Question d'origine :
Je voudrais savoir quels philosophes (ou quelle école de philosophie) se penchent sur la question de savoir si l'on peut parler d'une chose sans la nommer. Lorsqu'un mot existe (ex: État), le fait de ne pas l'employer signifie-t-il que l'on ne s'y intéresse pas ?
Merci beaucoup.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 31/10/2015 à 16h09
Bonjour,
La première partie de votre question oriente notre réponse vers la philosophie du langage, dont vous trouverez les principaux représentants et leur pensée dans Le langage, France Farago. Le courant pragmatique a par exemple étudié le cas de l’implicite dans le discours et particulièrement Oswald Ducrot, dont le travail est présenté dans l’extrait ci-dessous :
« La justification du recours discursif à l’implicite et, partant, de sa constitution en objet de la linguistique vient de l’importance tenue par ce mécanisme de construction du sens dans l’activité des locuteurs :
« Or on a bien fréquemment besoin, à la fois de dire certaines choses, et de pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dire, mais de façon telle qu’on puisse en refuser la responsabilité. »
Ce recours est rapporté à deux types de raison. Tout d’abord, une raison culturelle en vertu de laquelle certaines limites éthiques sont imposées à ce qui peut se dire ouvertement :
« Elle tient d’abord au fait qu’il y a, dans toute collectivité, même dans la plus apparemment libérale, voire libre, un ensemble non négligeable de tabous linguistiques […] Ce qui importe davantage, vu notre propos, c’est qu’il y a des thèmes entiers qui sont frappés d’interdit et protégés par une sorte de loi du silence (il y a des formes d’activité, des sentiments, des évènements, dont on ne parle pas). […] ».
L’autre raison est liée à la conduite de l’échange. Elle constitue donc moins une justification éthique qu’une justification pratique, sinon « politique » :
"Une seconde origine possible au besoin d’implicite tient au fait que toute affirmation explicitée devient, par cela même, objet de discussions possibles. Tout ce qui est dit peut être contredit. De sorte qu’on ne saurait annoncer une opinion ou un désir, sans les désigner du même coup aux objections éventuelles des interlocuteurs. […] Il est donc nécessaire à toute croyance fondamentale, qu’il s’agisse d’une idéologie sociale ou d’un parti pris personnel, de trouver, si elle exprime, un moyen d’expression qui ne l’étale pas, qui n’en fasse pas un objet assignable et donc contestable. »
C’est cette seconde raison qui rend nécessaire l’étude des différentes modalités de l’implicite. Car les perspectives que ce domaine d’étude ouvre à l’analyse linguistique introduisent à l’examen de l’aspect stratégique de l’utilisation du langage. »
Nous vous laissons découvrir ces modalités de l’implicite dans la suite de l’extrait de Précis de pragmatique, Georges-Elia Sarfati (p. 60-61), qui analyse des textes de Dire et ne pas dire, Oswald Ducrot.
Cet aspect stratégique de l’utilisation du langage, ainsi que la deuxième phrase de votre question (même si nous n’avons pas vraiment compris le rapport avec la première ) nous amène aussi à vous orienter vers des analyses du discours politique, avec des penseurs de philosophie politique :
- Machiavel dans Le Prince . Voir par exemple : Les règles de l’interaction, Roberto Miguelez, chapitre La parole et la socialité chez Machiavel et Hobbes, paragraphe La parole chez Machiavel p. 71
- Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme
- Herbert Marcuse dans L’homme unidimensionnel, chapitre : L’univers du discours clos.
On pourrait aussi penser à tout ce qui a trait à la langue de bois : Etes-vous xyloglotte ou coment la langue de bois pourrit notre vie collective, Michel Puech, Philosophie magazine, article Langue de bois, Wikipedia.
Mais en l’absence de tout contexte pour votre questionnement, on pourrait tout aussi bien chercher du côté de l’évitement des tabous (illustré très explicitement par ce poème Le mot et la chose, de l’Abbé de L’Atteignant), ou de l’art de détourner la censure. Un peu comme si vous aviez dit sans dire et que votre interlocuteur n’ait pas vraiment compris le message …
Bonnes lectures !
