L'esclavage et les mariages mixtes après 1802
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 07/09/2015 à 19h55
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Question d'origine :
Bonjour,
Je cherche des informations sur les mariages entre Blancs et personnes "de couleur" après l'interdiction des mariages mixtes par Napoléon Bonaparte en 1802. Ces mariages étant désormais interdits, les mariages mixtes contractés pendant la Révolution française ont-ils été annulés?
De même, avec le rétablissement de la traite des Noirs, les esclaves libérés pendant la Révolution ont-ils été remis sous le joug par les colons ou ont-ils conservé leur liberté?
Un grand merci d'avance pour vos réponses.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 10/09/2015 à 17h14
Il est relativement difficile de donner une réponse simple à votre question.
Le contexte lui-même est très compliqué. D’une part l’abolition de l’esclavage a été octroyée par une loi dont les décrets d’application n’ont jamais paru, dans une période très troublée. Les personnes concernées, esclaves des colonies, se trouvaient loin des lieux de décision. Les colons avaient tout intérêt à ne pas appliquer ces décisions. Et cette loi concerne seulement la période 1794 à 1802….
D’autre part les ouvrages consultés traitent plus de la politique de la révolution française et de Napoléon, du statut des esclaves et « gens de couleur » en général que de la question précise des mariages ; nous n’avons pas trouvé d’études particulières sur cette question.
Il vous faut donc vous faire une idée à partir des informations sur ce contexte général.
« Le décret du 16 pluviôse an II ( 4 février 1794) supprimait l’esclavage dans les colonies françaises. Il avait été voté par la Convention après la proclamation de l’abolition à Saint-Domingue en aout et septembre 1793 par les commissaires civils du gouvernement, Sonthonax et Polverel. Ces derniers sous la pression de la rébellion des esclaves de la colonie et des menaces d’invasion du territoire par les forces tant espagnoles qu’anglaises, avaient proclamé la liberté sans en référer à paris. La période de guerre coloniale qui avait débuté à Saint-Domingue en 1791 avec la rébellion des esclaves, qui s’était déclarée dans la nuit du 22 au 23 août, ne fit que s’amplifier jusqu’à la défaite des troupes françaises en novembre 1803 et la déclaration d’indépendance de la colonie au 1° janvier 1804. »
P 23
source : La France a-t-elle aboli l’esclavage?, de Nelly Schmidt
« L’analyse de la première abolition française de l’esclavage, en 1794, et de son annulation, en 1802, incita certains auteurs à qualifier de « farce » le vote du décret du 16 pluviôse an II, ou tout au moins d’ »imposture », de « dérisoire et tragique illusion ».
P 83
L’enthousiasme que suscita le vote du décret d’abolition du 16 pluviôse an II fut court, mais dense. Le procès-verbal de la séance de la convention témoigne d’applaudissements nourris à la lecture du texte : »La Convention nationale déclare aboli l’esclavage des nègres dans toutes les colonies : en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleurs, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous droits assurés par la constitution.
« Renvoie au Comité de salut public pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour l’exécution du décret. »
[…]
Le comité de salut public et le comité des colonies étaient chargés de rendre ce décret utile à l’humanité sans aucun danger pour elle. A l’évidence le décret de la convention avait accéléré une décision que les gouvernants souhaitaient en fait plus tardive et plus progressive.
Aux Caraïbes La Martinique était occupée par les Anglais depuis le 24 mars 1794, Sainte Lucie, depuis le 4 avril. La Convention envoya vers la Guadeloupe deux commissaires, Victor Hugues et Chrétien, avec pour mission de promulguer le décret et de réorganiser la vie sociale et politique. »
P90
source : L’abolition de l’esclavage .Cinq siècles de combats XVI°-XX° siècle, de Nelly Schmidt.
