Quel pourcentage de noms féminins dans la langue française ?
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 21/09/2015 à 18h34
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Question d'origine :
Je voudrais savoir quel est le pourcentage de noms féminins (et donc masculins) dans la langue française ? Merci pour votre réponse.
Réponse du Guichet

Bonjour,
Dans une de nos réponses portant sur le féminin et masculin nous expliquions que le service du dictionnaire de l’Académie française nous a informé que dans la partie consultable en ligne de la neuvième édition, actuellement en cours de réalisation, du Dictionnaire de l'Académie française (de A à Onglette), on compte 8354 noms féminins et 10021 noms masculins.
Nous avions alors interrogé la version électronique du Petit Robert édité en 2001. En effectuant une recherche avancée en texte intégral des abréviations n.m. et n.f., le dictionnaire signale19000 occurrences pour n.m. et 14494 occurrences pour n.f.
Mais, si le masculin l’emporte sur le féminin, il importe de s’interroger pourquoi. En effet, de nombreux mouvements féministes se sont intéressés à cette problématique qui se révèle éminemment... politique. Comme le relate l’article « genre et désaccord » publié dans Le Monde (samedi 14 janvier 2012), aujourd'hui, certaines féministes rêvent pourtant de bousculer ce bel ordonnancement linguistique régi par une institution vieille de bientôt quatre siècles. Le monde a changé, proclament-elles, il serait bon que la langue française en prenne acte. L'objet de leur courroux est une règle de grammaire dont l'énoncé leur semble provenir d'un autre monde : « Le masculin l'emporte sur le féminin. » Au nom de ce principe, l'adjectif qui qualifie plusieurs noms de genres différents s'accorde automatiquement au masculin : les garçons et les filles sont ainsi prêts pour l'école, de la même manière que les hommes et les femmes sont beaux. L'adjectif se met en effet au « genre indifférencié, c'est-à-dire au masculin », résume Le Bon Usage de Maurice Grevisse. « Dans les représentations, cette règle fait des femmes et du féminin les invisibles de la langue », s'insurge Clara Domingues, docteure ès lettres et secrétaire générale de l'association L'égalité, c'est pas sorcier.
Pour tenter de « révolutionner les écrits, les correcteurs d'orthographe et nos habitudes », L'égalité, c'est pas sorcier, la Ligue de l'enseignement, Le monde selon les femmes et Femmes solidaires ont lancé une pétition - « Que les hommes et les femmes soient belles ! » -, qui demande à l'Académie française de réformer l'accord de l'adjectif (…) Contrairement à ce que certains pourraient penser, la règle de proximité n'a rien d'une élucubration féministe du XXIe siècle. En grec ancien, l'adjectif épithète qualifiant des noms de genres différents ne se mettait pas systématiquement au masculin, comme il le fait aujourd'hui en français : il s'accordait avec le nom le plus proche, en vertu de la fameuse règle de proximité. Le Grand Dictionnaire des lettres (Larousse) souligne qu'en latin il en était de même : « Au latin remonte l'accord de l'épithète, s'il y a plus d'un nom support, avec le plus rapproché, précise l'ouvrage. Cet usage domine (irrégulièrement) en ancien français. » Et de citer la Chanson de Roland, qui applique, lorsqu'elle raconte la mort du chevalier à Roncevaux, la règle de proximité défendue par les féministes de 2012. « La langue du Moyen Age pratiquait ordinairement l'accord avec le donneur le plus proche, confirme l'ouvrage de Grevisse. Les auteurs du XVIIe et même ceux du XVIIIe suivaient encore assez souvent l'ancien usage. »
A cette époque où l'Académie française voit le jour, la règle de proximité est encore très présente mais elle fait l'objet de débats : elle chagrine le poète François de Malherbe (1555-1628) mais elle ne déplaît pas au grammairien Claude Favre de Vaugelas (1585-1650) - l'un des premiers membres de l'Académie ! -, qui recommande d'écrire « le coeur et la bouche ouverte » ou « des travaux et des chaleurs excessives ». Dans ses Remarques nouvelles sur la langue française (1675), l'abbé Bouhours estime cependant que ces phrases ont, « ce me semble, quelque chose qui fait de la peine » : il avoue n'avoir « jamais pu se résoudre » à appliquer une règle qui « laisse ainsi un substantif en l'air » - le malheureux nom masculin, auquel l'adjectif ne fait plus écho. Racine, lui, utilise tour à tour les deux constructions, écrivant, par exemple, dans Athalie (1691) : « Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières. »
