Les habitants de Lugdunum étaient-ils ségusiaves ?
LYON, MÉTROPOLE ET RÉGION
+ DE 2 ANS
Le 25/06/2016 à 20h43
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Question d'origine :
Merci.
Je me demandais aussi quelle était la proportion de colons romain dans la ville.
Réponse du Guichet

Difficile de savoir quelle était la composition de la population lyonnaise dans l’antiquité. Les données dont on dispose aujourd’hui sur la ville antique proviennent de l’analyse des vestiges archéologiques et des sources épigraphiques, et c’est l’interprétation de ces éléments éparses qui nourrit l’historiographie lyonnaise. Les fouilles entreprises à la fin du 20e et au début du 21e siècle ont fortement bougé les lignes de cette histoire antique, fortement teintée de mythologie dans les siècles précédents. Les hypothèses élaborées aujourd’hui seront certainement encore bousculées par les découvertes faites à l’avenir lors de nouvelles fouilles d’archéologie préventive.
Concernant les peuples gaulois ayant occupé le site lyonnais avant l'implantation de la colonie romaine, plusieurs auteurs s’accordent à dire que le site lyonnais se situait sur le territoire des Ségusiaves, comme Gérard Lucas dans sa contribution à l’ouvrage Lugdunum, naissance d’une capitale, une exposition du Musée gallo-romain de Lyon en 2005 : « Histoire d’une fondation : Colonia copia Felix Munatia ». La carte des peuples gaulois publiée p. 144 du livre Lyon avant Lugdunum, autre exposition du Musée de la civilisation gallo-romaine en 2003, montre que Lyon se situe à la jonction des territoires des Ségusiaves, des Allobroges et des Séquanes.
Dans le numéro spécial d’Archéologia n°415 (2004) intitulé Lyon, de la préhistoire au Moyen âge : 30 ans de découvertes dans la capitale des Gaules, plusieurs articles s’intéressent à la présence gauloise sur le site Lyonnais avant la création de la colonie romaine. La présence gauloise dans la colonie romaine n'y est quant à elle pas abordée.
Voici ce qu’écrivent Matthieu Poux et Romain Pigeaud dans leur article intitulé Lyon protohistorique :
« Lyon est donc devenu une plaque tournante du commerce fluvial, ainsi qu’un lieu de rassemblement périodique important avec ses enclos : Ségusiaves, Allobroges, Ambarres ont peut-être ensemble fréquenté ces lieux. Le géographe grec Strabon est le premier à mentionner l’emporion (sorte de port de commerce) de Lougoudounon), vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. Dans un des fossés du Verbe Incarné, un umbo de bouclier caractéristique de l’équipement légionnaire de la République romaine sème le trouble : est-il venu là de manière pacifique, ou est-ce la trace d’un conflit survenu avant la Guerre des Gaules ? Un camp romain existait-il finalement en ces lieux ? Marque-t-il la venue des colons romains chassés de Vienne ? Car la bourgade encore établie sur la plaine de Vaise se romanise lentement mais sûrement. A la limite de la province de Narbonnaise, elle a sans doute servi de port de transbordement. (…) Autre signe de métissage culturel : dans le quartier Saint-Vincent, un atelier produisait des céramiques à pâte claire de tradition méditerranéenne. Lougoudounon accueille donc des commerçants romains, avant que les colons chassés de Viennent n’accourent s’y abriter et n’entraînent le processus inéluctable de son inclusion dans l’orbite romaine.
