Question d'origine :
Bonjour
pourquoi la suisse et la belgique disent huitante nonante et pas la france ?
merci
Réponse du Guichet
gds_se
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 29/08/2016 à 14h00
Bonjour
Dans cette précédente réponse Prononciation des nombres, le Guichet du Savoir vous explique d’où viennent les formes septante, huitante, nonante, utilisées en France jusqu’en 1918 ; et pourquoi, en France, on dit maintenant soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix :
Ce document de l’Université de Laval sur l’ancien français explique cet usage par l’héritage « hybride » du système latin et du système germanique, auquel il faut encore ajouter les déformations populaires :
La numération
Il faut mentionner également le système de numération qui a profondément été modifié en ancien français. Les nombres hérités du latin correspondent aux nombres de un à seize. Le nombre dix-sept, par exemple, est le premier nombre formé d'après un système populaire (logique) qui sert pour tous les nombres suivants: 10 + 7, 10 + 8, 10 + 9, etc. En ce qui concerne les noms des dizaines, le latin possédait un système décimal; ainsi, dix (< decem) vingt (< viginti), trente (< tringinta), quarante (< quadraginta), cinquante (< quinquageni) et soixante (< sexaginta) sont d'origine latine. Il en est de même pour les formes employées en Belgique et en Suisse telles que septante (< septuaginta > septante), octante (< octoginta) ou huitante (< octoginta > oitante) et nonante (< nonaginta) dans septante-trois, octante-neuf (ou huitante-neuf), nonante-cinq, etc.
Mais, l'ancien français a adopté dès le XIIe siècle la numération normande (d'origine germanique) qui était un système vicésimal, ayant pour base le nombre vingt (écrit vint ou vin). Ce système était courant chez les peuples d'origine germanique. Selon ce système, on trouvait les formes vingt et dix (écrites vins et dis) pour 30, deux vins pour 40, trois vins pour 60, quatre vins pour 80, cinq vins pour 100, six vins pour 120, dis vins pour 200, quinze vins pour 300, etc. Encore au XVIIe siècle, des écrivains employaient le système vicésimal. Ainsi, Racine écrivait à Boileau: «Il y avait hier six vingt mille hommes ensemble sur quatre lignes.»
Le système de numération du français standard est donc hybride: il est à la fois d'origine latine et germanique. Quant à un numéral comme soixante-dix, c'est un mot composé (soixante + dix) de formation romane populaire; il faudrait dire trois-vingt-dix pour rester germanique (normand). Le numéral quatre-vingt-dix est également d'origine normande auquel s'ajoute le composé populaire [+ 10].
C'est l'Académie française qui, au XVIIe siècle, a adopté pour toute la France le système vicésimal pour 70, 80, 90, alors que le système décimal (avec septante, octante, nonante) étaient encore en usage de nombreuses régions ; d'ailleurs, ce système sera encore en usage dans certaines régions en France jusque qu'après la Première Guerre mondiale.
Il s’agit donc d’un changement de base de calcul : le latin comptait sur une base 10, d’où trente, quarante … Alors que les Celtes comptait sur une base 20 : quatre-vingt (4*20), très utilisée au Moyen Age. C’est l’Académie française qui normalisera, au XVIIe siècle, l’utilisation des mots soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix en lieu et place de septante, huitante (ou octante) et nonante :
Septante, octante, nonante
Vous vous interrogez sur une des bizarreries les plus célèbres de la langue française. Pourquoi en effet dire soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix, alors que les formes septante, octante, nonante, en accord tout à la fois avec le latin et le système décimal, sont plus ou moins largement usitées dans divers pays francophones ?
Notre vocabulaire porte ici la trace d’un usage très ancien et aujourd’hui disparu : au Moyen Âge, on avait coutume en France de compter de vingt en vingt. Aussi trouvait-on les formes vint et dis (30), deux vins (40), trois vins (60), etc. Saint Louis fonda, par exemple, l’hospice des Quinze-vingts (des 300 aveugles). Ce système, dit « vicésimal », était utilisé par les Celtes et par les Normands, et il est possible que l’un ou l’autre de ces peuples l’ait introduit en Gaule.