La règle précisant que le masculin l'emporte sur le féminin finit par s'imposer au XVIIIe pour des raisons qui ne doivent pas grand-chose à la linguistique : à cette époque, la supériorité masculine va tout simplement de soi. « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte », affirme l'abbé Bouhours en 1675. « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », complète élégamment, en 1767, le grammairien Nicolas Beauzée. « Cette règle grammaticale qui instaure la domination du masculin sur le féminin est historiquement très datée : elle nous renvoie à la monarchie absolue, au Roi-Soleil et au catholicisme triomphant, regrette Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherches au CNRS. La langue, c'est l'architecture de la pensée. Nous sommes au XXIe siècle : adoptons donc la règle de proximité, qui est plus simple et plus esthétique. Elle sonne mieux à l'oreille, elle offre plus de liberté dans l'écriture, et surtout, elle est plus égalitaire. » (…)
Car l'Académie veille. Et l'Académie n'aime guère les révolutions. En présentant les ajustements orthographiques de 1990, le secrétaire perpétuel de cette vénérable assemblée, Maurice Druon, avait fermement écarté l'idée d'une « réforme bouleversante qui eût altéré le visage familier du français » : il préconisait au contraire de « sages » aménagements correspondant à « l'évolution de l'usage ». Autant dire que la règle de proximité ne correspond pas à ces critères. « La règle de l'accord de l'adjectif est d'un usage constant depuis trois siècles, et je n'ai pas l'impression qu'elle fasse l'objet de débats chez les grammairiens, ni que l'usage, chez les Français, soit hésitant, note Patrick Vannier, chargé de mission au service du dictionnaire de l'Académie. L'Académie ne cède pas aux modes, elle s'inscrit dans la durée. Et c'est normal : nous sommes tous attachés à la langue que nous avons apprise. Les réformes de l'orthographe demandent toujours du temps pour s'installer dans l'usage. »
L'Académie française, qui a attendu 1980 pour accueillir sa première Immortelle - Marguerite Yourcenar -, sait ce que patience veut dire : bien que les femmes aient massivement investi le monde du travail, la dernière édition de son dictionnaire considère encore qu'une présidente n'est pas une femme qui exerce les fonctions de président mais l'épouse d'un président, comme la présidente de Tourvel dans Les Liaisons dangereuses.
Cette touche surannée qui ramène les femmes plus de deux siècles en arrière est un peu la marque de fabrique de l'Académie : lors du débat sur la féminisation des noms, à la fin des années 1990, elle avait élaboré une distinction acrobatique entre la fonction - qui fait abstraction du sexe et qui ne peut être féminisée - et l'activité - qui peut l'être car elle relève d'une identité personnelle…
Afin de méditer sur la proportion de noms masculins et féminins dans la langue française, nous vous suggérons ces lectures très instructives :
* Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française/ Éliane Viennot, 2014 : Le long effort des grammairiens et des académiciens pour masculiniser le français a suscité de vives résistances chez celles et ceux qui, longtemps, ont parlé et écrit cette langue sans appliquer des règles contraires à sa logique. La domination du genre masculin sur le genre féminin initiée au XVIIe siècle ne s’est en effet imposée qu’à la fin du XIXe avec l’instruction obligatoire. Depuis, des générations d’écolières et d’écoliers répètent inlassablement que « le masculin l’emporte sur le féminin », se préparant ainsi à occuper des places différentes et hiérarchisées dans la société. Ce livre retrace l’histoire d’une entreprise à la misogynie affirmée ou honteuse, selon les époques. Riche en exemples empruntés aux deux camps, il nous convie à un parcours plein de surprises où l’on en apprend de belles sur la « virilisation » des noms de métier, sur les usages qui prévalaient en matière d’accords, sur l’utilisation des pronoms ou sur les opérations « trans-genre » subies par certains mots.
* Les mots ont un sexe : pourquoi "marmotte" n'est pas le féminin de "marmot", et autres curiosités de genre / Marina Yaguello, 2014 : La langue est-elle machiste ? Pourquoi certains noms comme orateur ou syndic sont-ils privés de féminin ? Faut-il modifier le genre des mots par attachement à l'égalité des sexes ? C'est à toutes ces questions et bien d'autres que Marina Yaguello répond, de façon érudite mais jamais pédante, fidèle à son credo selon lequel la linguistique n'est pas qu'une affaire de spécialistes.
Dans une de nos réponses portant sur le féminin et masculin nous expliquions que le service du dictionnaire de l’Académie française nous a informé que dans la partie consultable en ligne de la neuvième édition, actuellement en cours de réalisation, du Dictionnaire de l'Académie française (de A à Onglette), on compte 8354 noms féminins et 10021 noms masculins.
Nous avions alors interrogé la version électronique du Petit Robert édité en 2001. En effectuant une recherche avancée en texte intégral des abréviations n.m. et n.f., le dictionnaire signale
Mais, si le masculin l’emporte sur le féminin, il importe de s’interroger pourquoi. En effet, de nombreux mouvements féministes se sont intéressés à cette problématique qui se révèle éminemment... politique. Comme le relate l’article « genre et désaccord » publié dans Le Monde (samedi 14 janvier 2012), aujourd'hui, certaines féministes rêvent pourtant de bousculer ce bel ordonnancement linguistique régi par une institution vieille de bientôt quatre siècles. Le monde a changé, proclament-elles, il serait bon que la langue française en prenne acte. L'objet de leur courroux est une règle de grammaire dont l'énoncé leur semble provenir d'un autre monde : « Le masculin l'emporte sur le féminin. » Au nom de ce principe, l'adjectif qui qualifie plusieurs noms de genres différents s'accorde automatiquement au masculin : les garçons et les filles sont ainsi prêts pour l'école, de la même manière que les hommes et les femmes sont beaux. L'adjectif se met en effet au « genre indifférencié, c'est-à-dire au masculin », résume Le Bon Usage de Maurice Grevisse. « Dans les représentations, cette règle fait des femmes et du féminin les invisibles de la langue », s'insurge Clara Domingues, docteure ès lettres et secrétaire générale de l'association L'égalité, c'est pas sorcier.
Pour tenter de « révolutionner les écrits, les correcteurs d'orthographe et nos habitudes », L'égalité, c'est pas sorcier, la Ligue de l'enseignement, Le monde selon les femmes et Femmes solidaires ont lancé une pétition - « Que les hommes et les femmes soient belles ! » -, qui demande à l'Académie française de réformer l'accord de l'adjectif (…) Contrairement à ce que certains pourraient penser, la règle de proximité n'a rien d'une élucubration féministe du XXIe siècle. En grec ancien, l'adjectif épithète qualifiant des noms de genres différents ne se mettait pas systématiquement au masculin, comme il le fait aujourd'hui en français : il s'accordait avec le nom le plus proche, en vertu de la fameuse règle de proximité. Le Grand Dictionnaire des lettres (Larousse) souligne qu'en latin il en était de même : « Au latin remonte l'accord de l'épithète, s'il y a plus d'un nom support, avec le plus rapproché, précise l'ouvrage. Cet usage domine (irrégulièrement) en ancien français. » Et de citer la Chanson de Roland, qui applique, lorsqu'elle raconte la mort du chevalier à Roncevaux, la règle de proximité défendue par les féministes de 2012. « La langue du Moyen Age pratiquait ordinairement l'accord avec le donneur le plus proche, confirme l'ouvrage de Grevisse. Les auteurs du XVIIe et même ceux du XVIIIe suivaient encore assez souvent l'ancien usage. »
A cette époque où l'Académie française voit le jour, la règle de proximité est encore très présente mais elle fait l'objet de débats : elle chagrine le poète François de Malherbe (1555-1628) mais elle ne déplaît pas au grammairien Claude Favre de Vaugelas (1585-1650) - l'un des premiers membres de l'Académie ! -, qui recommande d'écrire « le coeur et la bouche ouverte » ou « des travaux et des chaleurs excessives ». Dans ses Remarques nouvelles sur la langue française (1675), l'abbé Bouhours estime cependant que ces phrases ont, « ce me semble, quelque chose qui fait de la peine » : il avoue n'avoir « jamais pu se résoudre » à appliquer une règle qui « laisse ainsi un substantif en l'air » - le malheureux nom masculin, auquel l'adjectif ne fait plus écho. Racine, lui, utilise tour à tour les deux constructions, écrivant, par exemple, dans Athalie (1691) : « Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières. »