Voir aussi p. 32 Lyon gaulois : au-delà du mythe, par Catherine Bellon (INRAP) et Franck Perrin (Université Lyon 2)
Voici ce qu'écrivent Jean Burdy et André Pelletier dans Guide du Lyon Gallo-romain :
« Qui étaient ces colons ? Peut-être des vétérans d’une légion césarienne, la Ve Alouette, ce qui expliquerait, entre autres, qu’au moment du conflit de 68-69 entre Viennois et Lyonnais, ceux-ci aient solennellement rappelé l’origine militaire de leurs ancêtres. En outre, il est fort possible qu’à ce noyau de vétérans romains se soient, lors de la fondation, joints des vétérans de Munatius Plancus.Leur nombre total ? Nous l’ignorons. »
« Jusqu’au milieu du IIe siècle, la prospérité règne à Lyon comme dans tout l’empire. Débordant de son cadre primitif, la ville s’étale largement sur les deux rives de la Saône et dans la Presqu’île. (…) La population, où se côtoient toutes les nationalités, avec quelques fortes colonies d’Orientaux et de Gaulois, atteint peut-être 50 000 habitants, ce qui fait de Lyon, indiscutablement, l’une des deux villes avec Narbonne, les plus peuplées de la Gaule. »
Dans Lyon, miroir de Rome (1979), Aimable Audin se penche sur les Lyonnais. «Les réfugiés viennois, les vétérans césariens, les Ségusiaves qui qui hantaient les deux bourgs, à qui ont-il donné naissance ? (…) A Lyon, ville cosmopolite, le sang oriental coulait généreusement dans les veines celtiques et romaines des premiers lyonnais. (…) De ce dosage, de ces conséquences, deux sources nous informent. (…)
« L’évolution de la population grecque à Lugdunum
Parmi les observations qu’autorise l’étude des épitaphes lyonnaises, la plus révélatrice concerne la proportion de noms grecs : 243 sur 1116. Bien sûr, tous les individus à noms grecs n’étaient pas obligatoirement des Orientaux. Mais combien l’inverse est plus exact ! Tous les Orientaux de race ne portaient pas des noms grecs. (…) Sur la large base de l’épigraphie lyonnaise, il est possible de tenter une répartition des noms grecs aux diverses époques. A Lugdunum, capitale administrative des Gaules, ils paraissent au début du 1er siècle dans la proportion de 19%, pour passer à 24 au milieu du siècle et à 30 à la fin. Enuite se marque une chute avec 17% au milieu du IIe siècle et une remontée à 30 à la fin du IIe et au IIIe siècle. »
« Les celtes ne sont pas effacés
Une quarantaine de noms gaulois autorisent une expérience analogue. Moins fine toutefois à cause de la minceur de l’éventail, elle n’est pas moins révélatrice. Certes, les gens du crû devaient abonder à Lyon dès l’origine de la ville. Il s’en faut qu’aux différentes époques ils aient exprimé cette origine de même manière. Ce qui émane de l’étude des noms contrepointe exactement l’évolution des noms grecs, et pour les mêmes raisons. (…) les Gaulois du Ier siècle dissimulent une origine que la condition servile a dépréciée pour plusieurs générations. Au début du siècle suivant, tout cela est oublié et les noms gaulois réapparaissent peu à peu. »
Voilà qui ne nous donne hélas pas la proportion de colons d’origine romaine à Lugdunum.
Un autre auteur aborde la question de la population indigène au sein de la nouvelle colonie de Lugdunum, sans cependant avancer de chiffres. Voici quelques extraits de la contribution de Matthieu Poux, Plancus à Lyon, publiée dans Lugdunum, naissance d’une capitale, dans lequel il émet des hypothèses sur le peuplement rapide de la colonie :
« Est-il vraiment concevable que la construction de Lugdunum se soit faite sans le concours des indigènes, dont le rôle se serait réduit à celui d’esclaves chargés de bâtir la cité de leurs nouveaux maîtres ? Cette question devrait être tranchée par l’étude des inscriptions et des objets découverts sur le site, qui permettent d’identifier la part d’immigrants et d’autochtones, de civils et de militaires, parmi les premiers habitants de Lugdunum.
(…) Avant, comme après la conquête romaine, les chiffres donnés par les textes et la taille des vestiges archéologiques nous confrontent à une réalité démographique qui est incontournable. Moins de quarante ans après sa fondation, la colonie de Lugdunum est déjà la plus peuplée de Gaule après Narbonne, si l’on en croit Strabon. D’après la capacité d’accueil des principaux lieux de spectacles de la cité, elle abritait plus de 35000 habitants. Il est difficile d’y voir uniquement le résultat d’une explosion démographique, due à l’arrivée de colons immigrés de Vienne, d’Italie ou des autres provinces. Plus de 600 inscriptions recueillies à Lyon témoignent, il est vrai, d’une population très cosmopolite, aux noms forgés dans tous les recoins de l’Empire. Mais les patronymes gaulois, adaptés ou non à la norme romaine des tria nomina, y prédominent très largement. Ce qui laisse à supposer qu’une large part de populations autochtones, établies sur le site ou à proximité, a été intégrée à la colonie dès sa fondation.
(…) L’épigraphie nous enseigne que l’élite indigène jouera, aux côtés de l’occupant, un rôle de tout premier plan dans le développement de la ville. Loin d’être « quantité négligeable » dans ce processus de fondation, ces Celtes devenus Gallo-romains sont les véritables bâtisseurs et les principaux acteurs de la ville romaine de Lugdunum.»
