Question d'origine :
Bonjour,
Un détail de l'histoire d'Hansel et Gretel me pose question. Comment se fait-il que la maison de sorcière, bâtie en pains d'épices reste intacte en permanence. Ne devrait-elle pas se périmer, rassir ?
La réponse facile est bien évidemment la magie, mais la magie étant avant tout une science, quel peut bien en être le principe pour ce problème en particulier ?
Merci de votre réponse !
Réponse du Guichet

Bonjour,
Les contes de fées sont des récits d'aventuresimaginaires où se mêlent des animaux qui parlent, des objets magiques, des forêts ensorcelées, des personnages mystérieux ; un monde où les citrouilles se transforment en carrosses, les princesses dorment cent longues années tout en gardant une haleine fraîche et les grenouilles se métamorphosent en princes charmants !
Rien d'étonnant à ce qu'une maison soit construite en pain d'épices et qu'elle reste en parfait état !
N'y voyez point de magie là-dedans, juste de l'imaginaire et du merveilleux...
L'irrationnel fait la spécificité du conte :
Le conte crée autour des êtres, des choses, des mots, un halo tremblant, les dote d'une sorte de vibration incertaine. Enchanteurs, fées, monstres, métamorphoses, instruments magiques, confèrent au conte sa fantaisie, ils servent surtout de passeurs pour nous conduire ailleurs. Déconsidérée par le rationalisme scientifique, expulsée du savoir, l'appréhension magique du monde est accueillie par la littérature des contes qui en fait son domaine réservé (avant de servir de drapeau au romantisme allemand). En empruntant des procédures anciennes, elle en renouvelle les effets, elle ménage de nouvelles expériences, elle ouvre la conscience à l'invisible. Elle amène à voir ce qui nous entoure sous des jours nouveaux, à repérer des liaisons et des influences qui, si elles n'ont plus aucun fondement extérieur, dans ce que nous savons, trouvent dans la psyché leur origine et leur pertinence : la psychologie des profondeurs qui s'est emparée avec entrain du conte répond au projet même de l'âge classique qui a considéré l'ancienne représentation du monde comme une aberration et en a déplacé l'explication sur l'irrationalisme du sujet.
source : Le conte de fées du classicisme aux Lumières de Jean-Paul Sermain.
Concernant Hänsel et Gretel (ou Jeannot et Margot), la maison de pain d'épices est chargée de symboles comme nous l'explique Bruno Bettelheim :
La maison de pain d'épice qu'ils trouvent dans la forêt représente une existence fondée sur les satisfactions les plus primitives. Se laissant emporter par leur faim incontrôlée, les deux enfants n'hésitent pas à détruire ce qui devrait leur procurer abri et sécurité, alors que les oiseaux, en mangeant les miettes de pain, auraient dû leur faire comprendre qu'il n'est pas bon de dévorer tout ce qu'on rencontre.
En dévorant une partie du toit et des fenêtres de la maison de pain d'épice, nos héros montrent qu'ils n'hésitent pas, par gourmandise, à priver des personnes de leur demeure (ils ont eux-mêmes transféré sur leurs parents leur peur d'être privés de maison en les accusant de vouloir les abandonner pour pouvoir manger à leur faim).
Malgré la voix qui les avertit de l'intérieur de la chaumière :
Et y te grignote et grignotons,
Qui grignote ma maison ?
les enfants se mentent à eux-mêmes en répondant :
C'est le vent, c'est le vent.
et « ils continuent à manger sans se laisser troubler ni déranger ».
La maison de pain d'épice est une image que personne ne peut oublier : quel tableau incroyablement tentant, séduisant, et quel risque terrible on court si on cède à la tentation ! L'enfant reconnaît que, comme Jeannot et Margot, il aimerait dévorer la maison de pain d'épice, quel que puisse être le danger. La maison représente l'avidité orale et le plaisir qu'on éprouve à la satisfaire. Le conte de fées est l'abécédaire où l'enfant apprend son esprit à lire dans le langage des images, le seul qui permette de comprendre avant qu'on ait atteint la maturité intellectuelle. Pour devenir maître de son esprit, l'enfant doit être familiarisé avec ce langage et doit apprendre à lui répondre.