« Bonaparte ne remet pas en cause la situation dont il a hérité du Directoire. Il mène une politique conservatrice, qui maintient le décret de pluviôse et le principe de l’abolition, mais qui écarte toute tentative prosélyte pour étendre l’abolition là où elle n’a pas été appliquée (sous réserve de la mission de Cossigny Palma à l’île de France en octobre 1800).[…]
Dans les premiers temps du Consulat, Bonaparte s’en tient à une politique nuancée, l’attitude face à l’esclavage dépendant des circonstances locales. L’esclavage, aboli en Guadeloupe ou dans la partie française de Saint-Domingue, perdurera dans la partie espagnole ou aux Mascareignes.[…]
Toute la politique consulaire jusqu’en 1802 tournera autour de ce régime différencié : là où le décret de pluviôse a été reçu, il continuera à s’appliquer, car il serait impolitique d’adopter une attitude contraire (et parce que la chose est impossible) [45][45] Tant que les mers sont fermées, tant que la marine... ; là où le décret n’a pas été reçu, par hostilité des colons, par timidité des autorités républicaines ou du fait de l’occupation anglaise (ainsi en Martinique), l’esclavage ne sera pas remis en cause. Bonaparte n’a jamais varié sur ce point. »
source : L'esclavage de la Révolution à l'Empire. », Droits 1/2011 (n° 53), Boudon Julien, p. 3-28
« Peut-on parler d’un « rétablissement » de l’esclavage le 30 floréal an X ? On a souligné que le décret n’était rien d’autre qu’une formalisation de la doctrine formulée dans les premières années du Consulat »
Loi du 20 mai 1802
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS, BONAPARTE, premier Consul, PROCLAME loi de la République le décret suivant, rendu par le Corps législatif le 30 floréal an X, conformément à la proposition faite par le gouvernement le 27 dudit mois, communiquée au Tribunat le même jour.
DÉCRET.
ART. Ier Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens, du 6 Germinal an X, l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789.
II. Il en sera de même dans les autres colonies françaises au-delà du cap de Bonne-Espérance.
III. La traite des noirs et leur importation dans les dites colonies, auront lieu, conformément aux lois et règlements existants avant ladite époque de 1789.
IV. Nonobstant toutes lois antérieures, le régime des colonies est soumis, pendant dix ans, aux règlements qui seront faits par le Gouvernement.
source : Les abolitions
« En Guadeloupe, en Guyane puis après la réappropriation de la Martinique- où l’esclavage n’avait pas été aboli, les planteurs de l’île l’ayant soumis aux anglais dans ce but - , la reconstruction du système colonial fit l’objet, après son rétablissement et conformément à la loi du 20 mai 1802, de la mise au point de méthodes de gouvernement proches de celles qui étaient en vigueur avant 1789. »
P23
« Le cas de la Guadeloupe est significatif quant aux appréhensions du pouvoir central et de ses délégués au sujet de l’efficacité des mesures de retour à l’ordre esclavagiste. Victor Hugues avait été envoyé dans la colonie pour y proclamer la liberté – le 7 juin 1794 – qui se traduisit en fait par un système de travail forcé et de réquisitions imposé aux « cultivateurs », anciens esclaves. Le rétablissement de l’esclavage par Antoine Richepanse, par arrêté du 17 juillet 1802 (28 messidor an X), ne fut pas immédiatement suivi de l’effet escompté […]
Il était encore précisé en article 4 : « tous les hommes de couleur et Noirs qui ne seront pas porteurs d’un titre illégal d’affranchissement de tout service particulier, sont obligés dans les 24 heures pour les villes et dans les cinq jours pour les bourgs et les campagnes, de sortir des communes où ils peuvent se trouver, pour retourner dans les propriétés dont ils dépendaient avant la guerre ». Dès le lendemain de la promulgation de cet arrêté, Richepanse destituait par conséquent les « hommes de couleur » du titre de « citoyens » que leur avait reconnu la loi du 28 mars 1792. Il invoquait le fait que seuls les blancs pouvaient être considérés comme « indigènes de la population française». L’île était alors peuplée, selon les estimations de contemporains, de 11 960 Blancs, 14610 « hommes de couleurs » et 87156 esclaves. Une autre décision découlant de la précédente, prévoyait le désarmement des « hommes de couleurs » qui, déchus de leur titre de citoyens, ne pouvaient par conséquent être maintenus dans la garde nationale. Cette mesure provoqua le retour en esclavage d’une proposition considérable de personnes affranchies avant 1789 mais qui étaient dans l’incapacité de prouver leur liberté »[…]