A lire pour aller plus loin :
La Population de Lugdunum au IIe siècle, par Amable Audin (Cahiers d’histoire, 1970)
Gens de Lugdunum, Amable Audin, 1986
Recherches sur l'évaluation de la population des Gaules et de Lugdunum et la durée de la vie chez les habitants de cette ville du Ier au IVe siècle par le Dr Humbert Mollière, 1892
La Gaule Lyonnaise d’Alain Ferdière (2011), qui s’intéresse à la population et au phénomène de romanisation au sein de la province de la Gaule lyonnaise.
Concernant les peuples gaulois ayant occupé le site lyonnais avant l'implantation de la colonie romaine, plusieurs auteurs s’accordent à dire que le site lyonnais se situait sur le territoire des Ségusiaves, comme Gérard Lucas dans sa contribution à l’ouvrage Lugdunum, naissance d’une capitale, une exposition du Musée gallo-romain de Lyon en 2005 : « Histoire d’une fondation : Colonia copia Felix Munatia ». La carte des peuples gaulois publiée p. 144 du livre Lyon avant Lugdunum, autre exposition du Musée de la civilisation gallo-romaine en 2003, montre que Lyon se situe à la jonction des territoires des Ségusiaves, des Allobroges et des Séquanes.
Dans le numéro spécial d’Archéologia n°415 (2004) intitulé Lyon, de la préhistoire au Moyen âge : 30 ans de découvertes dans la capitale des Gaules, plusieurs articles s’intéressent à la présence gauloise sur le site Lyonnais avant la création de la colonie romaine. La présence gauloise dans la colonie romaine n'y est quant à elle pas abordée.
Voici ce qu’écrivent Matthieu Poux et Romain Pigeaud dans leur article intitulé Lyon protohistorique :
« Lyon est donc devenu une plaque tournante du commerce fluvial, ainsi qu’un lieu de rassemblement périodique important avec ses enclos : Ségusiaves, Allobroges, Ambarres ont peut-être ensemble fréquenté ces lieux. Le géographe grec Strabon est le premier à mentionner l’emporion (sorte de port de commerce) de Lougoudounon), vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. Dans un des fossés du Verbe Incarné, un umbo de bouclier caractéristique de l’équipement légionnaire de la République romaine sème le trouble : est-il venu là de manière pacifique, ou est-ce la trace d’un conflit survenu avant la Guerre des Gaules ? Un camp romain existait-il finalement en ces lieux ? Marque-t-il la venue des colons romains chassés de Vienne ? Car la bourgade encore établie sur la plaine de Vaise se romanise lentement mais sûrement. A la limite de la province de Narbonnaise, elle a sans doute servi de port de transbordement. (…) Autre signe de métissage culturel : dans le quartier Saint-Vincent, un atelier produisait des céramiques à pâte claire de tradition méditerranéenne. Lougoudounon accueille donc des commerçants romains, avant que les colons chassés de Viennent n’accourent s’y abriter et n’entraînent le processus inéluctable de son inclusion dans l’orbite romaine.
Voir aussi p. 32 Lyon gaulois : au-delà du mythe, par Catherine Bellon (INRAP) et Franck Perrin (Université Lyon 2)
Voici ce qu'écrivent Jean Burdy et André Pelletier dans Guide du Lyon Gallo-romain :
« Qui étaient ces colons ? Peut-être des vétérans d’une légion césarienne, la Ve Alouette, ce qui expliquerait, entre autres, qu’au moment du conflit de 68-69 entre Viennois et Lyonnais, ceux-ci aient solennellement rappelé l’origine militaire de leurs ancêtres. En outre, il est fort possible qu’à ce noyau de vétérans romains se soient, lors de la fondation, joints des vétérans de Munatius Plancus.