La première partie de votre question oriente notre réponse vers la philosophie du langage, dont vous trouverez les principaux représentants et leur pensée dans Le langage, France Farago. Le courant pragmatique a par exemple étudié le cas de l’implicite dans le discours et particulièrement Oswald Ducrot, dont le travail est présenté dans l’extrait ci-dessous :
« La justification du recours discursif à l’implicite et, partant, de sa constitution en objet de la linguistique vient de l’importance tenue par ce mécanisme de construction du sens dans l’activité des locuteurs :
« Or on a bien fréquemment besoin, à la fois de dire certaines choses, et de pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dire, mais de façon telle qu’on puisse en refuser la responsabilité. »
Ce recours est rapporté à deux types de raison. Tout d’abord, une raison culturelle en vertu de laquelle certaines limites éthiques sont imposées à ce qui peut se dire ouvertement :
« Elle tient d’abord au fait qu’il y a, dans toute collectivité, même dans la plus apparemment libérale, voire libre, un ensemble non négligeable de tabous linguistiques […] Ce qui importe davantage, vu notre propos, c’est qu’il y a des thèmes entiers qui sont frappés d’interdit et protégés par une sorte de loi du silence (il y a des formes d’activité, des sentiments, des évènements, dont on ne parle pas). […] ».
L’autre raison est liée à la conduite de l’échange. Elle constitue donc moins une justification éthique qu’une justification pratique, sinon « politique » :
"Une seconde origine possible au besoin d’implicite tient au fait que toute affirmation explicitée devient, par cela même, objet de discussions possibles. Tout ce qui est dit peut être contredit. De sorte qu’on ne saurait annoncer une opinion ou un désir, sans les désigner du même coup aux objections éventuelles des interlocuteurs. […] Il est donc nécessaire à toute croyance fondamentale, qu’il s’agisse d’une idéologie sociale ou d’un parti pris personnel, de trouver, si elle exprime, un moyen d’expression qui ne l’étale pas, qui n’en fasse pas un objet assignable et donc contestable. »
C’est cette seconde raison qui rend nécessaire l’étude des différentes modalités de l’implicite. Car les perspectives que ce domaine d’étude ouvre à l’analyse linguistique introduisent à l’examen de l’aspect stratégique de l’utilisation du langage. »
Nous vous laissons découvrir ces modalités de l’implicite dans la suite de l’extrait de Précis de pragmatique, Georges-Elia Sarfati (p. 60-61), qui analyse des textes de Dire et ne pas dire, Oswald Ducrot.
Cet aspect stratégique de l’utilisation du langage, ainsi que la deuxième phrase de votre question (même si nous n’avons pas vraiment compris le rapport avec la première ) nous amène aussi à vous orienter vers des analyses du discours politique, avec des penseurs de philosophie politique :
- Machiavel dans Le Prince . Voir par exemple : Les règles de l’interaction, Roberto Miguelez, chapitre La parole et la socialité chez Machiavel et Hobbes, paragraphe La parole chez Machiavel p. 71
- Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme
- Herbert Marcuse dans L’homme unidimensionnel, chapitre : L’univers du discours clos.
On pourrait aussi penser à tout ce qui a trait à la langue de bois : Etes-vous xyloglotte ou coment la langue de bois pourrit notre vie collective, Michel Puech, Philosophie magazine, article Langue de bois, Wikipedia.
Mais en l’absence de tout contexte pour votre questionnement, on pourrait tout aussi bien chercher du côté de l’évitement des tabous (illustré très explicitement par ce poème Le mot et la chose, de l’Abbé de L’Atteignant), ou de l’art de détourner la censure. Un peu comme si vous aviez dit sans dire et que votre interlocuteur n’ait pas vraiment compris le message …
Bonnes lectures !
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter