Question d'origine :
Bien le bonjour.
Remarquant qu'énormément d'insultes envers les femmes, et ce depuis longtemps, sont des synonymes de "prostitué" ou très approchant, je me demandais s'il y avait des raisons particulières. Est-ce lié à notre société occidentale? Est-ce plus général?
Est-ce que ça symboliserait une sorte de frustration sexuelle causée par des lois grégaires qui condamnent un instinct primitif poussant a "posséder" (dans les 2 sens du terme pour le coup) une femelle?
C'est l'idée basique qui me vient mais je ne trouve rien sur le sujet.
merci d'avance 

Réponse du Guichet

Pour réfléchir sur cette question, quelques pistes :
1) Réfléchissons d’abord plus généralement sur ce qu’on appelle insulte.
Un très bon petit livre sur la question, Petit traité de l’insulte, de Laurence Rosier.
La conclusion de ce livre :
« Au terme de ce parcours, nous avons mis en avant les idées suivantes :
- L’insulte rhétorique et littéraire, pittoresque n’est pas l’insulte sociale et quotidienne, monotone et violente.
- L’insulte ad hominem est un mot-action, un mot polémique. Elle est toujours foncièrement «raciste» parce qu’elle s’appuie sur des catégories ethniques, sociales, physiques qu’elle essentialise par stigmatisation.
- L’insulte est à la fois affaire de contexte (son interprétation varie en fonction des situations) et de mémoire (son noyau de sens se forge selon une histoire et ce sens se trouve plus ou moins occulté selon le contexte).
- L’insulte est liée aux lieux sociaux (école, sport…) qui les produisent et les propagent.
[…]
Reste à poursuivre le travail afin de prouver que l’insulte est un outil d’analyse social et langagier, un thermomètre des rapports humains… »
2) Les insultes envers les femmes, dites-vous, sont très souvent des synonymes de «prostitué»…Et vous avez raison.
Vous pourrez trouver un chapitre détaillant cette idée dans le livre de Marina Yaguello, Les mots et les femmes, chapitre intitulé : la langue du mépris.
Elle présente un corpus issu de plusieurs sources, (Larousse, dictionnaire des synonymes, dictionnaire érotique….), pour l’entrée « La femme en général ». Sur environ 600 mots, la quasi-totalité des noms se rattachent au type de la Maman ou de la Putain, la seconde catégorie étant de loin la plus représentée.
Ce vocabulaire est essentiellement de création masculine et essentiellement péjoratif. Cette multiplicité d’appellations situe avant tout la femme comme un objet sexuel.. Je vous laisse lire plus en détail ce chapitre qui analyse les raisons de ces injures : peur des femmes, peur de l’impuissance, peur de la remise en cause de l’ordre sexuel établi…
Cet ordre sexuel ne date par d’aujourd‘hui….Vous pouvez trouver dans le livre de Nicole Gonthier, « Sanglant Coupaul!» «Ordre Ribaude! les injures au Moyen Age
« putain »
C’est l’insulte élémentaire qui est lancée à une femme dans les querelles de voisinage ou qui se hausse au niveau d’un défi social à l’adresse de quelque prude femme. Le terme met en doute la conformité de cette personne avec l’image sociale que doit offrir une femme célibataire, mariée, ou veuve. Les efforts entrepris par l’Eglise, depuis l’époque carolingienne, pour sanctifier le mariage, pour conforter la famille, ont porté leurs fruits. L’idéal prêché par les hommes d’Eglise largement adopté par le corps social est celui d’une jeune fille, soumise à l’autorité de son père et gardée vierge jusqu’au mariage grâce à une discipline morale sévère. Une fois mariée l’épouse doit se consacrer uniquement à son mari et à ses enfants, se montrer chaste et prude, afin de ne pas laisser de doute sur la légitimité de la descendance qu’elle donne au lignage.
[….]
On comprend mieux, dès lors, la gravité de l’insulte qui compromet la réputation de dignité d’une femme en l’assimilant aux prostituées »
Lire la suite…p 141 et suivantes…
Cet ordre sexuel se décline sous des formes variées dans nombres de sociétés occidentales ou non. Il a fait l’objet de nombreuses analyses dont notamment la domination masculine, de Pierre Bourdieu. Mais vous trouverez de nombreuses autres références plus ou moins faciles d’accès.
Elsa Dorlin, philosophe, professeure en sciences politiques, précise que l’insulte et le sexisme ordinaire - de ses formes les plus larvées, les plus licites aux plus évidentes et grossières - remplissent le rôle d'une police du genre ; le sexisme rappelle à l’ordre les femmes et les minorités sexuelles sur la façon dont elles doivent se comporter - car les insultes sexistes sont toujours en même temps lesbophobes, homophobes, transphobes.
En effet, il est « intéressant » de constater que les insultes pour mépriser les hommes sont pratiquement tous des insultes provenant d’une féminisation ou d’un état de « non-virilité » des hommes: moumoune, felluette, tapette, fif, mal baisé, mauviette, gamine, fillette, pédale, couille mole, enculé, fils de pute, etc.
L’insulte envers les hommes revient à utiliser des qualificatifs touchant à la représentation d’un sexe considéré comme « inférieur » ou encore à l’homosexualité. Rien de tel que d’être associé aux femmes ou aux hommes « moins vrais » pour être insulté ! Cela démontre toute la construction sociale qui entoure la hiérarchisation des sexes et l’hétéronormativité...
On a vu petit à petit une évolution lente et conflictuelle des sociétés sur ces questions. Des lois confirment ces évolutions, à notre avis, pour le plus grand bien des rapports humains en général, mais ce n’est qu’un avis ! :-)
Par exemple : Légifrance
TITRE III : RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LES PROPOS DISCRIMINATOIRES À CARACTÈRE SEXISTE OU HOMOPHOBE.

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