Question d'origine :
S.V.P.
J'ai été surpris de découvrir sur des menus anciens, destinés aux derniers rois de France, en particulier, qu'on leur servait du cygne, du paon,de la cigogne et du héron, entre autres volailles !
D'où provenaient alors ces animaux, même si on peut imaginer naturellement, qu'ils ne constituaient pas l'ordinaire du peuple au quotidien !
Existait il des élevages, et leur consommation était t elle significative ou exceptionnelle ?
Enfin, pourquoi ces volailles ne sont t ils pas élevés et consommés de nos jours, comme poulets , dindons, etc ? Sont t ils tous protégés ? merci.
Réponse du Guichet

Bonjour,
Tous les documents que nous avons consultés s’accordent pour dire que les grands volatiles, cygnes, paons, hérons, grues, cigognes, étaient réservés à l’alimentation de la noblesse, et seulement pour les grands banquets. Ce n’était donc pas une nourriture très courante.
« Tout au long du millénaire médiéval (dans l'Europe occidentale), chaque individu est tenu de manger « selon sa qualité », c'est-à-dire de manière conforme au rang qu'il occupe dans la société. Ainsi, l'alimentation du noble doit lui permettre « d'afficher sa différence » vis-à-vis du moine et du paysan. Cette distinction sociale se réalise d'abord au travers des quantités ingérées : dans les banquets, la taille des portions servies aux invités se réduit à mesure que décroît leur position dans l'échelle sociale. Par ailleurs, les aristocrates consomment des aliments qui leur sont spécifiques : de la viande en abondance (symbole de richesse, de pouvoir, de force physique et de puissance sexuelle), de coûteuses épices (le caviar de l'époque !) et, lors des festins, des paons, faisans, cygnes, hérons, cigognes, grues… L'explication est symbolique, elle renvoie à une « vision du monde ». Volant haut dans le ciel, ces grands volatiles dominent en effet toutes les autres créatures : ils conviennent donc parfaitement aux « dominants », aux individus qui sont socialement « élevés ». »
Source : De l'Homo habilis au mangeur contemporain : une brève histoire de l'alimentation des hommes, une conférence de Eric Birlouez, agronome.
« Enfin les paons et les cygnes sont servis revêtus aux tables nobles, sous forme d'entremets. Il s'agit de plats rares, chefs d'œuvre de gastronomie et d'art culinaire, destinés à produire un effet d'admiration, comme la recette du coq heaumé, autre fleuron des entremets médiévaux. »
Source : Vivre au Moyen-Age, blog
« Aux grands banquets les grosses pièces, elles aussi, se faisaient encroûtées, mais il était d’usage pour le cygne ou le paon, « viande de preux », de les servir revestus, avec un cérémonial qui tenait du rituel : on écorchait l’oiseau superbe de façon à conserver le plumage attaché à la peau. On le vidait et le farcissait de hachis relevé et sucrés ou de petits oiseaux (ceux-ci plumés !). On le fixait dans une pose naturelle par des brochettes. La plupart du temps, on coupait la tête pour la garder en sa parure.[…]Cuit, le noble volatile recevait une dorure sur les pattes et le bec. […] On remettait le plumage et on fixait la tête. On maintenait les ailes étalées dans une attitude de vol avec du fil de fer. Un morceau de camphre allumé dans le bec jetait des étincelles tandis qu’on l’apportait à table sur un plateau d’argent, au son de la musique. »
Histoire naturelle et morale de la nourriture, Maguelonne Toussaint-Samat.
Comme cette description peut le laisser penser, il s’agit donc avant tout d’impressionner les convives et il ne semble pas que ces grands oiseaux soient très bons …
Consommé déjà sous l’empire romain, le paon par exemple n’est guère apprécié du poète Horace :
« « C’est parce que l’oiseau rare se vend au poids de l’or, n’est-ce pas ? … Mangez-vous ce plumage que vous louez ? Mais quoique que la chair du poulet soit supérieure mille fois à celle du paon, il est clair que vous êtes déçus par la différence de leurs habits ». Comme quoi la gastronomie mal comprise peut se parer des plumes du paon. Cette chair insipide et dure, toujours revêtue de la somptueuse parure, restera à la mode des tables princières jusqu’au XVIIe siècle. » (dans le même ouvrage)
C’est donc d’abord parce que les goûts évoluent, et que l’on se met sans doute dés le XVIIe siècle à préférer le bon au beau, que la consommation de ces grands oiseaux cesse.