Les esclaves qui avaient été libérés entre 1789 et 1794 devaient selon la nouvelle règlementation, racheter leur acte de liberté par le versement d’une taxe. La circulation des Noirs et « libres de couleur » étaient à nouveau contrôlée, leur entrée en France était interdite par l’arrêté du premier consul du 2 juillet 1802 qui ne faisait que reprendre le contenu de la déclaration par laquelle, le 9 août 1777 ; tout Noir ou « mulâtre »ne pouvait pénétrer sur le sol français sous peine d’emprisonnement. »
« En Guyane, le règlement général du 25 avril 1803 fixa à nouveau les règles de la servitude officiellement rétablie le 14 juin, ainsi que celles de la police des Noirs et « gens de couleurs libres ». Il remit explicitement en vigueur toute la législation antérieure à 1789 et le Code noir. »
« L’esclavage fut ainsi rétabli – ou « maintenu » , selon le terme de la loi du 20 mai 1802-, à quelques puissances que ces colonies appartiennent d’ailleurs. »
source : La France a-t-elle aboli l’esclavage?, de Nelly Schmidt
P25 et suivantes
« Ainsi en 1802, tant dans l’esprit du droit que dans sa lettre, il semble bien s’agir d’un retour au droit colonial de l’Ancien régime. Un arrêté consulaire du 13 messidor an X( 2 juillet 1802) renouvelle d’ailleurs la déclaration royale du 9 août 1777 interdisant aux »Noirs, mulâtres » et autres gens de couleur » de pénétrer sur le territoire métropolitain, et une circulaire du ministre de la justice du 18 nivôse an XI (8janvier 1803) interdisant aux officiers d’état civil la célébration des mariages entre Blancs et Noirs remet en vigueur la prohibition similaire édictée en 1778. »
source : Les colonies, la révolution française et la loi,
p 173
Il est donc clair que c’est le Code Noir qui est en application.
Nous vous renvoyons à l’ouvrage de Louis Sala-Molins qui commente notamment les prescriptions en matière de mariage et de concubinage :
source : le Code Noir ou le calvaire de Canaan,
Pour mémoire :
• Articles 5 et 6 des Edits de 1723 et 1724 :
« Défendons à nos sujets blancs de l’un et de l’autre sexe de contracter mariage avec les Noirs, à peine de punition et d’amende arbitraire, et à tous curés, prêtres ou missionnaires séculiers ou réguliers, et même aux aumôniers des vaisseaux de les marier ; défendons aussi à nosdits sujets blancs, même aux Noirs affranchis ou nés libres, de vivre en concubinage avec des esclaves ; voulons que ceux qui auront un ou plusieurs enfants d’une pareille conjonction, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, soient condamnés chacun en une amende de trois cents livres ; et s’ils sont maîtres de l’esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons qu’outre l’amende ils soient privés tant de l’esclave que des enfants, et qu’ils soient adjugés à l’hôpital des lieux, sans pouvoir jamais être affranchis ; n’entendons toutefois le présent article avoir lieu lorsque l’homme noir affranchi ou libre qui n’était pas marié durant son concubinage avec son esclave, épousera, dans les formes prescrites par l’Eglise, ladite esclave, qui sera affranchie par ce moyen, et les enfants rendus libres et légitimes. »
L’ensemble de ce contexte laisse peu de doute sur la possibilité que si mariages mixtes , il y avait eu, ils aient pu être déclarés nuls, mais nous n’en n’avons pas de traces. Vous pouvez peut-être chercher des informations plus précises à partir de l’article "Le retour du droit colonial réactionnaire sous le régime napoléonien" dans le livre précédemment cité : Les colonies, la révolution française et la loi. On y trouve p 173, en note, un renvoi à de la jurisprudence concernant les mariages ?
A suivre...
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