Question d'origine :
Bonjour,
la chaise à sel permettait de dissimuler le sel de contrebande lors des contrôles des gabelous. Or, existe-il une différence entre le sel acheté au grenier royal et celui de la contrebande, pour qu'on ait eu l'idée de cacher ce dernier ?
Merci beaucoup,
Cordialement
Réponse du Guichet
Le 08/12/2014 à 15h50
Bonjour,
Pour comprendre l’intérêt de la chaise à sel, il est nécessaire de comprendre l’histoire de la gabelle et de la contrebande organisée autour du sel. L’Encyclopédie Larousse consacre un article aux Faux sauniers qui étaient les contrebandiers :
« Faux sauniers : dans la France d'Ancien Régime, contrebandiers du sel, produit de première nécessité employé pour la conservation des aliments.
Les faux sauniers trafiquent le « faux sel », et concurrencent ainsi le sel taxé par l'État royal en profitant des régimes particuliers des provinces. En Bretagne, exemptée de gabelle, la vente du sel est libre, et son prix, modique. En revanche, dans le Maine voisin, pays de grande gabelle, les habitants doivent se fournir au grenier à sel de leur ressort, à un tarif beaucoup plus élevé. Il s'ensuit une active contrebande : on achète du sel dans les provinces périphériques, où la gabelle est inexistante ou peu élevée, pour le revendre aux bandes de faux sauniers, ou en faire commerce directement, en petites quantités, dans les pays de grande gabelle, qui sont les plus anciens du royaume.
Déjà, en 1518, François Ier se plaint de cette contrebande : « Il y a, en nos pays d'Anjou et de Maine, plusieurs hommes et femmes qui achètent le sel des faux sauniers et le portent en poches, panetières, chapelets ou autrement, vendre d'huis en huis et de maisons en maisons, où ils font de grands larcins, abus et fraudes. » À la fin du XVIIIe siècle, dans le ressort de Laval (grande gabelle), les sujets achètent en moyenne 4,4 kilos de sel par année et par habitant, alors que dans les pays bretons de Vitré et de Fougères, ils en acquièrent 48 kilos, quantité révélant des activités de faux saunage, puisqu'elle est supérieure à ce qu'ils peuvent consommer. « Le sport national des Français » (J.-C. Waquet) symbolise la résistance populaire face à l'État percepteur. Au XVIIIe siècle, la répression organisée par la Ferme générale est largement inefficace, alors que celle-ci ponctionne la moitié des recettes de la gabelle. Les gabelous (gardes-frontières des pays de grande gabelle) arrêtent hommes, femmes, enfants, voire chiens dressés pour le faux saunage. Mais les officiers du roi affrontent également des bandes armées, telle celle de Jean Cottereau, dit Jean Chouan. Vivant dans le Maine, près de la frontière bretonne, Jean Chouan est arrêté une première fois pour faux saunage en 1772, à l'âge de 15 ans. Huit ans plus tard, il est recherché pour le meurtre d'un gabelou, et condamné à la pendaison par effigie. Il est emprisonné en 1785, et libéré au cours de l'été 1789, à la faveur des événements parisiens. Mais, en 1792, il réapparaît à la tête de la révolte contre-révolutionnaire du Maine, témoignant de la communauté d'intérêts entre monarchistes et faux sauniers, ces derniers désirant sauvegarder leur gagne-pain, la gabelle, abolie en 1790. »
Le sel est donc une denrée essentielle pour l’alimentation des populations mais il est taxé lourdement et sa consommation est rationnée et imposée par le Roi, c’est la raison pour laquelle, il était intéressant d’acheter du sel aux faux sauniers. Toutes les régions n’étant pas soumises aux mêmes impôts, le sel était parfois moins cher. Les contrebandiers le vendaient moins cher et permettaient ainsi de se façonner des stocks. Les gabelous contrôlaient dans les habitations les stocks de sel, si une famille en avait plus que ce qu’elle avait le droit d’acheter aux greniers royaux, elle avait soit acheté du sel à des contrebandiers soit c’était une famille de contrebandiers. Les peines encourues étaient lourdes, c’est la raison pour laquelle il était nécessaire de dissimuler les stocks de sel.
Le site du Musée du pays de Retz donne des explications détaillées sur le régime des gabelles dans les différentes régions et les peines encourues :
« La contrebande ou "faux saunage"
Était considéré comme «faux-saunier» celui qui transportait du sel pris ailleurs que dans les greniers du roi, celui qui fabriquait du sel en volant de l'eau de mer, celui qui ne consommait pas tout le sel du devoir, enfin celui qui recelait du sel ou aidait les "faux sauniers".
Pour empêcher le sel de passer clandestinement de zone franche en pays de Grande Gabelle, il y avait une armée de "Gabelous", à pied, à cheval ou en bateau.
Les contrebandiers utilisaient toutes sortes de moyens pour passer du sel en fraude : pièces de bois creusées des charrettes, tonneaux à double fond, chargement de sel dissimulé dans des tombereaux de goémon ou sous des fagots, petits bateaux pouvant changer le gouvernail d'extrémité qui remontaient les étiers et repartaient sans aucune manoeuvre.