« A partir du XVIIe siècle et plus encore du XVIIIe siècle, l’esthétique alimentaire est indissociablement liée à la gastronomie : la couleur d’un mets ne peut être trouvée belle que si elle annonce sa qualité gastronomique, et les signes de la fraîcheur attirent davantage que les simulacres de la vie. Il n’est donc plus question, par exemple, de préparer pour les repas d’apparat ces grands oiseaux qui étaient au Moyen-âge recouverts de leurs plumes une fois cuits : cormorans, cygnes, cigognes, grues, paons, hérons, disparaissent dés les XVIe siècle et sont remplacés par de petits oiseaux […]. Ce qui prouve sans doute que le Moyen-âge sacrifiait davantage au spectacle dans le domaine alimentaire, et l’époque moderne au goût.
Source : La culture matérielle en France au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Benoit Garnot, en ligne sur Google Livres.
Pour ce qui est de la provenance de ces animaux, il semble bien y avoir eu quelques élevages. Cependant, certains de ces volatiles existaient aussi à l’état sauvage dans les forêts domaniales et étaient chassés.
« Les cygnes et les paons étaient dans une certaine mesure domestiqués mais ils étaient uniquement consommés par l'élite sociale et plus appréciés pour leur beauté en tant que plats extravagants et entremets que pour leur viande. »
Source : Les viandes domestiques, sauvages, venaisons et gibiers dans les recettes de la cuisine médiévale, site Les voyageurs du temps.
Dans une autre description de festin, on trouve aussi la mention d’un élevage de paons :
« En 1560, Champier marque beaucoup de surprise d'en avoir vu en Normandie, près de Lisieux, des troupeaux considérables : « On les y engraisse avec du marc de pommes, dit-il, et on les vend aux marchands de poulaillers, qui vont les vendre dans les grandes villes pour la table des gens riches ». » Source : Le paon, mets de choix au Moyen-âge
L’élevage en France : 10 000 ans d’histoire note p. 161 qu’au Moyen-âge « paons, cygnes et grues figurent dans la basse-cour, mais en petit nombre, car ces oiseaux d’apparat sont élevés surtout pour garnir la table des puissants ».
Dans son inventaire des Nourritures carnées dans les châteaux au Moyen-âge, Yves Lignereux, mentionne les « Oiseaux sauvages (éventuellement captifs et engraissés) : faisan, paon, perdrix, perdreau, palombe, pigeon, oie sauvage, canard colvert (malard), cygne, bécasse, corbeau freux, corneille, pie, grue, courlis, cigogne, héron, butor, outarde, pluvier, cormoran, chouette… » et on peut lire à la définition Héronnière du CNRTL : .Lieu où les hérons se rassemblent pour nicher, où l'on élève les hérons. Sous François Ier, il [le héron] devint rare; ce roi le loge autour de lui, à Fontainebleau, y fait des héronnières. »
Barbara Ketcham Wheaton, elle, dans L’office et la bouche ne parle que de chasse :
« Le convive du XIVe siècle, pour sa part, chasse à cour ou à l’aide de faucons, c’est lui-même qui rapporte sa proie à la cuisine où elle est ragoûtée avant de lui être servie. L’apparition à table d’un paon rôti donne lieu à tout un cérémonial … »
Frédérique Audouin-Rouzeau dans l’article Compter et mesurer les os animaux. Pour une histoire de l’élevage et de l’alimentation en Europe de l’Antiquité aux Temps Modernes, , Histoire et mesure, n° 3, 1995, classe les grands oiseaux dans les oiseaux sauvages, « faute de preuve d’une domestication accomplie » et souligne à son tour combien de toutes façons leur consommation était rare :
« On sait que la consommation des grands oiseaux de prestige, cygnes, cigognes, paons, hérons, butors, courlis, outardes, paraît passée de mode dans les années 1670, et, en effet, les données archéologiques mettent en évidence sa quasi-disparition au cours des Temps Modernes, une disparition contemporaine de celle, brutale, de la fauconnerie. Il est possible aussi que le dindon, d'acquisition plus aisée et de chair meilleure, ait dans le même temps contribué à cette mutation de la table des grands, avant que lui-même ne perde son prestige au XVIIIe siècle. Mais, la présence de ces oiseaux d'apparat, si liés dans notre imaginaire -mais aussi dans l'iconographie- aux opulentes tables médiévales, était pourtant exceptionnelle. »
D’après le n° 618 de 1948 du Chasseur français,il est interdit de chasser le cygne sauvage dés 48. Le cygne d’élevage semble pouvoir se manger mais Le chasseur français, n° 648 de 1951 explique la difficulté d’élever des cygnes tout en rappelant le mauvais goût de leur chair.