Dès la fin du Moyen Âge, les formes concurrentes trente, quarante, cinquante, soixante se répandent victorieusement. Pourquoi l’usage s’arrête-t-il en si bon chemin ? Aucune explication n’est vraiment convaincante. Peut-être a-t-on éprouvé le besoin de conserver la marque d’un « calcul mental » mieux adapté aux grands nombres (70=60+10, 80=4x20, 90=80+10). Reste la part du hasard et de l’arbitraire, avec laquelle tout historien de la langue sait bien qu’il lui faut composer...
C’est au XVIIe siècle, sous l’influence de Vaugelas et de Ménage, que l’Académie et les autres auteurs de dictionnaires ont adopté définitivement les formes soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix au lieu de septante, octante, nonante. Il est à noter pourtant que les mots septante, octante, nonante figurent dans toutes les éditions du Dictionnaire de l’Académie française. Encore conseillés par les Instructions officielles de 1945 pour faciliter l’apprentissage du calcul, ils restent connus dans l’usage parlé de nombreuses régions de l’Est et du Midi de la France, ainsi qu’en Acadie. Ils sont officiels en Belgique et en Suisse (sauf, cependant, octante, qui a été supplanté par quatre-vingts et huitante – en Suisse – tant dans l’usage courant que dans l’enseignement ou les textes administratifs). Rien n’interdit de les employer, mais par rapport à l’usage courant en France, ils sont perçus comme régionaux ou vieillis.
Questions de langue / Académie française
La normalisation du 17ème Siècle
Quoiqu’il en soit, au 17ème siècle, le grammairien Claude Favre de Vaugelas (1585-1650) va tenter de donner un premier ordre de marche dans ses «Remarques sur la langue françoise». D’autres suivront.
«'Septante' n'est François qu'en un certain lieu où il est consacré, qui est quand on dit la 'traduction des Septante' ou les 'Septante Interpretes', ou simplement 'les Septante', qui n'est qu'une mesme chose», écrit-il en faisant allusion à «La Septante», soit la traduction en grec de la Torah, la Bible hébraïque, traduction qui aurait été effectuée à Alexandrie au 3ème Siècle avant J.C. par 72 traducteurs, d’où son nom - l’historien Flavius Josèphe a arrondi!
«Hors delà il faut toujours dire soixante-dix, tout de mesme que l'on dit 'quatre-vingts', & non pas 'octante', & 'quatre-vingts-dix' & non pas 'nonante'», poursuit Vaugelas. Soit une amusante façon d’édicter des règles parfaitement normatives… sans trancher pour autant entre les deux systèmes.
Bref. Vaugelas n’empêchera pas les différentes formes de se côtoyer encore, même en France, comme le relève le site web «Au domicile des mots dits et écrits». Ainsi Molière écrit-il «Quatre mille trois cent septante-neuf livres douze» dans le Bourgeois gentilhomme (acte III, scène 4). Mais «Par ma foi, je disais cent ans, mais vous passerez les six-vingts» dans L’Avare (acte II, scène 5). Et au 18ème siècle, Voltaire emploiera parfois encore «septante» et «nonante».
Aujourd’hui
Aujourd’hui, septante et nonante s’emploient en Suisse, mais aussi à Jersey, en Belgique et parfois dans les anciennes colonies belges - République démocratique du Congo, Rwanda, Burundi.
Huitante se limite à certains cantons suisses (en particulier le canton de Vaud, mais aussi Fribourg et le Valais), alors qu’octante semble avoir pratiquement coulé corps et biens. A l’exception de la Lorraine ? C’est ce que semble dire le mystérieux mais érudit auteur du site «Au domicile des mots dits et écrits», toujours lui, qui ajoute que les formes septante et nonante «survivent de manière marginale chez les personnes âgées dans des provinces de l'Est (Savoie, Provence, Lorraine, Franche-Comté)».