En Baie de Bourgneuf, les faux sauniers ont toujours été en grand nombre (hommes, femmes, enfants) malgré les peines très sévères édictées contre eux. Ils dressaient notamment des chiens à faire la contrebande.
A Saumur existait une juridiction spécialisée dans les crimes de «faux saunages». Les peines encourues étaient sévères : amendes lourdes, fouet, galères, marquage au fer rouge d'un «G».
L'impôt sur le sel fut aboli par décret du 1er décembre 1790. Quand la gabelle fut supprimée, les gens ne furent pas tous satisfaits.
Bien des gabelous furent licenciés. Les nombreux faux sauniers n'eurent plus de travail.
C'est peut-être pour cette raison qu'on en retrouvera beaucoup dans la "chouannerie" et l'armée catholique et royale.

Le régime des gabelles :
1 - Le prix du sel était fortement taxé (20 fois son prix) et la consommation d'une certaine quantité de sel y était obligatoire; c'est le «sel du devoir» réservé seulement "au pot et à la salière", le sel destiné aux salaisons étant tout différent.
2 - L'impôt atteint 5 à 10 fois la valeur du sel; les habitants peuvent acheter aux greniers de leur choix la quantité qu'ils désirent.
3 - La taxe atteint 5 fois le prix de la marchandise et la consommation est imposée. Ces pays étaient ainsi nommés parce qu'ils tiraient leur sel, non pas des marais salants, mais des salines de Franche-Comté et de Lorraine.
4 - La gabelle y fut supprimée par Henri II moyennant une lourde indemnité. La consommation des gens était limitée et l'approvisionnement devait se faire dans des greniers désignés.
5 - Les pays de «Quart Bouillon» : ce nom venait de ce que les sauneries de ces pays, où l'on faisait bouillir un sable imprégné d'eau de mer, devaient remettre gratis dans les greniers du Roi un quart de leur fabrication.
6 - Les Pays Francs ne payent pas de gabelle. La Bretagne bénéficie d'un régime spécial depuis le traité passé en 1491 entre Charles VII et la duchesse Anne de Bretagne. Le Pays de Retz est donc exempté de gabelle. »
Pour en savoir plus :
- La Gabelle, Encyclopédie Universalis.
- La chaise à sel sur Wikipédia.
- Le grenier à sel de la Société historique de Compiègne.
- Bateliers contrebandiers du sel : la Loire au temps de la gabelle, Françoise de Person.
- Contrebandiers du sel : la vie des faux sauniers au temps de la gabelle, Bernard Briais.
- Les vertus du sel : le sel de la mer, ses mystères et ses goûts, Laura Fronty.
Bonne journée.
Pour comprendre l’intérêt de la chaise à sel, il est nécessaire de comprendre l’histoire de la gabelle et de la contrebande organisée autour du sel. L’Encyclopédie Larousse consacre un article aux Faux sauniers qui étaient les contrebandiers :
« Faux sauniers : dans la France d'Ancien Régime, contrebandiers du sel, produit de première nécessité employé pour la conservation des aliments.
Les faux sauniers trafiquent le « faux sel », et concurrencent ainsi le sel taxé par l'État royal en profitant des régimes particuliers des provinces. En Bretagne, exemptée de gabelle, la vente du sel est libre, et son prix, modique. En revanche, dans le Maine voisin, pays de grande gabelle, les habitants doivent se fournir au grenier à sel de leur ressort, à un tarif beaucoup plus élevé. Il s'ensuit une active contrebande : on achète du sel dans les provinces périphériques, où la gabelle est inexistante ou peu élevée, pour le revendre aux bandes de faux sauniers, ou en faire commerce directement, en petites quantités, dans les pays de grande gabelle, qui sont les plus anciens du royaume.
