Question d'origine :
Très cher guichet,
après avoir regardé ce film une dizaine de fois, toujours avec le même plaisir, il y a un passage qui reste toujours nébuleux.
C'est celui du gendarme à vélo. Jean-Marie Peujat est entrain de lui réparer quand Blaise Poulossière arrive et insulte le gendarme. Peujat lui dit "Gendarme, si c'vieux machin vous manque d'respect, prenez vot'révolver et tirez le comme un lapin... Y'a pas besoin d'permis, c'est d'la destruction..." et là Baptiste Talon (excellent Pierre Fresnay) réplique : "Si t'avais fait la guerre là où ça bardait au lieu de la faire avec les mouquères, tu saurais comment qu'on s'en débarrassait de c'tiot-là à Verdun."
Mais que se passait-il à Verdun avec les gendarmes ??
Mille mercis par avance,
Tinodela.
Réponse du Guichet

C’est un grand moment du film Les vieux de la vieille lorsque Gabin rencontre un brigadier (Jacques Marin) ayant un problème avec son vélo : " Là votre clou, là, poursuit-il, c’est de la série ! ça été monté par des Polonais ! C’est pas pour médire des étrangers parce que y’en a qui s’y connaissent : les Suisses, les Italiens sont pas bons pour la guerre mais pour le vélo, ils s’y connaissent ! Les Polonais sont des bons soldats, mais pour le vélo !!! – Vous m’avez l’air drôlement fort en histoire et en géo mais c’est pas avec la géographie que j’m’en tirerai. … Si t'avais fait la guerre là où ça bardait au lieu de la faire avec les mouquères, tu saurais comment qu'on s'en débarrassait de c'tiot-là à Verdun."
voir l’ extrait
L' article:
-La gendarmerie dans la bataille de Verdun Maintenir l’ordre sous le feu de Louis Panel extrait de la Revue historique des armées n°242 1e trimestre2006, relate des faits tragiques liés à la gendarmerie lors de la bataille de Verdun, p.60-69
De fait, si la formule voulant que « le front commence au dernier gendarme » est courante chez les poilus, et qu’Alain lui-même s’en fait écho , ou si certains déchaînent l’hilarité de la troupe en saluant la gendarmerie d’un « beaucoup de pertes chez vous ? » l’intensité des bombardements de Verdun rend le service de l’Arme réellement dangereux.
- Mars ou la guerre jugée , Alain p.565
- Mourir à Verdun , Pierre Miquel
Paradoxalement, des gendarmes tués à Verdun vont a posteriori s’acquérir une certaine popularité parmi les poilus : il s’agit des hommes de « l’allée des pendus », que la troupe aurait lynchés dans la ville. Les circonstances de cet épisode, abondamment rapporté, ne sont jamais très claires : « on raconte, à Verdun, d’étranges choses à ce sujet. Des pandores trop zélés auraient été saisis et promptement pendus à des réverbères – à moins que ce ne soit à l’étal d’un boucher – par des zouaves de retour du Mort-Homme, à moins que ce ne soit par des joyeux qui y montaient… » . De nombreux auteurs n’hésitent pas à décrire la scène, précisant toutefois qu’elle leur a été rapportée. Ainsi le docteur Javal (1873-1944), après avoir raconté combien furent tatillons les gendarmes rencontrés par son ambulance, écrit que « la popularité de la gendarmerie passa, je crois, par une épreuve dont elle aura de la peine à se relever. Pendant l’attaque de Verdun, on découvrit trois gendarmes pendus à l’étal d’un boucher : on dit que cet accident fut loin d’être unique »
- Combattre à Verdun ,vie et souffrance quotidiennes du soldat : 1916-1917 Gérard Canini, p. 146 et suiv.
De fait, l’histoire des gendarmes pendus revient sous les plumes les plus diverses. En 1919, le chanoine Thellier (1875-1956), aumônier militaire présent dans le secteur durant toute la bataille, rend compte de la même rumeur : « La prévôté a ordre de tirer sur les maraudeurs. Surpris dans leur chasse, quelques soldats ont dégainé et arrêté eux-mêmes les gendarmes qui les poursuivaient. On raconte des histoires macabres. Des corps auraient été trouvés, pendus, la corde au cou, à un bec de gaz ; d’autres dans le fleuve où ils auraient été noyés… » .