Le contenu préconscient des images du conte de fées est beaucoup plus riche que les quelques exemples très simples qui vont suivre peuvent le suggérer : dans les rêves comme dans les fantasmes et l'imagination de l'enfant, la maison, c'est-à-dire l'endroit où il vit, peut symboliser le corps et, habituellement, celui de la mère. La maison de pain d'épice, qui peut être « dévorée », est le symbole de la mère qui, en fait, nourrit l'enfant de son corps. Ainsi, la maison que Jeannot et Margot mangent avec le plus grand plaisir et sans se soucier de quoi que ce soit, représente pour l'inconscient la mère bonne qui donne son corps en pâture. Elle est la mère originelle, qui est toute générosité et que tout enfant espère retrouver un jour quelque part dans le monde dès que sa propre mère commence à exprimer ses exigences et à imposer des restrictions. C'est pourquoi, transportés par leurs espoirs, Jeannot et Margot ne prennent pas garde à la douce voix qui leur demande qui ils sont et ce qu'ils font, la voix même de leur conscience. Aveuglés par leur gourmandise et par le plaisir des satisfactions orales qui semblent éteindre l'angoisse orale qui les étreignait jusqu'alors, les deux enfants "se régalent tout leur soûl".
Mais, raconte l'histoire, derrière cet abandon sans limites à la gloutonnerie se trouve une menace de destruction...
source : Psychanalyse des contes de fées / Bruno Bettelheim; traduit de l'américain par Théo Carlier
Pour aller plus loin :
- Exposition de la Bibliothèque nationale de France
- Contes, mythes, mystères : éléments pour une mystagogie / Pierre Erny
- Le monde extraordinaire des contes de fées : interprétation, mythes et histoires fabuleuses / Anne Gugenheim-Wolff
- La pensée des contes / François Flahault
- Les trois corbeaux ou La science du mal dans les contes merveilleux / Anna Griève
- Sur les traces du Petit Chaperon rouge : un itinéraire dans la forêt des contes / Pierre Erny
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Les contes de fées sont des récits d'aventures
Rien d'étonnant à ce qu'une maison soit construite en pain d'épices et qu'elle reste en parfait état !
N'y voyez point de magie là-dedans, juste de l'imaginaire et du merveilleux...
L'irrationnel fait la spécificité du conte :
Le conte crée autour des êtres, des choses, des mots, un halo tremblant, les dote d'une sorte de vibration incertaine. Enchanteurs, fées, monstres, métamorphoses, instruments magiques, confèrent au conte sa fantaisie, ils servent surtout de passeurs pour nous conduire ailleurs. Déconsidérée par le rationalisme scientifique, expulsée du savoir, l'appréhension magique du monde est accueillie par la littérature des contes qui en fait son domaine réservé (avant de servir de drapeau au romantisme allemand). En empruntant des procédures anciennes, elle en renouvelle les effets, elle ménage de nouvelles expériences, elle ouvre la conscience à l'invisible. Elle amène à voir ce qui nous entoure sous des jours nouveaux, à repérer des liaisons et des influences qui, si elles n'ont plus aucun fondement extérieur, dans ce que nous savons, trouvent dans la psyché leur origine et leur pertinence : la psychologie des profondeurs qui s'est emparée avec entrain du conte répond au projet même de l'âge classique qui a considéré l'ancienne représentation du monde comme une aberration et en a déplacé l'explication sur l'irrationalisme du sujet.
source : Le conte de fées du classicisme aux Lumières de Jean-Paul Sermain.