Aujourd’hui d’après l’Arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, et sa version consolidée 21 juin 2016,(sur Légifrance), cygnes, hérons, cigognes sont en France des espèces protégées.
La plupart des paons, et quelques variétés de cygnes, sont considérés en revanche comme des animaux domestiques par l’Arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d'animaux domestiques.
Bonnes lectures !
Tous les documents que nous avons consultés s’accordent pour dire que les grands volatiles, cygnes, paons, hérons, grues, cigognes, étaient réservés à l’alimentation de la noblesse, et seulement pour les grands banquets. Ce n’était donc pas une nourriture très courante.
« Tout au long du millénaire médiéval (dans l'Europe occidentale), chaque individu est tenu de manger « selon sa qualité », c'est-à-dire de manière conforme au rang qu'il occupe dans la société. Ainsi, l'alimentation du noble doit lui permettre « d'afficher sa différence » vis-à-vis du moine et du paysan. Cette distinction sociale se réalise d'abord au travers des quantités ingérées : dans les banquets, la taille des portions servies aux invités se réduit à mesure que décroît leur position dans l'échelle sociale. Par ailleurs, les aristocrates consomment des aliments qui leur sont spécifiques : de la viande en abondance (symbole de richesse, de pouvoir, de force physique et de puissance sexuelle), de coûteuses épices (le caviar de l'époque !) et, lors des festins, des paons, faisans, cygnes, hérons, cigognes, grues… L'explication est symbolique, elle renvoie à une « vision du monde ». Volant haut dans le ciel, ces grands volatiles dominent en effet toutes les autres créatures : ils conviennent donc parfaitement aux « dominants », aux individus qui sont socialement « élevés ». »
Source : De l'Homo habilis au mangeur contemporain : une brève histoire de l'alimentation des hommes, une conférence de Eric Birlouez, agronome.
« Enfin les paons et les cygnes sont servis revêtus aux tables nobles, sous forme d'entremets. Il s'agit de plats rares, chefs d'œuvre de gastronomie et d'art culinaire, destinés à produire un effet d'admiration, comme la recette du coq heaumé, autre fleuron des entremets médiévaux. »
Source : Vivre au Moyen-Age, blog
« Aux grands banquets les grosses pièces, elles aussi, se faisaient encroûtées, mais il était d’usage pour le cygne ou le paon, « viande de preux », de les servir revestus, avec un cérémonial qui tenait du rituel : on écorchait l’oiseau superbe de façon à conserver le plumage attaché à la peau. On le vidait et le farcissait de hachis relevé et sucrés ou de petits oiseaux (ceux-ci plumés !). On le fixait dans une pose naturelle par des brochettes. La plupart du temps, on coupait la tête pour la garder en sa parure.[…]Cuit, le noble volatile recevait une dorure sur les pattes et le bec. […] On remettait le plumage et on fixait la tête. On maintenait les ailes étalées dans une attitude de vol avec du fil de fer. Un morceau de camphre allumé dans le bec jetait des étincelles tandis qu’on l’apportait à table sur un plateau d’argent, au son de la musique. »
Histoire naturelle et morale de la nourriture, Maguelonne Toussaint-Samat.
Comme cette description peut le laisser penser, il s’agit donc avant tout d’impressionner les convives et il ne semble pas que ces grands oiseaux soient très bons …
Consommé déjà sous l’empire romain, le paon par exemple n’est guère apprécié du poète Horace :
« « C’est parce que l’oiseau rare se vend au poids de l’or, n’est-ce pas ? … Mangez-vous ce plumage que vous louez ? Mais quoique que la chair du poulet soit supérieure mille fois à celle du paon, il est clair que vous êtes déçus par la différence de leurs habits ». Comme quoi la gastronomie mal comprise peut se parer des plumes du paon. Cette chair insipide et dure, toujours revêtue de la somptueuse parure, restera à la mode des tables princières jusqu’au XVIIe siècle. » (dans le même ouvrage)
C’est donc d’abord parce que les goûts évoluent, et que l’on se met sans doute dés le XVIIe siècle à préférer le bon au beau, que la consommation de ces grands oiseaux cesse.
« A partir du XVIIe siècle et plus encore du XVIIIe siècle, l’esthétique alimentaire est indissociablement liée à la gastronomie : la couleur d’un mets ne peut être trouvée belle que si elle annonce sa qualité gastronomique, et les signes de la fraîcheur attirent davantage que les simulacres de la vie. Il n’est donc plus question, par exemple, de préparer pour les repas d’apparat ces grands oiseaux qui étaient au Moyen-âge recouverts de leurs plumes une fois cuits : cormorans, cygnes, cigognes, grues, paons, hérons, disparaissent dés les XVIe siècle et sont remplacés par de petits oiseaux […]. Ce qui prouve sans doute que le Moyen-âge sacrifiait davantage au spectacle dans le domaine alimentaire, et l’époque moderne au goût.