Déjà, en 1518, François Ier se plaint de cette contrebande : « Il y a, en nos pays d'Anjou et de Maine, plusieurs hommes et femmes qui achètent le sel des faux sauniers et le portent en poches, panetières, chapelets ou autrement, vendre d'huis en huis et de maisons en maisons, où ils font de grands larcins, abus et fraudes. » À la fin du XVIIIe siècle, dans le ressort de Laval (grande gabelle), les sujets achètent en moyenne 4,4 kilos de sel par année et par habitant, alors que dans les pays bretons de Vitré et de Fougères, ils en acquièrent 48 kilos, quantité révélant des activités de faux saunage, puisqu'elle est supérieure à ce qu'ils peuvent consommer. « Le sport national des Français » (J.-C. Waquet) symbolise la résistance populaire face à l'État percepteur. Au XVIIIe siècle, la répression organisée par la Ferme générale est largement inefficace, alors que celle-ci ponctionne la moitié des recettes de la gabelle. Les gabelous (gardes-frontières des pays de grande gabelle) arrêtent hommes, femmes, enfants, voire chiens dressés pour le faux saunage. Mais les officiers du roi affrontent également des bandes armées, telle celle de Jean Cottereau, dit Jean Chouan. Vivant dans le Maine, près de la frontière bretonne, Jean Chouan est arrêté une première fois pour faux saunage en 1772, à l'âge de 15 ans. Huit ans plus tard, il est recherché pour le meurtre d'un gabelou, et condamné à la pendaison par effigie. Il est emprisonné en 1785, et libéré au cours de l'été 1789, à la faveur des événements parisiens. Mais, en 1792, il réapparaît à la tête de la révolte contre-révolutionnaire du Maine, témoignant de la communauté d'intérêts entre monarchistes et faux sauniers, ces derniers désirant sauvegarder leur gagne-pain, la gabelle, abolie en 1790. »
Le sel est donc une denrée essentielle pour l’alimentation des populations mais il est taxé lourdement et sa consommation est rationnée et imposée par le Roi, c’est la raison pour laquelle, il était intéressant d’acheter du sel aux faux sauniers. Toutes les régions n’étant pas soumises aux mêmes impôts, le sel était parfois moins cher. Les contrebandiers le vendaient moins cher et permettaient ainsi de se façonner des stocks. Les gabelous contrôlaient dans les habitations les stocks de sel, si une famille en avait plus que ce qu’elle avait le droit d’acheter aux greniers royaux, elle avait soit acheté du sel à des contrebandiers soit c’était une famille de contrebandiers. Les peines encourues étaient lourdes, c’est la raison pour laquelle il était nécessaire de dissimuler les stocks de sel.
Le site du Musée du pays de Retz donne des explications détaillées sur le régime des gabelles dans les différentes régions et les peines encourues :
« La contrebande ou "faux saunage"
Était considéré comme «faux-saunier» celui qui transportait du sel pris ailleurs que dans les greniers du roi, celui qui fabriquait du sel en volant de l'eau de mer, celui qui ne consommait pas tout le sel du devoir, enfin celui qui recelait du sel ou aidait les "faux sauniers".
Pour empêcher le sel de passer clandestinement de zone franche en pays de Grande Gabelle, il y avait une armée de "Gabelous", à pied, à cheval ou en bateau.
Les contrebandiers utilisaient toutes sortes de moyens pour passer du sel en fraude : pièces de bois creusées des charrettes, tonneaux à double fond, chargement de sel dissimulé dans des tombereaux de goémon ou sous des fagots, petits bateaux pouvant changer le gouvernail d'extrémité qui remontaient les étiers et repartaient sans aucune manoeuvre.
En Baie de Bourgneuf, les faux sauniers ont toujours été en grand nombre (hommes, femmes, enfants) malgré les peines très sévères édictées contre eux. Ils dressaient notamment des chiens à faire la contrebande.
A Saumur existait une juridiction spécialisée dans les crimes de «faux saunages». Les peines encourues étaient sévères : amendes lourdes, fouet, galères, marquage au fer rouge d'un «G».
L'impôt sur le sel fut aboli par décret du 1er décembre 1790. Quand la gabelle fut supprimée, les gens ne furent pas tous satisfaits.
Bien des gabelous furent licenciés. Les nombreux faux sauniers n'eurent plus de travail.
C'est peut-être pour cette raison qu'on en retrouvera beaucoup dans la "chouannerie" et l'armée catholique et royale.

Le régime des gabelles :
1 - Le prix du sel était fortement taxé (20 fois son prix) et la consommation d'une certaine quantité de sel y était obligatoire; c'est le «sel du devoir» réservé seulement "au pot et à la salière", le sel destiné aux salaisons étant tout différent.
2 - L'impôt atteint 5 à 10 fois la valeur du sel; les habitants peuvent acheter aux greniers de leur choix la quantité qu'ils désirent.
3 - La taxe atteint 5 fois le prix de la marchandise et la consommation est imposée. Ces pays étaient ainsi nommés parce qu'ils tiraient leur sel, non pas des marais salants, mais des salines de Franche-Comté et de Lorraine.
4 - La gabelle y fut supprimée par Henri II moyennant une lourde indemnité. La consommation des gens était limitée et l'approvisionnement devait se faire dans des greniers désignés.
5 - Les pays de «Quart Bouillon» : ce nom venait de ce que les sauneries de ces pays, où l'on faisait bouillir un sable imprégné d'eau de mer, devaient remettre gratis dans les greniers du Roi un quart de leur fabrication.
6 - Les Pays Francs ne payent pas de gabelle. La Bretagne bénéficie d'un régime spécial depuis le traité passé en 1491 entre Charles VII et la duchesse Anne de Bretagne. Le Pays de Retz est donc exempté de gabelle. »
Pour en savoir plus :
- La Gabelle, Encyclopédie Universalis.
- La chaise à sel sur Wikipédia.
- Le grenier à sel de la Société historique de Compiègne.
- Bateliers contrebandiers du sel : la Loire au temps de la gabelle, Françoise de Person.
- Contrebandiers du sel : la vie des faux sauniers au temps de la gabelle, Bernard Briais.
- Les vertus du sel : le sel de la mer, ses mystères et ses goûts, Laura Fronty.
Bonne journée.
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