De manière très marginale alors… Car aujourd’hui, la France a clairement renoncé aux formes septante, octante/huitante, nonante, et les dictionnaires courants n’y font plus référence qu’en tant que régionalismes belges et suisses.
Soixante, septante, huitante, nonante … logique ! / Bernard Léchot (in Swissinfo)
Bonne journée
Dans cette précédente réponse Prononciation des nombres, le Guichet du Savoir vous explique d’où viennent les formes septante, huitante, nonante, utilisées en France jusqu’en 1918 ; et pourquoi, en France, on dit maintenant soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix :
Ce document de l’Université de Laval sur l’ancien français explique cet usage par l’héritage « hybride » du système latin et du système germanique, auquel il faut encore ajouter les déformations populaires :
La numération
Il faut mentionner également le système de numération qui a profondément été modifié en ancien français. Les nombres hérités du latin correspondent aux nombres de un à seize. Le nombre dix-sept, par exemple, est le premier nombre formé d'après un système populaire (logique) qui sert pour tous les nombres suivants: 10 + 7, 10 + 8, 10 + 9, etc. En ce qui concerne les noms des dizaines, le latin possédait un système décimal; ainsi, dix (< decem) vingt (< viginti), trente (< tringinta), quarante (< quadraginta), cinquante (< quinquageni) et soixante (< sexaginta) sont d'origine latine. Il en est de même pour les formes employées en Belgique et en Suisse telles que septante (< septuaginta > septante), octante (< octoginta) ou huitante (< octoginta > oitante) et nonante (< nonaginta) dans septante-trois, octante-neuf (ou huitante-neuf), nonante-cinq, etc.
Mais, l'ancien français a adopté dès le XIIe siècle la numération normande (d'origine germanique) qui était un système vicésimal, ayant pour base le nombre vingt (écrit vint ou vin). Ce système était courant chez les peuples d'origine germanique. Selon ce système, on trouvait les formes vingt et dix (écrites vins et dis) pour 30, deux vins pour 40, trois vins pour 60, quatre vins pour 80, cinq vins pour 100, six vins pour 120, dis vins pour 200, quinze vins pour 300, etc. Encore au XVIIe siècle, des écrivains employaient le système vicésimal. Ainsi, Racine écrivait à Boileau: «Il y avait hier six vingt mille hommes ensemble sur quatre lignes.»
C'est l'Académie française qui, au XVIIe siècle, a adopté pour toute la France le système vicésimal pour 70, 80, 90, alors que le système décimal (avec septante, octante, nonante) étaient encore en usage de nombreuses régions ; d'ailleurs, ce système sera encore en usage dans certaines régions en France jusque qu'après la Première Guerre mondiale.
Il s’agit donc d’un changement de base de calcul : le latin comptait sur une base 10, d’où trente, quarante … Alors que les Celtes comptait sur une base 20 : quatre-vingt (4*20), très utilisée au Moyen Age. C’est l’Académie française qui normalisera, au XVIIe siècle, l’utilisation des mots soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix en lieu et place de septante, huitante (ou octante) et nonante :
Vous vous interrogez sur une des bizarreries les plus célèbres de la langue française. Pourquoi en effet dire soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix, alors que les formes septante, octante, nonante, en accord tout à la fois avec le latin et le système décimal, sont plus ou moins largement usitées dans divers pays francophones ?
Notre vocabulaire porte ici la trace d’un usage très ancien et aujourd’hui disparu : au Moyen Âge, on avait coutume en France de compter de vingt en vingt. Aussi trouvait-on les formes vint et dis (30), deux vins (40), trois vins (60), etc. Saint Louis fonda, par exemple, l’hospice des Quinze-vingts (des 300 aveugles). Ce système, dit « vicésimal », était utilisé par les Celtes et par les Normands, et il est possible que l’un ou l’autre de ces peuples l’ait introduit en Gaule.