Source : La culture matérielle en France au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Benoit Garnot, en ligne sur Google Livres.
Pour ce qui est de la provenance de ces animaux, il semble bien y avoir eu quelques élevages. Cependant, certains de ces volatiles existaient aussi à l’état sauvage dans les forêts domaniales et étaient chassés.
« Les cygnes et les paons étaient dans une certaine mesure domestiqués mais ils étaient uniquement consommés par l'élite sociale et plus appréciés pour leur beauté en tant que plats extravagants et entremets que pour leur viande. »
Source : Les viandes domestiques, sauvages, venaisons et gibiers dans les recettes de la cuisine médiévale, site Les voyageurs du temps.
Dans une autre description de festin, on trouve aussi la mention d’un élevage de paons :
« En 1560, Champier marque beaucoup de surprise d'en avoir vu en Normandie, près de Lisieux, des troupeaux considérables : « On les y engraisse avec du marc de pommes, dit-il, et on les vend aux marchands de poulaillers, qui vont les vendre dans les grandes villes pour la table des gens riches ». » Source : Le paon, mets de choix au Moyen-âge
L’élevage en France : 10 000 ans d’histoire note p. 161 qu’au Moyen-âge « paons, cygnes et grues figurent dans la basse-cour, mais en petit nombre, car ces oiseaux d’apparat sont élevés surtout pour garnir la table des puissants ».
Dans son inventaire des Nourritures carnées dans les châteaux au Moyen-âge, Yves Lignereux, mentionne les « Oiseaux sauvages (éventuellement captifs et engraissés) : faisan, paon, perdrix, perdreau, palombe, pigeon, oie sauvage, canard colvert (malard), cygne, bécasse, corbeau freux, corneille, pie, grue, courlis, cigogne, héron, butor, outarde, pluvier, cormoran, chouette… » et on peut lire à la définition Héronnière du CNRTL : .Lieu où les hérons se rassemblent pour nicher, où l'on élève les hérons. Sous François Ier, il [le héron] devint rare; ce roi le loge autour de lui, à Fontainebleau, y fait des héronnières. »
Barbara Ketcham Wheaton, elle, dans L’office et la bouche ne parle que de chasse :
« Le convive du XIVe siècle, pour sa part, chasse à cour ou à l’aide de faucons, c’est lui-même qui rapporte sa proie à la cuisine où elle est ragoûtée avant de lui être servie. L’apparition à table d’un paon rôti donne lieu à tout un cérémonial … »
Frédérique Audouin-Rouzeau dans l’article Compter et mesurer les os animaux. Pour une histoire de l’élevage et de l’alimentation en Europe de l’Antiquité aux Temps Modernes, , Histoire et mesure, n° 3, 1995, classe les grands oiseaux dans les oiseaux sauvages, « faute de preuve d’une domestication accomplie » et souligne à son tour combien de toutes façons leur consommation était rare :
« On sait que la consommation des grands oiseaux de prestige, cygnes, cigognes, paons, hérons, butors, courlis, outardes, paraît passée de mode dans les années 1670, et, en effet, les données archéologiques mettent en évidence sa quasi-disparition au cours des Temps Modernes, une disparition contemporaine de celle, brutale, de la fauconnerie. Il est possible aussi que le dindon, d'acquisition plus aisée et de chair meilleure, ait dans le même temps contribué à cette mutation de la table des grands, avant que lui-même ne perde son prestige au XVIIIe siècle. Mais, la présence de ces oiseaux d'apparat, si liés dans notre imaginaire -mais aussi dans l'iconographie- aux opulentes tables médiévales, était pourtant exceptionnelle. »
D’après le n° 618 de 1948 du Chasseur français,il est interdit de chasser le cygne sauvage dés 48. Le cygne d’élevage semble pouvoir se manger mais Le chasseur français, n° 648 de 1951 explique la difficulté d’élever des cygnes tout en rappelant le mauvais goût de leur chair.
Aujourd’hui d’après l’Arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, et sa version consolidée 21 juin 2016,(sur Légifrance), cygnes, hérons, cigognes sont en France des espèces protégées.
La plupart des paons, et quelques variétés de cygnes, sont considérés en revanche comme des animaux domestiques par l’Arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d'animaux domestiques.
Bonnes lectures !

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