Concernant Hänsel et Gretel (ou Jeannot et Margot), la maison de pain d'épices est chargée de symboles comme nous l'explique Bruno Bettelheim :
La maison de pain d'épice qu'ils trouvent dans la forêt représente une existence fondée sur les satisfactions les plus primitives. Se laissant emporter par leur faim incontrôlée, les deux enfants n'hésitent pas à détruire ce qui devrait leur procurer abri et sécurité, alors que les oiseaux, en mangeant les miettes de pain, auraient dû leur faire comprendre qu'il n'est pas bon de dévorer tout ce qu'on rencontre.
En dévorant une partie du toit et des fenêtres de la maison de pain d'épice, nos héros montrent qu'ils n'hésitent pas, par gourmandise, à priver des personnes de leur demeure (ils ont eux-mêmes transféré sur leurs parents leur peur d'être privés de maison en les accusant de vouloir les abandonner pour pouvoir manger à leur faim).
Malgré la voix qui les avertit de l'intérieur de la chaumière :
Et y te grignote et grignotons,
Qui grignote ma maison ?
les enfants se mentent à eux-mêmes en répondant :
C'est le vent, c'est le vent.
et « ils continuent à manger sans se laisser troubler ni déranger ».
La maison de pain d'épice est une image que personne ne peut oublier : quel tableau incroyablement tentant, séduisant, et quel risque terrible on court si on cède à la tentation ! L'enfant reconnaît que, comme Jeannot et Margot, il aimerait dévorer la maison de pain d'épice, quel que puisse être le danger. La maison représente l'avidité orale et le plaisir qu'on éprouve à la satisfaire. Le conte de fées est l'abécédaire où l'enfant apprend son esprit à lire dans le langage des images, le seul qui permette de comprendre avant qu'on ait atteint la maturité intellectuelle. Pour devenir maître de son esprit, l'enfant doit être familiarisé avec ce langage et doit apprendre à lui répondre.
Le contenu préconscient des images du conte de fées est beaucoup plus riche que les quelques exemples très simples qui vont suivre peuvent le suggérer : dans les rêves comme dans les fantasmes et l'imagination de l'enfant, la maison, c'est-à-dire l'endroit où il vit, peut symboliser le corps et, habituellement, celui de la mère. La maison de pain d'épice, qui peut être « dévorée », est le symbole de la mère qui, en fait, nourrit l'enfant de son corps. Ainsi, la maison que Jeannot et Margot mangent avec le plus grand plaisir et sans se soucier de quoi que ce soit, représente pour l'inconscient la mère bonne qui donne son corps en pâture. Elle est la mère originelle, qui est toute générosité et que tout enfant espère retrouver un jour quelque part dans le monde dès que sa propre mère commence à exprimer ses exigences et à imposer des restrictions. C'est pourquoi, transportés par leurs espoirs, Jeannot et Margot ne prennent pas garde à la douce voix qui leur demande qui ils sont et ce qu'ils font, la voix même de leur conscience. Aveuglés par leur gourmandise et par le plaisir des satisfactions orales qui semblent éteindre l'angoisse orale qui les étreignait jusqu'alors, les deux enfants "se régalent tout leur soûl".
Mais, raconte l'histoire, derrière cet abandon sans limites à la gloutonnerie se trouve une menace de destruction...
source : Psychanalyse des contes de fées / Bruno Bettelheim; traduit de l'américain par Théo Carlier
Pour aller plus loin :
- Exposition de la Bibliothèque nationale de France
- Contes, mythes, mystères : éléments pour une mystagogie / Pierre Erny
- Le monde extraordinaire des contes de fées : interprétation, mythes et histoires fabuleuses / Anne Gugenheim-Wolff
- La pensée des contes / François Flahault
- Les trois corbeaux ou La science du mal dans les contes merveilleux / Anna Griève
- Sur les traces du Petit Chaperon rouge : un itinéraire dans la forêt des contes / Pierre Erny
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