Le légionnaire Frédéric Sauser (1887-1961) la retranscrit sensiblement dans les mêmes termes, lui conférant même un caractère systématique. « À Verdun, les poilus étaient tellement exaspérés contre les gendarmes que dès qu’un de ces sales embusqués qui faisaient du zèle leur tombait entre les pattes, ils lui plantaient un crochet de boucher sous la mâchoire et le suspendaient sans forme de procès et sous les quolibets à une branche d’arbre. Il paraît qu’il y avait une certaine allée de la citadelle où ils gigotaient par dizaines, ces gens d’arme de métier qui ne voulaient pas aller se battre. »
- Dix mois à Verdun :un aumônier militaire en première ligne :26 février 1916-10 janvier 1917 CharlesThellier de Poncheville
- La main coupée Blaise Cendrars
Les grandes batailles telles que la Champagne, la Somme ou Verdun, qui en reste le symbole, se distinguent en définitive autant par leur propre ampleur que par la démesure de leur logistique. Parce que des troupes nombreuses et diverses sont concentrées dans peu d’espace et fréquemment renouvelées, organisation, transport et ravitaillement deviennent autant de fils tendus auxquels sont suspendues les opérations. Aussi s’impose l’idée, pas toujours admise au début du conflit, d’une force publique spécifiquement dédiée à « huiler » l’énorme machine du front. En ce sens, Verdun est bien l’épisode qui conduit le commandement à prendre pleinement conscience de la nécessité de la gendarmerie prévôtale, au point par exemple de convertir en prévôté les brigades de la place. Ainsi, à partir de 1916 n’est-il plus question d’égayer des gendarmes dans des unités combattantes, et les gardes républicains détachés de leur corps viennent désormais grossir les rangs des prévôtés de Verdun.
Parallèlement, on assiste incontestablement à la dépréciation de l’image du gendarme au sein des troupes. À la différence du prévôtal de 1914, qui était rare et donc précieux, celui de 1916 reste rare, mais il est alors perçu comme faible, ce dont témoignent les multiples attaques dont il est l’objet. Aussi ne peut-on assimiler la gendarmerie de Verdun à une véritable force de contrainte, car à moins d’un pour mille, il lui est évidemment impossible de maintenir à elle seule les armées dans l’obéissance, alors que ses missions vont bien au-delà du strict aspect disciplinaire.
En réalité, bien plus qu’une force, c’est une technicité qu’incarne la gendarmerie : corps d’officiers de police judiciaire militaire, rompus au maintien de l’ordre gradué, elle est la partie visible et agissante, car spécialisée, d’un appareil de contrainte beaucoup plus vaste, qui n’exclut d’ailleurs pas l’adhésion. Si c’est précisément en raison de ce positionnement qu’elle est violemment rejetée par la troupe, elle suscite de nouveau, au fil de la bataille, l’intérêt du commandement. Symptôme de la crise, Verdun est pour elle le facteur du regain d’intérêt et des profondes réformes entreprises au printemps 1917.
Pour conclure, toujours de Louis Panel, lire le résumé de L'article,Cognes hommes noirs et grenades blanches: les enjeux de la représentation du gendarme dans la grande guerre extrait de Sociétés et représentations n°16, 2003
La Première Guerre mondiale est assurément une des périodes les plus noires de l’histoire de la Gendarmerie. Aux yeux des combattants, l’arme, absente lors des combats, se résume à ses missions hautement impopulaires de surveillance et de répression de la troupe. « Embusqué » du fait de ses attributions, le gendarme est tenu pour un lâche. À cheval sur un règlement jugé trop strict par des hommes exposés à la mort, il se rend odieux. Le « cogne » devient alors une figure expiatoire de toutes les tensions du front, présente tant dans la littérature que dans la caricature. Mesurant l’étendue du préjudice moral que la durée de la campagne entreprend de lui porter, la Gendarmerie tente à son tour d’allumer des contre-feux, en mettant en avant ses épisodes combattants ou ses missions les plus valorisantes. C’est donc à une véritable bataille des images que se livrent, avant même l’issue de la guerre, tenants et adversaires de la Gendarmerie de 14-18.
