaux de duc trainent dans leur fourrure, … un bruit d’illusions sèches et de regrets, ». Il faut inverser les deux vers suivants pour la compréhension.
C’est à lui que le Duc fait référence, c’est de son manteau qu’il s’agit. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans l’acte V, c’est-à-dire le final, le temps a passé, Roxane s’est retirée dans un couvent et Cyrano va bientôt mourir.
De Guiche n’est plus le fringant aristocrate vaniteux et arrogant du début de la pièce, désormais il s’est assagi, et est un rien désabusé. Il est toujours amoureux de Roxanne, un amour à sens unique, et désormais il se montre clément avec ses rivaux d’hier puisqu’il évoque plus avant dans la scène la mémoire de Christian et tente de prévenir Le Bret de l’attentat contre Cyrano (début de la scène 3).
Ainsi il assimile ses regrets et ses désillusions aux feuilles mortes trainées par Roxane avec sa robe.
La fourrure rappelle que malgré sa réussite sociale, « Pendant que des grandeurs on monte les degrés » et ses richesses, il est frustré et malheureux.
Dans cette scène tout fait écho à son échec : Roxane aime toujours Christian au-delà de la mort, et Cyrano, son ancien rival, est « son vieil ami ».
D’ailleurs le Duc commence sa tirade par : « Oui, parfois, je l’envie », plus tôt il dit aussi de Cyrano qu’« il a vécu sans pactes, libre dans sa pensée autant que dans ses actes ».
On peut même percevoir dans cette tirade une signification plus large : tous les personnages ont vieilli et sont tous plus ou moins au crépuscule de leurs existences.
On peut ainsi établir un parallèle entre les portes du couvent et celles du Paradis, les degrés en sont alors les marches et, malgré toutes ses richesses, le Duc est désormais à égalité face à la mort avec celui qui ne possède rien, en l’occurrence Cyrano.
Roxane en robe noire, tel un ange de la mort, traîne les feuilles mortes comme elle « traîne » le souvenir de son amour perdu. Roxane est déjà morte à l’intérieur, et elle porte toujours autours de son cou la missive de son défunt amant « comme un doux scapulaire ».
C’est vers elle que convergent tous les protagonistes à la fin de la pièce : la mémoire de Christian, le Duc toujours épris et Cyrano, assassiné, qui expire dans ses bras.
Le sens de cette scène est bien plus évident lorsqu’on la regarde, en suivant le jeu des acteurs. Pour cela nous nous permettons de vous conseiller deux versions de référence : la version réalisée par Claude Barma pour la télévision, en 1960, avec l’inégalable Daniel Sorano, disponible sur l'I.N.A., et le film Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau, qui bénéficie d’un très bon casting avec Gérard Depardieu qui incarne avec panache (pour une fois!) un Cyrano fougueux et roublard, Jacques Weber un pathétique Duc de Guiche et Anne Brochet une jeune Roxane tout à la fois précieuse et passionnée.
Nous vous souhaitons une bonne relecture ainsi qu’un bon visionnage.
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