La règle précisant que le masculin l'emporte sur le féminin finit par s'imposer au XVIIIe pour des raisons qui ne doivent pas grand-chose à la linguistique : à cette époque, la supériorité masculine va tout simplement de soi. « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte », affirme l'abbé Bouhours en 1675. « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », complète élégamment, en 1767, le grammairien Nicolas Beauzée. « Cette règle grammaticale qui instaure la domination du masculin sur le féminin est historiquement très datée : elle nous renvoie à la monarchie absolue, au Roi-Soleil et au catholicisme triomphant, regrette Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherches au CNRS. La langue, c'est l'architecture de la pensée. Nous sommes au XXIe siècle : adoptons donc la règle de proximité, qui est plus simple et plus esthétique. Elle sonne mieux à l'oreille, elle offre plus de liberté dans l'écriture, et surtout, elle est plus égalitaire. » (…)
Car l'Académie veille. Et l'Académie n'aime guère les révolutions. En présentant les ajustements orthographiques de 1990, le secrétaire perpétuel de cette vénérable assemblée, Maurice Druon, avait fermement écarté l'idée d'une « réforme bouleversante qui eût altéré le visage familier du français » : il préconisait au contraire de « sages » aménagements correspondant à « l'évolution de l'usage ». Autant dire que la règle de proximité ne correspond pas à ces critères. « La règle de l'accord de l'adjectif est d'un usage constant depuis trois siècles, et je n'ai pas l'impression qu'elle fasse l'objet de débats chez les grammairiens, ni que l'usage, chez les Français, soit hésitant, note Patrick Vannier, chargé de mission au service du dictionnaire de l'Académie. L'Académie ne cède pas aux modes, elle s'inscrit dans la durée. Et c'est normal : nous sommes tous attachés à la langue que nous avons apprise. Les réformes de l'orthographe demandent toujours du temps pour s'installer dans l'usage. »
L'Académie française, qui a attendu 1980 pour accueillir sa première Immortelle - Marguerite Yourcenar -, sait ce que patience veut dire : bien que les femmes aient massivement investi le monde du travail, la dernière édition de son dictionnaire considère encore qu'une présidente n'est pas une femme qui exerce les fonctions de président mais l'épouse d'un président, comme la présidente de Tourvel dans Les Liaisons dangereuses.
Cette touche surannée qui ramène les femmes plus de deux siècles en arrière est un peu la marque de fabrique de l'Académie : lors du débat sur la féminisation des noms, à la fin des années 1990, elle avait élaboré une distinction acrobatique entre la fonction - qui fait abstraction du sexe et qui ne peut être féminisée - et l'activité - qui peut l'être car elle relève d'une identité personnelle…
Afin de méditer sur la proportion de noms masculins et féminins dans la langue française, nous vous suggérons ces lectures très instructives :
* Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française/ Éliane Viennot, 2014 : Le long effort des grammairiens et des académiciens pour masculiniser le français a suscité de vives résistances chez celles et ceux qui, longtemps, ont parlé et écrit cette langue sans appliquer des règles contraires à sa logique. La domination du genre masculin sur le genre féminin initiée au XVIIe siècle ne s’est en effet imposée qu’à la fin du XIXe avec l’instruction obligatoire. Depuis, des générations d’écolières et d’écoliers répètent inlassablement que « le masculin l’emporte sur le féminin », se préparant ainsi à occuper des places différentes et hiérarchisées dans la société. Ce livre retrace l’histoire d’une entreprise à la misogynie affirmée ou honteuse, selon les époques. Riche en exemples empruntés aux deux camps, il nous convie à un parcours plein de surprises où l’on en apprend de belles sur la « virilisation » des noms de métier, sur les usages qui prévalaient en matière d’accords, sur l’utilisation des pronoms ou sur les opérations « trans-genre » subies par certains mots.
* Les mots ont un sexe : pourquoi "marmotte" n'est pas le féminin de "marmot", et autres curiosités de genre / Marina Yaguello, 2014 : La langue est-elle machiste ? Pourquoi certains noms comme orateur ou syndic sont-ils privés de féminin ? Faut-il modifier le genre des mots par attachement à l'égalité des sexes ? C'est à toutes ces questions et bien d'autres que Marina Yaguello répond, de façon érudite mais jamais pédante, fidèle à son credo selon lequel la linguistique n'est pas qu'une affaire de spécialistes.
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