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Commentaires 2

Henri a fait la guerre 14-18 ; il a fait trois campagnes : la Marne, la Somme et la Meuse. Il a vu à Verdun les gendarmes pendus aux crochets d’une boucherie, dont parle Gabriel Chevalier dans « La peur ». Autre mention dans « Le lieutenant Morin ». « Mais que font les gendarmes ? Ils se tiennent à l’arrière pour traquer les fuyards ; rarement à l’avant… Ils ont pour mission de boucler l’arrière des troupes engagées, pour décourager les abandons et fusiller les déserteurs. » (Pierre Miquel dans « Les pantalons rouges »).
Quand un groupe de soldats venait à les croiser, il n’était pas rare qu’un farceur, histoire de les mettre en boîte, leur lance : « Alors, pas trop de pertes chez vous ? ». Par plaisanterie, les bidasses racontaient que sous leurs képis, les gendarmes portaient les cheveux en arrière, « loin du front »…
Voici un témoignage : « J'ai passé mon enfance à Chattancourt, très jeune déja j'ai pu entendre les anciens parler de ces gendarmes pendus à...Dombasle en Argonne. Effectivement on a consideré ces évènements comme des "bobards", tels ceux de deux gendarmes lynchés prés de Thierville ou bien d'un autre tué à Belrupt par deux soldats bien éméchés. D'aprés un médecin, le motif de l'assassinat de ces trois hommes fut découvert par hasard par Mr Louis Loiseau, Maire de Brocourt en Argonne, petit village situé à 4 Km de Dombasle. Originaire de la Petite Boissière, dans les Deux-Sèvres, il s'entretient lors de vacances (dans les anneés 50) au pays natal, avec deux amis de son père. Les deux hommes lui déclarèrent bien connaître Brocourt pour y avoir cantonné pendant la guerre, et émirent le souhait de revoir les lieux. c'est ainsi que Louis les invita chez lui. Un jour, ils se rendirent à Dombasle. Aprés le passage à niveau, les deux compères firent arrêter la voiture de Loiseau devant la boucherie Barthélemy, se dirigèrent sans hésitation dans une petite rue, pénétrèrent dans une cour et en désignant une remise déclarèrent: " C'est là que les trois gendarmes furent pendus aux crochets de l'abattoir de la boucherie." Puis ils relatèrent le déroulement des événements.
L'un de nos deux anciens poilus, Robert T...était mobilisé en tant que maréchal-ferrant et se déplaçait de cantonnement en cantonnement.
Un jour son rogne-pied, outil indispensable à tout maréchal s'était brisé, il décida de forger un nouvel outil à partir de sa baïonnette, (le sabre-baïonnette du mousqueton Lebel), dans la maréchalerie Carpentier de Dombasle. Cette arme lui était bien inutile puisqu’il était voué à la maréchalerie. Un Officier le surprit et menaça de le déférer en conseil de guerre pour destruction volontaire d'arme de guerre.
Une altercation s'ensuivit qui attira des soldats flânant aux alentours. Les hommes prirent la défense de leur camarade de façon violente.
L'Officier maintenant sa décision, des menaces furent proférées à son encontre, -lui promettant une balle dans la tête lors de la prochaine montée en ligne du régiment- L'Officier héla trois gendarmes attirés par les éclats de voix et leur ordonna de procéder à l'arrestation du maréchal-ferrant. Les gendarmes, en cherchant à exécuter l'ordre, furent violemment pris à partie et rossés, sur quoi l'Officier jugea préférable de s'éclipser (dommage qu’on ne l’ait pas rattrapé !). On retrouva les gendarmes pendus aux crochets de la boucherie.
Rien ne prouve que nos deux anciens combattants aient participé activement à ces exécutions. Tout le 5e C.A fut bien vite au courant des faits, mais aucune suite ne fut donnée à l'affaire, le Commandement étant parfaitement conscient qu'aucun officier, ayant partagé le vécu des soldats dans l'enfer des premières lignes, ne dénoncerait les auteurs des faits. L'épisode fut donc tenu secret ausi longtemps que possible. » Frédéric R.
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