Dès la fin du Moyen Âge, les formes concurrentes trente, quarante, cinquante, soixante se répandent victorieusement. Pourquoi l’usage s’arrête-t-il en si bon chemin ? Aucune explication n’est vraiment convaincante. Peut-être a-t-on éprouvé le besoin de conserver la marque d’un « calcul mental » mieux adapté aux grands nombres (70=60+10, 80=4x20, 90=80+10). Reste la part du hasard et de l’arbitraire, avec laquelle tout historien de la langue sait bien qu’il lui faut composer...
C’est au XVIIe siècle, sous l’influence de Vaugelas et de Ménage, que l’Académie et les autres auteurs de dictionnaires ont adopté définitivement les formes soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix au lieu de septante, octante, nonante. Il est à noter pourtant que les mots septante, octante, nonante figurent dans toutes les éditions du Dictionnaire de l’Académie française. Encore conseillés par les Instructions officielles de 1945 pour faciliter l’apprentissage du calcul, ils restent connus dans l’usage parlé de nombreuses régions de l’Est et du Midi de la France, ainsi qu’en Acadie. Ils sont officiels en Belgique et en Suisse (sauf, cependant, octante, qui a été supplanté par quatre-vingts et huitante – en Suisse – tant dans l’usage courant que dans l’enseignement ou les textes administratifs). Rien n’interdit de les employer, mais par rapport à l’usage courant en France, ils sont perçus comme régionaux ou vieillis.
Questions de langue / Académie française
La normalisation du 17ème Siècle
Quoiqu’il en soit, au 17ème siècle, le grammairien Claude Favre de Vaugelas (1585-1650) va tenter de donner un premier ordre de marche dans ses «Remarques sur la langue françoise». D’autres suivront.
«'Septante' n'est François qu'en un certain lieu où il est consacré, qui est quand on dit la 'traduction des Septante' ou les 'Septante Interpretes', ou simplement 'les Septante', qui n'est qu'une mesme chose», écrit-il en faisant allusion à «La Septante», soit la traduction en grec de la Torah, la Bible hébraïque, traduction qui aurait été effectuée à Alexandrie au 3ème Siècle avant J.C. par 72 traducteurs, d’où son nom - l’historien Flavius Josèphe a arrondi!
«Hors delà il faut toujours dire soixante-dix, tout de mesme que l'on dit 'quatre-vingts', & non pas 'octante', & 'quatre-vingts-dix' & non pas 'nonante'», poursuit Vaugelas. Soit une amusante façon d’édicter des règles parfaitement normatives… sans trancher pour autant entre les deux systèmes.
Bref. Vaugelas n’empêchera pas les différentes formes de se côtoyer encore, même en France, comme le relève le site web «Au domicile des mots dits et écrits». Ainsi Molière écrit-il «Quatre mille trois cent septante-neuf livres douze» dans le Bourgeois gentilhomme (acte III, scène 4). Mais «Par ma foi, je disais cent ans, mais vous passerez les six-vingts» dans L’Avare (acte II, scène 5). Et au 18ème siècle, Voltaire emploiera parfois encore «septante» et «nonante».
Aujourd’hui
Aujourd’hui, septante et nonante s’emploient en Suisse, mais aussi à Jersey, en Belgique et parfois dans les anciennes colonies belges - République démocratique du Congo, Rwanda, Burundi.
Huitante se limite à certains cantons suisses (en particulier le canton de Vaud, mais aussi Fribourg et le Valais), alors qu’octante semble avoir pratiquement coulé corps et biens. A l’exception de la Lorraine ? C’est ce que semble dire le mystérieux mais érudit auteur du site «Au domicile des mots dits et écrits», toujours lui, qui ajoute que les formes septante et nonante «survivent de manière marginale chez les personnes âgées dans des provinces de l'Est (Savoie, Provence, Lorraine, Franche-Comté)».
De manière très marginale alors… Car aujourd’hui, la France a clairement renoncé aux formes septante, octante/huitante, nonante, et les dictionnaires courants n’y font plus référence qu’en tant que régionalismes belges et suisses.
Soixante, septante, huitante, nonante … logique ! / Bernard Léchot (in Swissinfo)
Bonne journée
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