« Jusqu’au milieu du IIe siècle, la prospérité règne à Lyon comme dans tout l’empire. Débordant de son cadre primitif, la ville s’étale largement sur les deux rives de la Saône et dans la Presqu’île. (…) La population, où se côtoient toutes les nationalités, avec quelques fortes colonies d’Orientaux et de Gaulois, atteint peut-être 50 000 habitants, ce qui fait de Lyon, indiscutablement, l’une des deux villes avec Narbonne, les plus peuplées de la Gaule. »
Dans Lyon, miroir de Rome (1979), Aimable Audin se penche sur les Lyonnais. «Les réfugiés viennois, les vétérans césariens, les Ségusiaves qui qui hantaient les deux bourgs, à qui ont-il donné naissance ? (…) A Lyon, ville cosmopolite, le sang oriental coulait généreusement dans les veines celtiques et romaines des premiers lyonnais. (…) De ce dosage, de ces conséquences, deux sources nous informent. (…)
« L’évolution de la population grecque à Lugdunum
Parmi les observations qu’autorise l’étude des épitaphes lyonnaises, la plus révélatrice concerne la proportion de noms grecs : 243 sur 1116. Bien sûr, tous les individus à noms grecs n’étaient pas obligatoirement des Orientaux. Mais combien l’inverse est plus exact ! Tous les Orientaux de race ne portaient pas des noms grecs. (…) Sur la large base de l’épigraphie lyonnaise, il est possible de tenter une répartition des noms grecs aux diverses époques. A Lugdunum, capitale administrative des Gaules, ils paraissent au début du 1er siècle dans la proportion de 19%, pour passer à 24 au milieu du siècle et à 30 à la fin. Enuite se marque une chute avec 17% au milieu du IIe siècle et une remontée à 30 à la fin du IIe et au IIIe siècle. »
« Les celtes ne sont pas effacés
Une quarantaine de noms gaulois autorisent une expérience analogue. Moins fine toutefois à cause de la minceur de l’éventail, elle n’est pas moins révélatrice. Certes, les gens du crû devaient abonder à Lyon dès l’origine de la ville. Il s’en faut qu’aux différentes époques ils aient exprimé cette origine de même manière. Ce qui émane de l’étude des noms contrepointe exactement l’évolution des noms grecs, et pour les mêmes raisons. (…) les Gaulois du Ier siècle dissimulent une origine que la condition servile a dépréciée pour plusieurs générations. Au début du siècle suivant, tout cela est oublié et les noms gaulois réapparaissent peu à peu. »
Voilà qui ne nous donne hélas pas la proportion de colons d’origine romaine à Lugdunum.
Un autre auteur aborde la question de la population indigène au sein de la nouvelle colonie de Lugdunum, sans cependant avancer de chiffres. Voici quelques extraits de la contribution de Matthieu Poux, Plancus à Lyon, publiée dans Lugdunum, naissance d’une capitale, dans lequel il émet des hypothèses sur le peuplement rapide de la colonie :
« Est-il vraiment concevable que la construction de Lugdunum se soit faite sans le concours des indigènes, dont le rôle se serait réduit à celui d’esclaves chargés de bâtir la cité de leurs nouveaux maîtres ? Cette question devrait être tranchée par l’étude des inscriptions et des objets découverts sur le site, qui permettent d’identifier la part d’immigrants et d’autochtones, de civils et de militaires, parmi les premiers habitants de Lugdunum.
(…) Avant, comme après la conquête romaine, les chiffres donnés par les textes et la taille des vestiges archéologiques nous confrontent à une réalité démographique qui est incontournable. Moins de quarante ans après sa fondation, la colonie de Lugdunum est déjà la plus peuplée de Gaule après Narbonne, si l’on en croit Strabon. D’après la capacité d’accueil des principaux lieux de spectacles de la cité, elle abritait plus de 35000 habitants. Il est difficile d’y voir uniquement le résultat d’une explosion démographique, due à l’arrivée de colons immigrés de Vienne, d’Italie ou des autres provinces. Plus de 600 inscriptions recueillies à Lyon témoignent, il est vrai, d’une population très cosmopolite, aux noms forgés dans tous les recoins de l’Empire. Mais les patronymes gaulois, adaptés ou non à la norme romaine des tria nomina, y prédominent très largement. Ce qui laisse à supposer qu’une large part de populations autochtones, établies sur le site ou à proximité, a été intégrée à la colonie dès sa fondation.
(…) L’épigraphie nous enseigne que l’élite indigène jouera, aux côtés de l’occupant, un rôle de tout premier plan dans le développement de la ville. Loin d’être « quantité négligeable » dans ce processus de fondation, ces Celtes devenus Gallo-romains sont les véritables bâtisseurs et les principaux acteurs de la ville romaine de Lugdunum.»
A lire pour aller plus loin :
La Population de Lugdunum au IIe siècle, par Amable Audin (Cahiers d’histoire, 1970)
Gens de Lugdunum, Amable Audin, 1986
Recherches sur l'évaluation de la population des Gaules et de Lugdunum et la durée de la vie chez les habitants de cette ville du Ier au IVe siècle par le Dr Humbert Mollière, 1892
La Gaule Lyonnaise d’Alain Ferdière (2011), qui s’intéresse à la population et au phénomène de romanisation au sein de la province de la Gaule lyonnaise.
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